René CHRETIEN : Souvenirs de captivité
René Chrétien, de St Vincent des Landes, appartenait au 6e Régiment de Dragon, avec deux autres gars de sa commune : François Roiné de Rougerand, Francis Briand de la Tripardais. Il raconte :
« Après les combats de la frontière luxembourgeoise, la première quinzaine de mai 1940, nous nous retrouvons sur la Somme, les 5 et 6 juin ; combats de retardement pour permettre aux Anglais de rembarquer. Puis sur la Seine afin que le plus de troupe possible passe sur les ponts avant qu’ils ne sautent.
Marchant de nuit pour éviter les mitraillages de l’aviation et à travers bois et champ pour éviter les colonnes blindées, nous parvenons, fin juin dans la forêt de la Guerche. L’ennemi sait-il ou non que nous sommes là ? en tout cas il nous ignore. Il y a là, non seulement le 6e Dragons, mais le reste d’une brigade de cavalerie avec son général. Il y a appel chaque jour dans une clairière et les manquants sont portés déserteurs.
Nos chefs ont dû entendre le discours de Pétain et l’appel de De Gaulle et les discussions doivent être ardues. Le capitaine de mon escadron serait partisan de continuer, comme nous le faisons, depuis la Somme, et de gagner la côte. Finalement cette solution n’est pas retenue et un matin nous montons à cheval, sans armes, en direction de Châteaubriant. Bientôt des motocyclistes allemands nous escortent pour interdire toute fuite. Pourtant, un camion conduit par Paul Bourdeau de Jans avec un sous-officier réussira à s’enfuir et gagnera Jans.
Bien avant Châteaubriant la colonne s’arrête. Nos officiers mettent pied à terre et des officiers allemands se partagent les chevaux. Nous continuons. Entre Soudan et Châteaubriant on nous fait abandonner nos chevaux dans un champ et on nous parque dans le champ à côté. Quelques hommes sont de garde à l’entrée du champ. Il est facile de fuir et quelques-uns ne s’en privent pas. J’aurais tout loisir de regretter de m’abstenir car quelques jours après on nous embarque dans des camions et nous quittons Châteaubriant par la route de St Nazaire. Nous allons donc passer à St Vincent et je griffonne quelques lignes sur un papier que je jette en passant à la gare. Il sera transmis à ma mère.
On nous débarque à la Chapelle-Launay dans un camp anglais. Dans un hangar il y a des ballots de tenues militaires. Les Anglais ont tenté leur destruction, avant de fuir, en répandant de l’acide, qui n’a fait que peu de dégâts. On nous charge du tri. J’en profite pour piquer deux chemises - plus chaudes que les nôtres - qui me seront bien utiles pour les hivers qui nous attendent.
Enfin après quelques jours on nous emmène au camp de Savenay : le champ de courses. Là, on nous distribue une gamelle de soupe qui est la bienvenue car nos ventres crient famine. Il y a bien des jours que nous avons croqué notre biscuit et la barre de chocolat : vivres de réserve à ne consommer qu’à toute extrémité !
La guerre est bien finie et nous espérons la démobilisation. Espoir conforté par nos gardiens qui nous disent : « Ah ! Meussieu krieg fertig, vous retour madame ! ». En fait de libération on nous emmène un beau jour à la gare de Savenay et on nous entasse à une centaine dans des wagons faits pour 50. Et nous espérons encore ! Départ en direction de l’Est. On réussit à lever le loquet extérieur et à ouvrir la porte du wagon.
L’adjudant Zambo - un Corse - se met en petite tenue et bondit hors du wagon, aussitôt après le passage d’un pont, pour éviter le tir des mitrailleuses de l’arrière du train que l’on entend parfois : tirs d’intimidation ou sur des fuyards ? On franchit la Seine à Rouen. Plus loin le train s’arrête en pleine campagne. Dans un champ, le long de la voie, des gens arrachent des pommes de terre ; ils se sont redressés et nous regardent. Un, qu’on prend pour un peu simplet, descend du wagon comme s’il débarquait chez lui, dégringole le remblai et se réfugie sous un pont que nous surplombons. Les gens, en face, n’ont pas fait un geste bien sûr et le train repart sans que les "chleux" aient eu une réaction.
Nous sommes en Allemagne, nous traversons la Ruhr où des ouvriers sortent dans les cours d’usines et nous regardent. Cette fois finies les illusions. Nous arrivons à Altengrabow - Allemagne du nord-ouest - stalag XI A. Nous sommes alignés sur le quai, on nous compte. Des officiers inspectent les wagons ; ils ressortent en riant de l’un d’eux. Très peu de prisonniers en sont sortis. Ils avaient réussi à faire un trou dans le plancher et beaucoup s’étaient échappés. Nous pénétrons dans le camp au milieu de camarades déjà là qui nous abreuvent de conseils : « Vous allez passer à la fouille, donnez-nous vos couteaux, rasoirs, cuirs, vêtements en double, nous vous les rendrons ». Comme beaucoup d’autres je ne veux rien en croire et effectivement je serai délesté de mon couteau, mon rasoir, ma chemise en double et la ceinture en cuir. J’aurai droit à une ficelle pour tenir mon pantalon. Ce sont des Polonais, prisonniers avant nous, qui procèdent aux fouilles et se montrent si zélés. Ils baisseront encore plus dans notre estime quand nous les verrons se battre entre eux autour des bouteillons de soupe. La faim nous tenaille mais nous n’allons pas jusqu’à cette extrémité. Nous sommes logés dans des bâtiments où des bas-flancs couverts d’un peu de paille, pullulant de poux, servent de lits. Nous nous retrouvons là, presque tous les 6e Dragons avec nos sous-officiers.
Quelques jours après, on nous embarque dans des cars, sauf les sous-off qui ont pu faire valoir leur droit de ne pas être assujettis au travail selon la convention de Genève. Après cinq ou six heures de route on arrive dans un village : Alversdorf où des baraquements assez confortables nous attendent. La ville importante la plus proche est Helmstedt à dix kilomètres. Dans les jours qui suivent, nous découvrons la mine de charbon où nous allons passer cinq ans !
A la porte de notre camp, désignation Kommando 1214 où je porte le numéro 64 473, un poste de garde d’une dizaine de sentinelles sous les ordres d’un feldwebel. Nous sommes répartis en équipe et chaque matin, une sentinelle nous conduit sur les lieux de travail. Il s’agit de travaux de terrassement, de déplacement de voies, portage de rails et traverses. C’est une exploitation à ciel ouvert. D’énormes dragues enlèvent la terre qui recouvre le charbon. La terre est chargée dans des trains qui la transportent à l’opposé pour le remblaiement. Aux alentours des usines : briques de charbon, essence, etc.
Après quelques jours, les gens de métier sont affectés aux ateliers de réparation et d’entretien. C’est mon cas et je passe sous les ordres d’un Allemand pas très commode, pour des travaux de forge, de rivetage, de coupe au chalumeau. Des camarades des chantiers nazairiens,(il y en a cinq ou six), s’y reconnaissent parfaitement.
Nous nous organisons au mieux dans cette vie bien monotone. Bientôt nous pourrons écrire à nos familles une lettre mensuelle qui comporte un coupon-réponse et nous aurons ainsi le grand réconfort de quelques nouvelles mais bien abrégées car la censure allemande veille. Nous recevons aussi des colis de nos familles, puis, plus tard, de la Croix Rouge et enfin des colis-rations de l’armée américaine avec le chocolat et le café en poudre : régal inconnu de nous jusque là.
Malgré ces quelques lueurs, notre moral est au plus bas ; surtout durant l’année 1942 qui voit les Allemands parvenus aux portes de Moscou et les Italiens victorieux en Afrique.
Nos gardiens, après quelques temps, se sont bien humanisés et nous laissent mener une vie paisible. Nos heures de loisirs se passent en jeux de cartes, théâtre, etc.
Mais voilà qu’un camarade, un Nazairien, s’évade avec l’aide de son frère venu en Allemagne en travailleur libre. Un nouveau poste arrive sous les ordres d’un petit sous-off particulièrement haineux et c’est l’enfer. Réveil en pleine nuit, douches, "pelotte" (c’est-à-dire course autour des baraquements avec force coups de pied et de crosse pour ceux qui ralentissent). Les temps de loisir se passent en appels, debout, immobiles dans la cour par tous les temps. Un camarade d’origine polonaise qu’ils ont pris plus particulièrement en grippe, ne le supportera pas et se pendra. Notre aumônier réussira à porter plainte au Stalag et après quelques mois le poste sera changé et nous retrouverons la paix.
En mars 43 je suis atteint d’une hernie. Le médecin allemand qui nous a en charge tente de la réduire, puis me renvoie au stalag pour opération. C’est ainsi qu’accompagné d’une sentinelle je gagne Fallingbostel. A Hanovre, changement de train et j’ai tout le temps d’admirer une gare magnifique avec une verrière superbe. Des jeunes en tenue nazi sans cesse le bras tendu et le « Heil Hitler » à la bouche. Au stalag je retrouve quelques camarades du 6e Dragons et à l’hôpital le médecin du régiment qui m’avait soigné pour une chute de cheval à Vincennes. Il participe avec d’autres médecins français et belges à mon opération qui se passe sans problèmes. J’ai largement le temps de m’en remettre car en octobre 43 je suis toujours là.
Durant ces six mois, passés peinardement pour moi, nous ressentons tous le commencement de la fin pour les nazis. Nous entendons souvent la nuit le grondement des escadrilles qui vont bombarder et nous voyons parfois des lueurs des incendies dans les villes les plus proches. Tout cela nous réchauffe le cœur. La guerre en Russie est grande dévoreuse d’hommes et nos gardiens se font de moins en moins nombreux. A la Kartei c’est-à-dire l’administration du Stalag XI B, les Français assurent quasiment le travail. L’un d’eux me donne des nouvelles des camarades de St Vincent appartenant au XI B : les frères Laloué de Pointsimon et Marcel Chailleux de la Magdeleine. Ce dernier appartient à un bataillon de couvreurs chargé d’aller de ville en ville réparer les toitures atteintes par les bombardements.
Enfin en octobre 43 me voilà reparti, toujours avec une sentinelle, l’arme à la bretelle, vers ce que je pense être mon kommando. Or, après un long voyage - nous avons couché une nuit dans un kommando je ne sais trop où - nous arrivons au kommando 1412 - et non 1214 - dans une région boisée du cœur de l’Allemagne. C’est un kommando disciplinaire d’une douzaine de Français qui m’interrogent âprement. Eux, ils sont là pour fréquentation trop voyante de fraülein, évasion ou autres exploits.
Comme je n’ai rien à leur avouer ils se méfient de moi. Le soir on nous enlève nos pantalons pour la nuit. Chaque matin une sentinelle nous emmène à quelques kilomètres casser de la pierre dans une carrière. Les masses ne tombent pas avec une grande énergie ! Le patron, un vieux, n’exige aucun rendement et la sentinelle non plus. Heureusement car nos forces sont limitées. Un jour on nous donne du lait de beurre, ce qui me fait aller au sang et il me faut m’en abstenir. Un camion vient parfois charger et nous en profitons pour le retour au village quand c’est en soirée. Après quelques semaines, retour au Stalag, puis nouveau départ pour mon kommando.
Je repasse en gare de Hanovre délabrée. De la verrière il ne reste que quelques parties de charpente soutenues par des poteaux de bois. Les fenêtres des immeubles, en face, sont obstruées par des planches. Plus de jeunesse joyeuse ; les gens, tête basse, se croisent sans mot dire.
Je retrouve enfin mes camarades à Alversdorf. Là aussi grand changement. Nous nous rendons au travail librement. Des baraquements autour des nôtres sont remplis par des Russes, militaires ou civils, des Ukrainiennes vêtues misérablement, des Italiens de l’armée Badoglio. A l’atelier je ne retourne pas aux ordres de mon « vieux ». On m’adjoint un camarade et on nous donne quelques travaux de meulage ou des séries à forger au pilon. Là aussi le meister n’exige aucun rendement !
Juin 1944. La France est libérée et c’est pour nous la cessation des colis familiaux. Nous compensons en rapinant ! Mais si les sentinelles sont moins nombreuses pour nous surveiller efficacement, les « polizei » et leurs chiens sont redoutables. Des camarades surpris à piquer des patates dans les silos, ou des feuilles de tabac dans les jardins, sont ramenés les vêtements en lambeaux.
Le 1er mai, toute une armada de camions de l’U.S. Army se présente et est immédiatement prise d’assaut. (...) »
René Chrétien explique ensuite qu’il prend le train, sur un wagon plate-forme : « Le train n’avance que très lentement. Souvent les voies détruites ont été reconstruites au bord des routes. Nous contemplons les villes entièrement rasées où subsistent parfois les murs des églises ! Nous laissons le passage aux trains qui montent et les Américains nous jettent des cigarettes et du chocolat. Ces arrêts sont parfois longs et je me souviens que j’aurai le temps d’aller prendre une boisson chaude que des gens compatissants ont préparée dans une ferme proche de la voie.
Nous passons le Rhin sur un pont de bateaux - ce qui est très impressionnant - à Cologne. Nous débarquons à Vervins. Le 8 mai nous sommes à Paris. C’est l’armistice demandé par l’Allemagne et la ville est en folie. Nous sommes entourés, embrassés. Je parviens par le métro à me rendre à Clichy où des cousins me racontent l’affaire des martyrs de Châteaubriant. Encore une nuit dans un dortoir du côté de la Place d’Italie et le lendemain à 8h45 embarquement à Montparnasse. Arrivée en soirée à Châteaubriant. Sur le quai se trouve M. Huard le maire de Châteaubriant. Je suis attendu à St Vincent des Landes. Toute la commune est en fête et on danse, paraît-il, depuis la veille pour célébrer la victoire. Ma mère aussi est là et c’est à son bras que je rentre à la MAISON ».
René Chrétien, Matricule 64 473, Stalag XI B, Kommando 1214, Allemagne
La pression des Alliés est de plus en plus forte. Des escadrilles nous survolent nuit et jour. Nous sommes témoins d’une collision en vol. Les deux avions tombent en flammes.
Début 1945 nous apprenons que les Alliés ont pénétré en Allemagne. Un soir nous trouvons le kommando vide de nos gardiens. Nous sommes libres ! Plus heureux que nos camarades de l’Est de l’Allemagne qui devront faire retraite avec leurs gardiens devant les Russes. Le 11 mars une jeep pénètre au kommando avec des officiers américains. Notre vie est organisée. Les Allemands devront nous fournir du pain que nous allons chercher chaque jour à la boulangerie. Un camarade qui a voulu en acheter - nous avons de la monnaie de camp - se voit menacer par le maire. Sur sa plainte deux chars prennent position de part et d’autre du village ! Il faut que les Allemands se forgent eux aussi une âme de vaincus !
L’évasion d’un prisonnier de guerre : Léon RICOUL
Il s’agit de Léon Ricoul.
A lire sur le Site de Moisdon la Rivière :
http://www.moisdon-la-riviere.org/articles.php?lng=fr&pg=206