Date de mise en ligne : lundi 24 octobre 2005
Les Romains
C’est vers l’an 600 avant J.C. que les Celtes arrivent en Armorique. (lire à ce sujet le n° 15 de la revue « Ar Men ») Puis vers 58 avant J.C., Jules César entreprend la mise à sac de l’Armorique. Les chefs armoricains fuient alors, au delà de la mer, dans un territoire qui s’appelle "Britannia" (d’où dérive le mot "britannique").
435 : les Romains sont définitivement chassés de l’Armorique et les gouverneurs romains sont remplacés par des chefs armoricains . La terre d’Armorique devient lieu d’émigration de ce qu’on appelait, à l’époque, la Bretagne, et qui n’est autre que l’Angleterre. Et c’est ainsi que l’Armorique finit par s’appeler la "petite Bretagne" quand l’Angleterre est "la grande Bretagne" .
Les Francs
A peu près à la même époque, des hordes germaniques sauvages, comme celle des Francs, commençent à
s’installer en Gaule . Mais elles sont arrêtées par les rois bretons, bien décidés à défendre leur sol. C’est le temps de Clovis, Childebert, Dagobert ... rois des Francs , puis de Pépin le Bref et de son fils Charlemagne
Pépin le Bref organise en Haute Bretagne une zone tampon appelée "Marche de Bretagne", englobant les villes de Rennes, Nantes et Vannes . Au début du règne de Charlemagne (fils de Pépin le Bref), le Préfet de la Marche de Bretagne n’est autre que Roland, celui qui mourut plus tard à Roncevaux et qu’a immortalisé la célèbre "Chanson de Roland".
Les Bretons n’aiment pas Charlemagne, qu’ils considérent comme une monarque germain (allemand). Pour se
venger, Charlemagne envoie des forces considérables en l’an 786. Les envahisseurs ravagent la Bretagne, mais les Bretons ne se soumettent pas. Nouvelles invasions en 799 et 811, causant des ravages effroyables, mais sans soumettre les bretons.
Nominoë
Le fils de Charlemagne, Louis le Débonnaire, tente alors de soumettre les bretons par la ruse, puis de nouveau par la guerre au point qu’en 825 le roi de Bretagne, Gwuiomarc’h doit capituler.
Mais le peuple breton reprend les armes et chasse les envahisseurs. Alors Louis le Débonnaire tente une nouvelle manoeuvre et nomme en Bretagne un de ses émissaires, le prince Nominoë, un authentique prince breton qui, tout en restant fidèle à son serment de fidélité à Louis le Débonnaire (de 825 à 840) , organise l’avenir en favorisant l’implantation des bretons et en limitant l’influence des francs.
En 840, libéré de son serment par la mort de Louis le Débonnaire, Nominoë se conduit comme un souverain
indépendant face aux Francs (alors gouvernés par Charles le Chauve) . 845 : les troupes de Nominoë battent les Francs à Ballon (près de Redon). Et Charles le Chauve accorde l’indépendance à la Bretagne à laquelle il joint même les comtés de Rennes et de Nantes.
Les Normands
Mais voilà les Vikings qui remontent la Loire jusqu’à Nantes. Ces pirates scandinaves, qu’on appelait encore les
Normands (hommes du Nord), tentent d’envahir la Bretagne, mais n’y parviennent pas durant le règne du roi breton Alain Le Grand. Ils profitent de sa mort, en 908, pour envahir la Bretagne avec l’assentiment des Francs. Vers 919-921 voyant qu’ils ne peuvent pas résister, les chefs bretons prennent la fuite. Il ne reste que les paysans pauvres, abandonnés à la férocité de l’envahisseur, mais qui se soulèvent de temps en temps en un mouvement de résistance populaire.
Enfin, en 936, Alain Barbe-Torte, âgé de 20 ans, petit fils d’Alain le Grand, débarque à Dol et libère le pays des
Normands (en 3 ans de combats). C’est le retour à l’indépendance de la Bretagne, ce qui déplait fortement aux rois de France.
La Bretagne pacifiée, libérée des Romains, des Francs et des Vikings, entreprend alors la construction de
monastères et de châteaux. C’est alors que le Comte de Rennes envoie, sur la frontière de la Marche de Bretagne, une dame veuve, Innogwen et son fils Brient. Ainsi commence l’histoire de Châteaubriant.
Le Pays de La Mée
A l’aube du troisième millénaire, le passé est toujours d’actualité : il aide à comprendre et appréhender l’avenir. Ainsi en est-il de la notion de « Pays ». Voici une analyse empruntée à Serge Jouin sur le Pays de la Mée.
Depuis 25 ans, les notions de pays, de marche, de Mée ont refleuri un peu partout dans notre région ; on parle du « pays de Nozay », du « pays Nortais », du « pays de Châteaubriant », un cépage Gamay du sud de la Loire s’intitule « vin de pays des Marches de Bretagne ». A l’entrée de Châteaubriant, un panneau porte l’appellation : « Châteaubriant, capitale du pays de la Mée » ; et le journal « La Mée », publie des articles variés sur tout ce qui intéresse - ou a intéressé - la région de Châteaubriant, etc...
On peut chercher les raisons de ce curieux renouveau et s’interroger sur ses possibles significations. En tout cas, ces notions de « marche », de « pays », de « Mée » laissent songeurs ou perplexes les gens interrogés ; seule, l’idée de « pays » a quelque résonance, et encore !
Franko-bretonne
Alors, s’agit-il d’une mode ? Cette convergence est-elle au contraire, une sorte de retour, nostalgique ou non, au passé ? Faut-il y voir une réaction contre la vie moderne et la technicité uniformisante, une sorte de besoin, une aspiration locale à des intérêts communs ? Pour répondre à ces questions, le mieux n’est-il pas de faire appel à l’histoire, c’est-à-dire aux textes anciens comme aux plus récents ? Remarquons au passage qu’une étude publiée à Saint-Brieuc en 1886, due à un habitant de Saffré, Alcide Leroux, rassemble dans son titre - sans pour autant les expliquer - tous ces concepts : « Marche du Patois actuel dans l’ancien Pays de la Mée »
Notre recherche ne prétend pas à l’originalité, mais elle permettra aux curieux et aux autres de se faire une idée de ces problèmes à travers, souvent, une recension d’ouvrages qu’il est difficile de consulter ou de trouver.
Qu’est-ce qu’une « Marche » ?
Qu’est-ce que la « Marche de Bretagne ? »
A l’origine, le Pays Nantais était occupé par une population celte, les Namnètes dont la capitale Condevicnum
(Nantes) était située au confluent de La Loire et de l’Erdre. Les limites naturelles étaient : au sud, La Loire ; au
nord-ouest, La Vilaine et Le Semnon ; à l’est, elles étaient plus floues mais correspondaient pproximativement aux limites actuelles du département de la Loire-Atlantique.
Après l’occupation romaine de l’Armorique - qui ne change pas les frontières de la CIVITAS NAMNETUM - après
l’immigration bretonne du IVe au VIIe siècle, l’unité de la Bretagne commence à se dessiner et, au IXe siècle, à
s’affirmer face aux Carolingiens ; c’est donc à partir des heurts entre Bretons et Francs que s’est définie la « Marche franko-bretonne »
Aux VIe et VIIe siècles, la marche (latin marca ; allemand mark) est synonyme de « limite », de « bordure » d’un
domaine comme d’un royaume ; et par extension, la marche « franko-bretonne » forme, non une frontière, mais un vaste territoire qui comprend les comtés de Vannes, Nantes et Rennes, sépare la « Britannia » de la « Francia » - une sorte de no man’s land - et est censée, comme le fameux « limes » romain, jouer un rôle défensif ; mais cette zone poreuse et fluctuante n’est qu’à l’état d’ébauche.
Frontière militaire
C’est vraisemblablement, sous Charlemagne que, pour éviter les raids et les incursions dévastatrices, réprimer les révoltes, s’organise une sorte de frontière militaire, balisée çà et là, et notamment le long des voies romaines, de forts qui facilitent l’observation, le repli, voire l’attaque.
G.Souillet émet l’hypothèse que les guerches (La Guerche de Bretagne) devaient être ces points stratégiques.
Dès lors, on peut penser que cette zone, qui couvre bien sûr le Pays de la Mée, était souvent désertée par les
populations. En raison du péril permanent, causé par les Bretons et les Normands, cette région militaire était placée sous l’autorité d’un chef énergique et brave, le marquis ou préfet qui était aussi comte, le plus célèbre ne fut-il pas le propre neveu de Charlemagne, le comte Rolland ?
Nominoë
Le chef breton Nominoë, fin diplomate et habile militaire, vainquit les armées franques à la bataille de Ballon (845) près de Redon et s’empara purement et simplement des pays de Nantes et de Rennes. C’en était fait de la marche franko-bretonne d’autant plus que le roi de la Francie reconnut, au traité d’Angers (851) à Erispoë, fils et successeur de Nominoë, ces possessions auxquelles s’ajoutait le Pays de Retz.
Les frontières de la Bretagne mettaient pratiquement ainsi fin à la marche que les comtes de Rennes et de Nantes se partagèrent à la fin du règne de Saint-Louis.
Cependant, plus tard, sous la Bretagne ducale, la notion de marche a évolué et pris une autre forme (cf. CINTRE René. Les Marches de Bretagne au XVe siècle) ; à l’intérieur des frontières bretonnes, il existe encore une sorte de marche qui constituait :
1) une zone de passage insensible et floue entre le Duché de Bretagne et le Royaume de France, une sorte
de bande étroite qui courait le long des limites artificielles du duché. C’était la « marka » retrouvée, mais de
l’intérieur.
2) une frontière stratégique et politique, une « marche de la guerre » ; des places fortes sont les véritables
clés du Duché, les « entrées et yssues » du Pays de Bretagne » : « La Guerche, Châteaubriant, Vouventes, La
Chapelle Glen, Ancenis... ». Les termes « mottes », « haies », « roches », « plessis » signalent des places fortes qui datent de la première époque féodale.
3) Une zone plus éloignée de la frontière « le Pays Marchoys » qui constituait un bastion de protection
(Trinteniac - Rennes - Redon - Nantes...)
Enfin, après l’annexion de la Bretagne par la France (1532), existait encore et ce jusqu’à la division de la France en départements (1790) - ce qu’on a appelé « les Marches séparantes d’Anjou, Bretagne et Poitou » (1) ; ces marches qui n’intéressent pas proprement notre région mais le sud de La Loire - bien que sur le plan du droit les textes se réfèrent à La Mée - sont originales car elles sont régies, d’une façon institutionnelle, et ont un statut particulier qui date de 1406 : « Coutumiers des Marches » (2) et dérive en droite ligne des traités « de finibus » conclus entre les souverains (Xe siècle) et de conventions entre seigneurs rivaux (XIIe : « Assises du Bois Céné »). Selon E. Chenon, ces marches « sont des territoires assez étendus, appartenant aux deux pays à la fois, ressortissant au point de vue féodal à l’un et à l’autre, suivant tantôt la Coutume du premier, tantôt la Coutume du second, et formant en définitive entre eux une véritable zone indivise, dotée d’une condition juridique très particulière » (op, cité, p.18).
Voilà ce que l’histoire et le droit nous apprennent sur l’origine et les sens divers de la notion de « marche », sur son évolution. Il n’en reste rien - ou presque - aujourd’hui, si ce n’est, au Massif Central, la région de « La Marche » et plus près de nous la petite ville de Brains-sur-les-Marches, au bord de la forêt de la Guerche.
Le pays de LA MEE
Qu’est-ce que le Pays de la Mée ? De Quand date-t-il ? Quelle est son étymologie ? Que représente-t-il
aujourd’hui ?
I ) Les origines de la Mée
Sans vouloir rechercher la possibilité de correspondance ou de concordance, sous l’administration romaine et
franque, comme le fait Benjamin Guérard dans son « Essai sur le système des divisions territoriales de la Gaule
depuis l’âge romain jusqu’à la fin de la dynastie Carolingienne » (Paris 1832), entre les divisions civiles (la province, la cité, le pagus), dynastiques (duché, comté), irrégulières (la marche), ecclésiastiques (diocèse, archidiaconé,doyenné...), nous serons amené cependant à étudier La Mée en tant que circonscription féodale, ecclésiastique et judiciaire.
1°) La Mée au point de vue féodal
Tous les auteurs, qu’ils soient du XIXe ou du XXe siècle (BIZEUL, GOUDE, ERLANNING, LE BOTERF. cf.
Bibliographie), puisent aux mêmes sources anciennes, à savoir entre autres, le Cartulaire de Redon, le Cartulaire de St-Maur-sur-Loire, la Chronique de Nantes, les Annales de St-Bertin, les diplômes de Charles le Chauve, etc...Et c’est ainsi que l’on voit se préciser le territoire des Namnètes que ne modifie en rien l’occupation gallo-romaine, et naître ensuite le comté de Nantes et le diocèse correspondant.
A l’origine donc, au IXe siècle, suivant le Cartulaire de Redon, apparaît le Pays de la Mée, borné par l’Océan, La
Vilaine, le Semnon, l’Erdre et La Loire. La Mée est donc suivant son étymologie (lat. et celt. Media = milieu), le pays du milieu, entre La Loire et la Vilaine. Le nom de la Mée apparaît dans plusieurs documents, notamment dans une charte de Marmoutiers (entre 1064 et 1074), dans les Annales du Mont St Michel dues à Robert de Thorigny en 1158 et qui rappellent que le comte de Bretagne Conan cède au roi Henri II d’Angleterre la ville de Nantes et le comté de La Mée qui vaut 60 000 sous de monnaie angevine : « In festivitate S.Michaelis venit Conanus comes Rhedonensis et sui Britanni cum eo Abrincas, et reddidit urbem Namneticam cum toto Comitatu Mediae, valente ut fertur LX. Millia solidorum Andegavensis monetae ». (Dom Morice. Preuves I col.130)
Les poètes eux-mêmes n’ignorent pas La Mée, C’est le cas de Robert Wace dans le Roman du Rou ou la geste des Normandz et de l’auteur du Roman d’Aquin ou « la Conqueste de la Bretaigne par le roi Charlemaigne. »
Des sénéchaux laissent aussi leur nom dans l’administration de La Mée. Mais bientôt, à la suite des luttes entre les comtes de Rennes, de Nantes et d’Angers, le Pays de la Mée, en tant qu’unité féodale, disparaît ; c’est chose faite en 1294 ainsi que le montre le Livre des Ostz du duc Jean II puisque la baronnie de Châteaubriant fait partie du baillage de Rennes et la région de Guérande de celui de Nantes, cette même baronnie de Châteaubriant sera au comté de Rennes au temporel, mais demeurera nantaise au spirituel ; et au XIIIe siècle, « la fusion des comtés de Rennes et de Nantes dans un seul état amena sa disparition au point de vue civil et administratif ». (A.Bourdeaut)
Aujourd’hui, seul demeure le toponyme d’Ercé-en-Lamée, situé en Ille-et-Vilaine, témoin de cette époque lointaine. Notons cependant qu’un aveu rendu en 1517 par Jean de Laval, seigneur de Châteaubriant, à Louise de Savoie (mère du roi François 1er) désigne Candé sous la même forme, c’est-à-dire de Candé-en-Lamée. Il n’est peut être pas inutile de faire remarquer que dans la région actuelle de Craon (Mayenne) persistent deux lieux-dits sur les communes de Laudrière (« Le Haut-Mée ») et de Méral (« Mée »), le ruisseau de la « Mée » affluent de l’Oudon ainsi que la commune de « Mée ». Pourquoi cette convergence ? (NDLR : notons aussi que le pont à la sortie de Redon, en direction de Châteaubriant, s’appelle « Pont de la Mée ») (1)
Par ailleurs, on s’aperçoit que les limites orientales du pays de La Mée semblent assez imprécises, ce qui somme toute n’avait rien d’anormal sous l’Ancien Régime. A ce sujet, Olier Mordrel (3) pense cependant que les limites bretonnes, donc celles du Pays de la Mée ne sont pas les fruits du hasard :
« Les mots finis et limes indiquaient la frontière entre deux cités. Trois localités de la Mayenne (Saint-Michel-de-Feins, Saint-Martin-du-Limet et Saint-Saturnin-du-Limet), aux confins de l’Ille-et-Vilaine, indiquent la zone qui séparait les Redones des Aulerques (et nous ajoutons les Namnètes) dans la Gaule celtique. Sur la Loire,
le nom de la petite ville d’Ingrandes dérive du gaulois Icoranda, « limite ». Intéressante remarque du célèbre écrivain breton, mais nous ne pouvons le suivre quand il fait remonter la « Mée » au latin meta, borne, limite, pour la bonne raison qu’il n’existe aucun exemple dans l’histoire où il soit pris dans cette acception.
2°) La Mée au point de vue politique et ecclésiastique
La religion catholique se développe sous l’empire romain, mais c’est semble-t-il, au IXe siècle, sous Nominoë
(826-851) et ses successeurs Erispoë (851-857), Salomon (857-874), que vont se préciser les limites du diocèse de Nantes et que va prendre naissance l’archidiaconé du Pays de la Mée.
Le problème est à l’origine politique ; dans cette zone de marche dont nous venons de parler, caractérisée par des conflits permanents et par la complexité, la précarité et le renversement des alliances, Nominoë, fin stratège qui a la confiance des Bretons et aussi celle de l’Empereur des Francs, Louis Le Débonnaire, auquel il doit tribut « dux in Britannia », qui sait composer, le cas échéant, avec les Normands, accorde son soutien à un moine breton Conwoïon, fondateur de l’abbaye de Redon, que l’Empereur approuve (834) ; c’est le début de la reconquête bretonne : des colonies s’installent au Nord de la Vilaine et dans la presqu’île de Guérande, colmatant ainsi la brèche ouverte aux invasions franques.
Après la mort de Louis Le Débonnaire (840), l’empire carolingien se morcelle, l’un de ses fils, Charles le Chauve, reçoit la Francie Occidentale et, entre autres, la suzeraineté sur la Bretagne. Puis, Nominoë se décide à entrer en lutte ouverte contre Charles le Chauve, non sans avoir mis dans son jeu un allié puissant, le comte franc Lambert II, ce dernier n’ayant pu obtenir l’investiture du comté de Nantes que Charles le Chauve donne au poitevin Rainald.
Le comte Lambert II et Erispoë, fils de Nominoë, battent les Francs le 24 mai 843 au combat de Blain ; le comte
Rainald est tué ; mais les Nantais refusent l’usurpateur Lambert et certains prétendent même que ce dernier n’est pas étranger au massacre perpétué par les Normands à Nantes le 24 juin 843.
Nominoë, au printemps 845, se permet quelques incursions dans le Pays de Rennes et de Nantes, voire même en Poitou et en Anjou. Malgré la défection du comte Lambert qui l’abandonne pour s’entendre avec Charles le Chauve, Nominoë remporte, sur ce dernier, une victoire tactique totale et imprévisible, fin juin, début juillet 845, à Ballon sur le territoire de l’Abbaye St-Sauveur de Redon.
Le traité de paix qui suit (846) consacre l’indépendance de fait de Nominoë reconnu officiellement Duc de Bretagne et, donc la grande victoire historique de la Bretagne sur les Francs. La guerre reprend. Avec l’aide de Lambert réconcilié, Nominoë s’empare définitivement des Marches de Bretagne ; Rennes et Nantes sont prises en 850 ; ils envahissent l’Anjou et le Maine, atteignent Vendôme où Nominoë meurt brusquement le 7 mars 851.
Notons qu’Erispoë bat Charles le Chauve au Grand-Fougeray le 22 août 851, réplique de la victoire de Ballon. Au traité d’Angers, Charles reconnaît à Erispoë le titre de roi, la possession des pays de Rennes, Nantes et Retz, mais surtout Actard est rétabli sur le siège épiscopal de Nantes.
En 852, Erispoë s’empare du Comté de Craon où le comte Lambert s’était constitué une petite principauté
indépendante ; son successeur, Salomon continue la même politique d’expansion et n’hésite pas à s’allier avec les ennemis de Charles le Chauve, y compris les Normands ; en ce qui concerne notre région, par le traité d’Avessac (25 mai 869), contre la promesse des Vikings de cesser leurs ravages, il donne à Hastein, le normand, la possibilité de se ravitailler et de s’établir en Bretagne, Bruno Renoult (4) n’hésite pas à dire : « C’est probablement à cette occasion que fut cédé aux Vikings le pays de la Mée, le pays du milieu, archidiaconé de Lamée entre Loire et Vilaine ».
Ces longues mais indispensables considérations politiques qui fondent la Bretagne historique, ont des conséquences religieuses importantes. Pratiquement indépendant, Nominoë essaie de réorganiser l’église bretonne, et grâce à Conwoïon, son ambassadeur particulier auprès du pape, il obtient le remplacement des évêques francs, accusés de simonie*, par des évêques bretons qui lui sont plus favorables ; en somme, il veut créer une métropole à Dol concurrente de celle de Tours. En 850, Nominoë remplace l’évêque de Nantes Actard par un prélat vannetais Gislard qui d’ailleurs, depuis 845, jouait le rôle de chorévêque (évêque rural) ou plutôt d’évêque franc-tireur à Guérande . L’évêque de Nantes qui ne veut pas se faire dépouiller de son diocèse obtient gain de cause, mais ne peut faire respecter les arrêts rendus en sa faveur ; les Guérandais l’ignorent ; par la suite, les territoires situés entre la presqu’île guérandaise, Fougeray, Châteaubriant, Candé se peuplent d’un fort élément breton et constituent, de fait, un évêché, ou si l’on veut, un archidiaconé sous l’autorité de Gislard jusqu’à sa mort et qui portera ensuite le nom d’archidiaconé de la Mée jusqu’en 1790 ; à cette date, l’archidiacre de la Mée avait sous ses ordres deux doyens : celui de St Jean de Béré pour le doyenné de Châteaubriant (qui avait vu, depuis 875, les communes de Pléchâtel, Messac, Bain-de-Bretagne,
Ercée et St Sulpice, rejoindre le diocèse de Rennes) et celui de Nivillac pour la Roche-Bernard et le pays
Guérandais.
Ainsi, il n’est pas exagéré de dire que l’organisation ecclésiastique du pays de la Mée remonte à l’époque de
Nominoë et du schisme breton.
3°) La Mée au point de vue judiciaire
Concernant ce chapitre, nous suivons intégralement le texte d’A. Bourdeaut sur « La Mée », page 19. (5) :
« Aussi bien La Mée avait son gouvernement propre : elle avait un sénéchal particulier. En 1205, 1206, c’était un grand seigneur, Geoffroy de Châteaubriant. Il figure comme tel dans l’acte de fondation de l’abbaye de Villeneuve et lors de l’enquête ordonnée par Philippe Auguste pour connaître les droits de l’évêque en la ville de Nantes (Dom Morice.Preuves,I,col.186 et 804).
En 1220, l’administration de la Mée présente un nouvel aspect ; le duc de Bretagne, Pierre Mauclerc, et Geoffroy de Châteaubriant y ont chacun leur bailli : Olivier de Cacer pour le Duc et Lambert de Droes pour le sire de Châteaubriant. Deux grands domaines occupent la plus grande partie de la Mée, Guérande, propriété ducale, et la baronnie de Châteaubriant. Les deux baillis que nous venons de nommer attestent et font connaître à tous que Alain de Saffré a cédé tous ses droits à Monseigneur de Rais (R.Blanchard, Cartulaire des Sires de Rais, t.II, p.210).
La création de ces deux baillis en la Mée marque à nos yeux les premiers indices de la disparition de la Mée en tant que division féodale. Vingt-quatre ans plus tard, le sénéchal de Nantes, Renier de Saint Lys, s’intitule sénéchal « Medioe Nannetensis », de la Mée Nantaise, S’il y avait une Mée Nantaise, il y en avait une autre qui ne l’était pas, et nous ne croyons pas nous tromper en disant que cette dernière Mée n’était autre que la baronnie de Châteaubriant, rattachée définitivement à la sénéchaussée ou baillie de Rennes, alors que la Mée Guérandaise fait partie du comté de Nantes, ce qui prouve aussi que l’évêque nantais réussit mieux que le Comte de Nantes et que l’appellation de « Mée » s’est réduite au pays de Châteaubriant.
Curieusement, si la Mée féodale disparaît au XIIIe siècle au moment où les archidiacres apparaissent nommément, on voit au sud de la Loire se maintenir, peut-être d’une façon qui deviendra purement formelle, voire symbolique, le système vassalique des Marches communes pictavo-bretonnes où chaque seigneur féodal ou censier était en réalité seigneur d’une moitié indivise de chaque fief en censive appelé « pour le regard de Poitou le Thouarçais, et pour le regard de Bretagne la Mée ». Gabriel Hullin, procureur fiscal de Tiffauges dit que la Mée provient de l’archidiaconé du même nom, mais qu’on aurait pu tout aussi bien dire le « Nantais ».
II ) Le Pays de la Mée
On vient de le voir la notion de « pays de la Mée » a considérablement évolué au cours de l’histoire, liée qu’elle était à des divisions civiles, dynastiques, ecclésiastiques, militaires, judiciaires, etc..., si bien qu’une superposition géographique s’est révélée la plupart du temps impossible.
Le concept de « pays », hérité du pagus romain, a traversé lui aussi, l’histoire. A l’origine, bourg, village, le pagus est devenu canton, district. Certains pays, de superficie plus ou moins vaste, se sont confondus parfois avec une région naturelle bien délimitée et présentant des caractéristiques propres, mais le plus souvent le pays a compris plusieurs terroirs ; c’est le cas du Pays de la Mée avec, au siècle dernier, la Grande Brière, le vignoble nantais, la zone forestière de Châteaubriant, etc... Le pays, on le sent, est une réalité complexe qui déborde la géographie et l’histoire.
Pagus, pays
C’est que le pays, selon Yves Durand (6) « se définit par des racines communes, un même genre de vie, des
langues régionales, les styles très divers de l’habitat et du mobilier, les manières de table, un certain type de rapports des hommes entre eux, leurs liens de fidélité et de solidarité. Au total, une mémoire collective différente de celle des autres pays voisins ».
Bien entendu, ce qui était valable au XVIIIe siècle l’est encore au XIXe et au début du XXe siècle, c’est-à-dire avant les grands bouleversements socio-économiques des campagnes. Un des grands ethnologues français, créateur de l’ethnographie en France, Arnold Van Gennep (1873-1957) (7), que l’anthropologie sociale et historique actuelle ne renierait pas, a étudié d’une manière scientifique cette notion de pays considérée de quatre points de vue différents : linguistique, archéologique et historique, géographique et populaire, folklorique. Il ne nous est pas possible d’entrer dans le détail, mais nous ferons nôtre cette excellente définition de Van Gennep (textes inédits, p. 89) « La notion de « pays » relève beaucoup plus de la psychologie que de n’importe quelle autre discipline, et apparaît comme partiellement subordonnée à une communauté, je ne dis pas de langue, mais de sous-dialecte, à une communauté d’orientation morale et mentale ; et à une communauté d’intérêts. Ceci nous rapprocherait en théorie pure du domaine économique, mais j’ai déjà dit qu’une collectivité dite paroisse ou commune, ou pagus, a besoin pour vivre non pas d’une monoculture, mais d’une polyculture ; il lui faut toutes les possibilités de vivre, eau, pain, bois, terre à bâtir, terre à potier, métal si possible ; et pour les éléments qui lui manquent, des possibilités d’échanges. Une paroisse ou une commune possède rarement toutes ces possibilités ; mais un « pays », en règle générale les a, et c’est dans ce sens qu’un « pays » peut correspondre à une unité économique ».
Il semble bien que le pays de la Mée - qui correspond approximativement à l’arrondissement actuel de
Châteaubriant, mais s’étend aussi vers Martigné, Pouancé, voire la Guerche - ait eu cette sorte de convergence avec sa langue, le gallo, ses forêts, ses rivières parallèles, son seigle, ses pommiers, son schiste ardoisier, ses mines de fer, ses foires, etc...Le Docteur Tricoire, ethnologue local, ne pourrait qu’approuver, lui qui, comme Van Gennep, a pratiqué la méthode cartographique, avec ses négations et ses affirmations, concernant la langue locale (toponymes en ker, tre, ac, rais, erie, ière, etc...), les chansons (les rimes, les variantes, etc...), les danses (l’avant-deux de Châteaubriant, l’avant-deux de Travers, leurs limites), etc...
Ce qu’il faudrait - mais il est peut être un peu tard - ce serait établir pour une époque donnée, un certain nombre de cartes correspondant chacune à un trait de caractère, à une coutume (les feux de la St-Jean), à une façon de penser, de manger, de dormir (merienne), de s’habiller, de lire, etc... Il est à peu près certain qu’une superposition de toutes ces cartes, accompagnée d’un commentaire approprié, ne manquerait de donner une physionomie collective au pays.
Citations de Serge Jouin, Le Pays de Châteaubriant
Aujourd’hui, le Pays de la Mée n’existe plus officiellement sauf pour les amoureux de l’histoire. Par contre, « Le Pays de Châteaubriant » au sens administratif du terme, a été créé le 1-12-1975 et « un contrat de pays » a été agréé le 09-02-1977 ; le regroupement intéressant 24 communes de cinq cantons : Derval (sauf Jans), Moisdon-La-Rivière St Julien de Vouvantes, Rougé et Châteaubriant ; ces communes se sont associées à l’origine pour la collecte et le traitement des ordures ménagères et, peu à peu, ont développé leurs compétences (désenclavement - amélioration du cadre de vie - mise en valeur des ressources locales - etc...) et ont reçu des subventions de l’Etat et du Département.
La notion de « Pays de Châteaubriant » s’est élargie au cours de l’année 2000, en englobant le « pays de Nozay » et en élaborant une « Charte de Pays », véritable programme de développement pour les dix années à venir.
Administrativement le Pays de Châteaubriant s’étend actuellement sur 33 communes des cantons de Derval (y
compris Jans), Moisdon-La-Rivière, St Julien de Vouvantes, Rougé, Châteaubriant et Nozay, avec vocation à
s’élargir à d’autres cantons du nord de la Loire-Atlantique, et à travailler avec les pays de Pouancé, Martigné
Ferchaud et La Guerche. Ndlr : il a été supprimé quelques années plus tard
Une nouvelle solidarité est née
Aveu de Goulaine 1534
(1) Sous l’Ancien Régime, l’aveu est l’acte par lequel un vassal reconnaît tenir de son seigneur des fiefs, terres
ou droits divers. Il est accompagné de la description détaillée de ces biens et présenté devant la Chambre des
comptes. Citons l’aveu de la Châtellenie de Goulaine (près de Nantes) qui a été présenté en 1534 devant la Chambre des comptes de Bretagne. La Chambre des comptes de Bretagne a été installée à Nantes, à l’initiative d’Anne, duchesse de Bretagne et Reine de France. La Préfecture de la Région Pays de Loire siège actuellement dans l’ancien Palais de la Chambre des Comptes de Bretagne.
Eléments d’histoire de Bretagne
Voyage de Candé à Rennes par Châteaubriant Par Dubuisson, XVIe siècle : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k73687p/f30.table
La bataille d’Auray 1364, http://www.agencebretagnepresse.com/fetch.php?id=19992
Une statue pour Nominoë : http://www.agencebretagnepresse.com/fetch.php?id=19945
Post-scriptum :
(1) CHENON Emile. Les Marches séparantes d’Anjou, Bretagne et Poitou. - in « Nouvelle revue Historique de droit... » (1892)
(2) (cf. in « Nouvelle Revue Historique de droit »...(1892). Archives Loire-Inf. E.186)
(3) Olier MORDREL. La Bretagne, F.Nathan 1983 (page 25)
(4) Bruno Renoult. Les Vikings en Bretagne. Barcelone 1985, page 39
(5) A.BOURDEAUT. in Bull Soc.Hist.et arch. Nantes T 72-1932
(6) Yves DURAND. Vivre au pays au XVIIIe. P.U.F.Paris 1984 Van GENNEP, Nicole Belmont. Payot. Paris 1974 Textes inédits sur le folklore contemporain. Maisonneuve et Larose. Paris 1975
(*) Simonie : action de vendre à prix temporel une chose spirituelle