Date de mise en ligne : lundi 24 octobre 2005
600 ans d’histoire. Est-ce possible ?
LA MEE va tenter, grâce aux archives anciennes de la ville de Châteaubriant, de retracer l’évolution de l’administration municipale. La plupart du temps, il s’agit seulement d’une copie des registres municipaux dont le style et l’écriture sont respectés.
Les Municipes romaines
Municipal : le mot dérive des « Municipes » ces cités du 1er siècle avant Jésus-Christ, annexées par l’empire romain, et dont les habitants, sans avoir de droits politiques autres que locaux, jouissaient des droits civils de la citoyenneté romaine. L’administration municipale romaine était confiée à une assemblée de citoyens : des magistrats dont les décisions étaient soumises au contrôle des gouverneurs romains.
On peut dire qu’en France, deux mille ans plus tard, l’administration de nos cités est quasiment calquée sur les municipes romaines : le maire de la commune s’appelle de nos jours « le premier magistrat » et les décisions des conseils municipaux sont soumises (a posteriori) au contrôle de légalité effectué par les préfectures et sous-préfectures.
Si les Romains bénéficiaient ainsi d’une administration décentralisée, il n’en était pas de même en France où, jusqu’en 1789, régnaient en maîtres les seigneurs (comme à Châteaubriant) ou les Abbés (comme à Redon). Aux XIe et XIIe siècles, certaines villes du royaume de France accédèrent cependant, les unes pacifiquement, les autres en usant de violence, à une relative autonomie, par l’octroi de « chartes communales », reconnaissant aux habitants, (aux « bourgeois », c’est-à-dire aux habitants des bourgs, par opposition aux ruraux), des franchises et des privilèges, tout en établissant le partage des pouvoirs entre un corps de ville et le seigneur du lieu.
Le mouvement communal
En effet, dans la plupart des villes, un mouvement se dessina à partir du XIe siècle, pour émanciper les habitants de la tutelle des seigneurs locaux. C’est ce qu’on appelle le « mouvement communal ».
Il faut se rappeler qu’il y eut, de tout temps, des clercs et des seigneurs abominables. La ville de Laon se souvient d’avoir eu pour évêque un certain Gaudry qui, n’aimant que la guerre et la chasse, avait de grands besoins d’argent. Il accabla les habitants de taxes arbitraires et confia à son bourreau le soin de torturer, mutiler ou tuer les récalcitrants et d’assassiner ses adversaires. C’est lors d’un de ses voyages que les deux archidiacres et les grands de la ville, décidèrent de vendre aux habitants le droit de former une « commune ». Les bourgeois acceptèrent l’offre, donnèrent une forte somme, et une « conjuration d’aide mutuelle » unit par un serment « le clergé, les grands et le peuple ». C’était en 1111. A son retour de voyage, l’évêque Gaudry dut jurer de respecter « les droits de la commune
» (moyennant quelques beaux deniers comptants) (1)
A Compiègne, autre cas de figure, c’est le roi Louis VII qui concéda une commune aux bourgeois, pour mettre à la raison une petite aristocratie hostile aux idées réformistes. (1)
Le « mouvement communal » est dû à la caractéristique de la vie des gens dans les villes : possédant peu, ou pas de terres, vivant surtout de l’échange des produits (commerçants) ou des services (artisans), les « bourgeois » réclamèrent une certaine liberté de mouvement, et l’abolition des corvées car ils ne disposaient pas des outils (charrettes, pelles et pioches) leur permettant de curer les fossés de château, de construire une route ou d’édifier
une motte. Ils demandèrent donc un certain nombre d’exemptions des servitudes qui pesaient sur les ruraux.
Au cri de « Commune ! »
Enfin, ressentant le brigandage comme le pire obstacle à la prospérité économique et à la civilisation ils aspiraient à la tranquillité. Dans les villes du Moyen-Age en effet, il n’y avait que peu ou point de police pour réprimer les désordres, empêcher les indigènes et les étrangers d’en venir aux mains. Hors des portes de la ville l’insécurité était encore pire, il arrivait même que les paysans de la banlieue eussent à subir les sévices et les pilleries des gens de la ville. La « commune » (on disait aussi souvent : commune de paix, ou institution de paix) fut le moyen de répondre au besoin de sécurité qu’éprouvait la population laborieuse. « Commune ! » était un mot de ralliement. A Rue-en-Ponthieu par exemple, quand un nouveau bourgeois jurait la commune, on lui prescrivait que, dès qu’il entendrait sonner la cloche, il aurait à venir avec ses armes rejoindre le maire, et dès qu’il entendrait crier « Commune ! » contre un étranger, il devrait aider son co-juré comme son frère, même en dehors de la ville. (1)
A Châteaubriant, on ne retrouve pas de trace de brutalités exercées par un quelconque membre du clergé. D’ailleurs il n’était pas rare que la paroisse de Châteaubriant (c’est-à-dire St Jean de Béré) reste longtemps sans Recteur. Ou bien, lorsque celui-ci était nommé, il demeurait à Nantes ou Rennes, se préoccupant surtout de jouir des revenus du prieuré, sans prendre soin des âmes à lui confiées. C’était le temps des « recteurs fainéants »comme l’écrit l’Abbé Goudé, historien de Châteaubriant (4). Mais cela était « normal » à l’époque et ce n’est pas contre ces pratiques que les bourgeois de Châteaubriant auraient pu désirer constituer une « commune ».
Du côté des seigneurs de Bretagne et de Châteaubriant, les bourgeois avaient obtenu quelques privilèges. Dans les archives de la ville on trouve par exemple, à la date du 1er octobre 1446, une lettre du Duc de Bretagne, François 1er (2), exemptant à perpétuité les bourgeois de la ville close de Châteaubriant de l’impôt des fouages (5), en considération des dommages qu’ils ont souffert, pendant les dernières guerres (c’est-à-dire pendant ce qu’on a appelé La Guerre de Cent ans) tant de la part des Français que de la part des Anglais . La lettre évoque le siège de Pouancé, et la difficulté pour les habitants d’aller « marchander hors la ville » car, sitôt qu’ils en sortaient « ils étoient prins et empeschés de corps et de biens ». François 1er, Duc de Bretagne, accorde donc une exemption « de tous fouaiges, tailles et subcides » (5) tout en rappelant à ses sujets qu’ils doivent faire « guet, arrière-guet et garde de portes à ladite ville, ce que n’avoint pas accoustumé faire ».
Plus tard, en 1490, deux ans après le siège de Châteaubriant par les Français, la Duchesse Anne de Bretagne accordera une exemption de « 35 feux de fouage » en raison des grands dommages causés par la guerre à la paroisse de Béré et de la détresse qui en est résultée pour les habitants « grans pouretés, deppopulacions, brullement de maisons et indigences de biens » .
En 1555, Henri II, roi de France, confirme les privilèges et exemptions accordées par le Duc François 1er aux Castelbriantais ; le roi Charles IX en fera autant en 1565 (rappelons que la Bretagne a été rattachée à la France en 1532).
Ainsi, à l’abri de leurs remparts édifiés vers 1250, les bourgeois de Châteaubriant n’éprouvèrent pas, pendant longtemps, le besoin de créer une « commune » . Cependant, ces exemptions et privilèges étaient octroyées par le pouvoir supérieur mais ne donnaient pas aux habitants de la cité le pouvoir de gérer leurs affaires de façon autonome. Comme dit l’Abbé Guillotin de Corson « L’enfant végétait, sans mouvement ni volonté propres, on ne lui avait laissé que la faculté d’obéir (...). A cette condition de passivité, véritables langes de son enfance, il pouvait remuer et respirer sous la garde et la protection de ses maîtres » (4)
Le Conseil de Fabrique
Il y a une autre raison qui explique peut-être l’absence de « commune » à Châteaubriant : c’est le rôle du Conseil de Fabrique. L’administration temporelle de la paroisse de Béré était en effet confiée, pour un an, à deux notables qui prenaient le titre de « procureurs-fabriqueurs » ou comptables, trésoriers ou marguilliers. L’un de ceux-ci représentait
la ville et était pris parmi les bons bourgeois ; l’autre représentait la campagne et était choisi parmi les habitants des champs ou des faubourgs.(4).
Une troschée d’oignons
Comme ailleurs en Bretagne, on faisait à l’époque de nombreuses offrandes en nature à l’église paroissiale de Béré : boisseaux de grain, paquets de lin, pieds et têtes de porcs, cochons de lait et petits pots de beurre. Les procureurs-fabriqueurs (5) se chargeaient de vendre ces produits au bénéfice de la paroisse. On trouve dans les comptes de la Fabrique de Béré, le prix, en 1511, d’une « troschée d’oignons », d’un « bouesseau de froment noir »,
de « deux noux d’échine de pourceau », de « deux pots de myel », d’une « quantité de poyres, de fèves, de pommes et de raisins, d’un oayson, d’une toueson de laine », etc. Avec les bénéfices de la revente de ces produits, les procureurs-syndics étaient chargés des dépenses de la paroisse : refaire la dorure d’un calice, acheter des cordes pour les cloches, refaire la couverture du bâtiment, réparer les fossés du cimetière, acheter la cire pour fabriquer les cierges, et même acheter « une chayne de fer à attacher la Bible » : les livres étaient si rares qu’on prenait les plus grandes précautions pour s’en assurer la possession.
Les procureurs-fabriqueurs de l’église paroissiale de Béré avaient donc une lourde charge, au point même de devoir prendre soin des enfants trouvés et d’assurer la conservation des archives, et notamment de l’état-civil (registres des mariages, baptêmes, décès). Tant et si bien qu’ils étaient les interlocuteurs « naturels » entre le pouvoir central (du seigneur et du roi), et la paroisse. C’est à eux qu’on demandait de dresser les rôles des fouages, les emprunts et autres impositions ; c’est à eux que s’adressaient les lettres royales, auxquelles ils avaient le devoir de répondre. En 1570 par exemple, le sieur Sesbouez, fut contraint d’aller exprès à cheval à Nantes, pour porter au Sénéchal ce qu’il lui demandait « à peine de 100 livres d’amende et de la prinzon ». En quelque sorte, les procureurs-fabriqueurs de
la paroisse de Béré, étaient, avant la lettre, « maires » de Châteaubriant .
L’absence prolongée
Mais il arriva un moment où l’administration de la paroisse se sépara nettement de l’administration de la cité. Celle-ci en effet, était devenue de plus en plus lourde. La raison ? Elle est double : d’une part l’absence prolongée des successeurs de Jean de Laval, et d’autre part les troubles liés aux Guerres de Religion. On sait que Jean de Laval, Baron de Châteaubriant, mort en février 1543, avait donné le tiers de sa fortune au Prince
Anne de Montmorency, dès le 5 janvier 1539, c’est-à-dire environ 15 mois après la mort de son épouse Françoise de Foix.
Anne de Montmorency ne résida pas à Châteaubriant. Après sa mort à la Bataille de St Denis en 1567, ce fut son fils, Henri 1er , Duc de Montmorency, qui devint Baron de Châteaubriant jusqu’à sa mort en 1614. Mais lui non plus ne résida pas à Châteaubriant. La ville de Châteaubriant était donc gouvernée par les officiers seigneuriaux. Ce qui n’était pas sans poser de problèmes dans la cité, le Doyen Blays, d’une façon crue, évoque « les officiers se
mangeant les uns les autres par chicanes continuelles ».
Ces problèmes avaient des retentissements notamment dans le domaine commercial. En effet, des différends pouvaient survenir entre des marchands, ce qui entraînait des procès d’un caractère tout autre que ceux que la justice seigneuriale avait l’habitude de juger. Ils nécessitaient l’intervention de gens habitués aux pratiques commerciales, avec une exigence de rapidité de décision, pour ne pas dépasser les délais d’une foire ou d’un
marché : les commerçants cherchèrent donc à se créer un tribunal à leur mesure, composé lui aussi de négociants et aussi expéditif que possible.
Le collège
Il y eut sûrement des écoles à Châteaubriant puisqu’un acte de 1222 dit que la nomination des maîtres d’école appartenait alternativement au prieur du Couvent St Sauveur et au recteur de St Jean de Béré. En 1462, la Baronne de Châteaubriant, Françoise de Dinan, s’arrogea le droit de nommer les maîtres d’école. Les seigneurs et leurs intendants établirent plus tard la même prétention contre la communauté de ville. Tout donne à croire qu’il ne s’agissait pas de nommer à de petites écoles, mais à un enseignement supérieur.
Un certain Jean Gérard, fit don aux Castelbriantais d’une maison située Rue des Quatre Oeufs et appelée « le légat des Marchants », pour qu’elle serve de collège. C’était le 15 octobre 1567.
Post-scriptum :
(1) Les communes françaises par Charles Petit-Dutaillis, Ed Albin Michel
(2) François 1er, Duc de Bretagne, est le cousin du duc François II, père d’Anne de Bretagne.
(3) Marcel Buffé, Châteaubriant, une cité dans l’Histoire, page 253
(4) Livre de l’Abbé Goudé « Châteaubriant, baronnie, ville et paroisse »
(5) Fouage : redevance qui se payait par foyer, « sur cette chose indéfinissable qu’est le feu ». C’est un peu l’équivalent de nos Taxes d’Habitation.
(6) Taille : redevance payée au seigneur par les serfs et les roturiers. La taille était un impôt totalement arbitraire, dont le seigneur fixait le montant et la fréquence. La taille royale fut instituée après la Guerre de Cent Ans et devint un impôt permanent de 1439 à 1789. Dans la région de Bretagne, qui avait conservé d’anciennes franchises, les Etats négociaient âprement le montant de cet impôt royal. Celui-ci était alors réparti entre les différentes paroisses ou fractions de paroisses, le clergé et la noblesse en étaient exemptés, de même que les habitants de beaucoup de villes (dont Châteaubriant )
(7) Corvée : prestation en travail exigée de certains hommes (sorte d’impôt en nature) : entretien des routes, des ponts, du château, charrois divers, etc.
Subside : autre impôt
Sénéchal : titre donné à un grand officier seigneurial, chargé probablement de la justice
Echevin : assesseur du tribunal comtal, puis magistrat municipal
Procureur : celui qui a le pouvoir de gérer, à la place de ...