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Cavernes et grains de mil

Le docteur Bernou et la tuberculose.

Ecrit le 6 mai 2015

Un vieil homme (qu’il ne nous en veuille pas de le qualifier ainsi), s’en est allé, il y a quelques temps, passer un scanner à Châteaubriant au Centre André Bernou. Il raconte : « J’ai été agréablement surpris de découvrir que cet établissement portait le nom d’André Bernou. Des souvenirs me sont remontés à l’esprit quand j’ai dit à l’infirmière qui m’a pris en charge : me voilà dans la maison de mon sauveur ».

Andre_Bernou

J’ai fait la connaissance du Docteur Bernou en mars 1962. J’avais alors 32 ans. Depuis quelques mois ma santé déclinait sans que l’on puisse détecter le mal. La radio dont se servaient les médecins de l’époque était muette à mon sujet. Alors, à défaut, d’octobre à mars on m’a soigné les ’’nerfs’’, malgré cela mes forces s’affaiblissaient lentement mais sûrement jusqu’à ce matin de mars 1962 où je vomis le sang. Sitôt, je me suis rendu chez mon médecin traitant. Il ne fit pas de commentaires, décrocha son téléphone et appela le Docteur Bernou qui, à cette époque, consultait rue de Couëré à Châteaubriant. Une petite heure plus tard, j’étais sur place.

On aurait dit qu’il m’attendait car, de suite, il a réalisé des radioscopies de mes poumons, puis il appela son confrère le docteur Tricoire (qui exerçait au même lieu) et ils commentèrent, entre eux, mes clichés. Après quoi, se tournant vers moi, il me dit : « Vous faites une tuberculose miliaire. Il y a quelques années on ne pouvait rien pour vous, vos poumons auraient été transformés en gruyère. C’étaient les petits sapins qui vous attendaient. Vous avez de la chance car, aujourd’hui, avec l’antibiotique, on va vous sortir de là. Mais on ne vous allongera pas la vie »

C’est curieux : j’étais certes content de savoir que j’allais guérir mais cette dernière phrase ’’on ne vous allongera pas la vie’’ m’a laissé penser que celle-ci ne pourrait être qu’assez brève. Le traitement m’a imposé de rester 3 mois alité et de recevoir 90 piqûres de streptomycine. Ensuite j’ai pu me lever, veiller aux travaux saisonniers de la ferme tout en recevant, durant 15 mois, un traitement de Rimifon. Il a fallu le temps pour que petit à petit je reprenne des forces, mais le ’’soufflet’’ en avait quand même pris un coup.

Tuberculeux lui-même, le docteur Bernou a consacré sa vie à soigner les malades de tuberculose. A cette époque on ne parlait pas de cancer. Parce que contagieuse, la tuberculose faisait d’importants dégâts dans les familles. Cela s’expliquait notamment par le manque d’hygiène, le trop grand nombre d’enfants entraînant la promiscuité dans un habitat souvent déplorable où, qui plus est, on fermait souvent les portes et les fenêtres à la mauvaise saison, par crainte, disait-on, « d’attraper du mal ». On pratiquait d’ailleurs de la même manière pour le cheptel. La Toussaint arrivée, celui-ci ne sortait que pour aller boire à la mare du village et restait confiné à l’étable jusqu’à Pâques. Là aussi la tuberculose a fait des ravages. Lorsqu’à partir des années 50 on a pratiqué le dépistage obligatoire, ce sont parfois des troupeaux entiers qui sont partis pour l’abattage !

Dans les années 20, ma grand-mère, atteinte de tuberculose, a aussi été soignée par le docteur Bernou. Malheureusement il ne put rien pour elle et elle décéda en 1926. Combien de malades sont ainsi passés de vie à trépas sans que le docteur Bernou puisse les sauver ?

Il n’était pas facile de soigner une caverne au poumon. Le Docteur Bernou, après de multiples essais, a mis en œuvre une idée qui, par la suite, a fait sa réputation : il a inventé la Thoracoplastie, technique qui consistait à scier des côtes pour avoir accès au poumon malade, pratiquer les manipulations nécessaires (injections, insufflations, décollement des plèvres, etc). Cette technique a fait son succès et l’a fait connaître même à l’étranger où il lui arriva de donner des conférences.

A Châteaubriant, afin de soigner les malades qui faisaient de plus en plus appel à ses services, il fit construire la Clinique des Fougerays. Mais, après la guerre de 1939-1945, la découverte des antibiotiques a eu ’’raison’’ du bon docteur. Certes, il a continué à soigner et à guérir en s’adaptant aux progrès de la médecine, mais, tout de même, quel crève-coeur pour lui de voir son imposante maison de soins devenue inutile, à l’abandon. Son nom, son action, aujourd’hui, sont tombés dans l’oubli (3).

Pour ma part, je n’ai jamais oublié qu’il m’a sauvé la vie. En 1962, il me proposa des soins à sa clinique, mais il existait déjà des infirmières ’’à domicile’’ et je voulais pouvoir rester près de ma famille (sans les contaminer) et gérer ma petite ferme, alors je refusai.

Notre histoire, notre vie-même, ont été marqués par de grands Hommes à qui nous devons beaucoup. La plupart d’entre eux, comme le docteur Bernou, avaient d’autres motivations que celles de l’argent. Aujourd’hui nous sommes dans un autre monde. On guérit des maladies jus-qu’alors incurables mais d’autres apparaissent et, avec le vieillissement la santé est devenue un véritable business !

Julien Lefeuvre (pseudonyme de Auguste Martin de Derval)

Un autre témoignage

Tuberculose miliaire

(1) La tuberculose miliaire est assez rare (2% de toutes les atteintes tuberculeuses). C’est une forme grave de tuberculose pouvant entraîner une insuffisance respiratoire aiguë par œdème pulmonaire lésionnel. Sur le plan radiologique, le cliché thoracique peut être normal au début et ne devenir pathologique qu’après plusieurs semaines. L’aspect est celui de micronodules, appelés aussi « grains de mil », de 2 mm, diffus dans tous les lobes. Il peut annoncer une détresse respiratoire et doit faire entreprendre une prise en charge rapide afin de sauver la vie du patient et d’éviter la contagion de l’entourage.

(2) Le premier paysan qui a refusé le confinement du bétail, l’hiver, ce fut Henri Baron, de Derval. Il avait raison mais les braves paysans du coin hochaient la tête d’un air entendu en disant que, dehors, les animaux ne pouvaient qu’être malades.

(3) Le bâtiment, longtemps abandonné, est devenu un gîte rural. Le souvenir du docteur Bernou a été perpétué par La Mée (article lu plus de 6000 fois), grâce au témoignage de Mme Madeleine Charron de Châteaubriant.