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Souvenirs de jeunesse

Ecrit le 13 mai 2015

Six cents sangsues

Pierre André Martin

’’Si six cents sangsues sont sur son sein sans cesser de sucer son sang, ces six cents sangsues sont sans succès’’ .. le vieil homme se remémore les comptines de son époque, comme dérivatif à la douleur qui l’habite. Un streptocoque, n’est-ce pas, une jambe énorme et cet interne qui lui a dit « vous auriez attendu vingt-quatre heures de plus pour venir nous voir, on vous emmenait à la morgue ». La proximité d’une mort, heureusement déjouée, l’aide à convoquer à son chevet les fantômes du passé. D’où le livre que Pierre Martin, né à Châteaubriant, consacre à ses ascendants, brodant « autour des détails qui me sont parvenus, un patchwork d’anecdotes que j’ai reçues décousues, si ce n’est en lambeaux », aidé en cela par un ensemble de documents anciens trouvés dans le grenier de ses grands parents maternels.

Dreyfusard

L’arrière grand-père maternel de Pierre Martin, n’est autre que Pierre Simon, ancien maire de Mouais, qui, quittant l’agriculture, installa au pied de l’église de Derval son bureau de tabac, buvette, dépôt de journaux, librairie, confiserie. « 1903, quand tout le village, souvent même en procession, son curé en tête, réclamait la mort du traître [Dreyfus], du représentant de ce peuple honni accusé d’avoir laissé assassiner le Christ, mon grand-père était le seul à mettre en doute l’honnêteté des enquêteurs » « Son obstination était ressentie par ses concitoyens comme une incongruité incompréhensible puisqu’il restait croyant et allait à la messe ».

Diabolique

A l’époque il y avait des messes toutes les heures, de six heures à midi. L’église était si bondée qu’il manquait des chaises et que les derniers arrivants empruntaient les tabourets de la buvette. Après la messe, ils se précipitaient dans la buvette en groupes bruyants pour acheter leur tabac. Les journaux vendus dans la boutique étaient, pour une partie d’entre eux, considérés comme subversifs par le curé et ses assistants, suivis aveuglément par une majorité d’habitants. Beaucoup pensaient que ces « publications diaboliques » n’étaient achetées par personne mais, en cachette, certains venaient les chercher en passant par la porte de derrière.

Photo : Pierre Simon et son épouse

Pierre Martin raconte très bien comment les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat provoquèrent des échauffourées à Derval le 30 octobre 1903 et comment sa famille continua à être victime de la vindicte des prédicateurs de choc qui émaillaient leurs prêches d’allusions plus ou moins directes à « la maison du diable, au pied de l’église ».

C’est dans la boutique de son père, Pierre Simon, que sa grand’mère Léonie fit la connaissance de Baptiste Briand, installé déjà comme bottier dans une échoppe, aujourd’hui disparue, au coin de la place de l’église à Derval. De leur union naquirent quatre filles, dont l’aînée, Léone, fit des études à l’Ecole Normale de Nantes.

Rouges

Léone, comme ses sœurs, allait à l’école publique avec les enfants de l’Assistance Publique. Chez le curé, les fillettes mettaient un point d’honneur à savoir leur catéchisme, par coeur, mais elles durent se résigner à toujours s’asseoir sur le dernier banc de la salle du catéchisme, « réservé aux élèves de l’école publique, réputés aux yeux du curé moins intéressés, peut-être même incroyants, sinon rouges, en tout cas enfants de rouges ».

Un jeune instituteur, André Martin, frais émoulu de l’école normale de Savenay fut nommé à Derval pour la rentrée de 1930. Il tomba sous le charme de Léone. Le jeune couple fut ensuite nommé à Châ-teaubriant pour l’année scolaire 1932, elle à l’école de filles Aristide Briand, lui à l’école de garçons des Terrasses où ils obtinrent un logement de fonction. C’est là que naquit Pierre Martin, 20 février 1933.

Certificat de baptême

Le livre de Pierre Martin se lit comme un roman. Il fourmille d’histoires, comme celle de ce matin de la Toussaint 1942 où le grand-père fut invité à fournir un certificat de baptême pour prouver qu’il n’était pas juif. ’’Ta femme est née Simon, ce peut être un nom juif’’ le prévint un ami. Peut-être certains lui en voulaient-ils encore d’avoir été Dreyfusard, le seul du village !

Les 3G et les 3S

Enfant à Châteaubriant, il se souvient de l’éducation donnée par sa maman Léone, directrice de l’école laïque, incitant les pensionnaires à pratiquer au moins trois vertus dans la journée : les 3G par exemple (générosité, gentillesse, grati-tude) ou les 3S (sincérité, solidarité, sollicitude). Les cours d’anglais se fai-saient sous forme de jeu. La couture et les travaux d’aiguille étaient appréciés, y compris par lui-même, qui savait tricoter.

Gueules cassées

Chez son oncle Chailleux, qui tenait un café-tabac place des Terrasses, Pierre côtoyait les Anciens Combattants de la Grande Guerre, ces ’’gueules cassées’’ qui avaient hérité chacun d’un surnom : Gazeux, Bradonneur, Bascul, Béquille. Et Beloeil qui sortait son œil de verre pour l’essuyer avec un mouchoir. « En tournant ainsi leur handicap en dérision, chaque jour, à chaque instant, ils devaient certainement mieux supporter leur existence diminuée » et leur jeunesse brisée.

Occupation

Le 14 juillet 1939 fut ’’la dernière fête au paradis’’ avant l’étrange défaite, puis l’arrivée des Allemands à Châteaubriant. Pierre Martin évoque longuement leur séjour à l’école Aristide Briand qui servait de pensionnat pour 20 à 40 jeunes filles, selon les années, toutes en uniforme, jupe et veste bleue, corsage blanc, capeline de feutre pour l’hiver et de paille pour l’été car, à l’époque, sortir ’’en cheveux’’ était incorrect. « Nous chantions, en tout cas jusqu’au jour fatal de la fusillade des otages, le ridicule ’’Maréchal nous voilà’’, par dérision, en ajoutant après Maréchal, ’’par devant’’ et après ’’nous voilà’’, ’’par derrière’’ ou des variantes ’’Maréchal par dessus, Nous voilà par dessous’’.

Pierre Martin se souvient, ce 22 octobre 1941, des camions ’’qui chantaient’’ la Marseillaise, de l’exécution des vingt-sept otages, et de la ville qu’il ressentit, le lendemain, comme ’’frappée de stupeur’’.

La grenouille

Le livre est plein de détails concrets de la vie quotidienne : les matchs de foot entre les Voltigeurs du curé et l’équipe de l’amicale laïque – la bouillie de blé noir qui faisait l’ordinaire et le régal du déjeuner du jeudi – la chasse aux grillons et aux hannetons - ’’les prunes noires qui sont vertes quand elles sont rouges’’, les voitures à gazogène, et ’’la grenouille’’ nom donné à la petite camionnette verte de la poste qui transportait le courrier entre Châteaubriant et Derval et les communes environnantes, : le chauffeur complice l’enfouissait, comme un passager clandestin, sous les sacs postaux.

Il raconte l’étoile jaune que portaient certains élèves dans sa classe, la perquisition chez lui des miliciens français à la recherche de livres ’’suspects’’, l’alerte du 6 juin 1944 à Châteaubriant, sa chute dans la tranchée qui fit de lui un des blessés du jour du débarquement, le bombardement du 6 juillet qui rasa une aile du château, l’avion qui s’écrasa près de la gare de Derval, les enfants qui jouaient à la guerre, ’’numérotant leurs abattis’’ avec de l’encre pour faciliter leur rassemblement par les infirmiers après leur éparpillement par les obus. Dans sa famille, les couteaux portaient un nom : Hitler pour le plus grand, puis Mussolini le moyen, Franco en forme de navaja, Laval le tordu ! Il n’oubliera jamais son désespoir quand son copain, dont toute la famille fut assassinée à Auschwitz, manifestera sa détestation de l’humanité et refusera de jouer à nouveau avec lui.

Il raconte enfin les premiers jours après la Libération de Châteaubriant et les exactions des FFI de la dernière heure. Il raconte le décès de sa maman, à 37 ans, alors que lui, âgé de 12 ans, attendait son Papa, encore prisonnier, qui apprit son veuvage par un ancien élève dans le train du retour….

Livre de 300 pages, plein d’émotion, 20 €, en vente chez l’auteur : 100 Rue d’Amsterdam 75009 Paris. Téléchargeable aussi sur ordinateur ou tablette par Amazon, Kindle et autres pour 15,99 €.

Souvenirs de jeunesse

A l’occasion d’une hospitalisation, Pierre convoque en rêve à son chevet les disparus qu’il a aimés et les ancêtres dont il imagine l’existence. Il évoque le paradis d’une enfance illuminée pendant toute la guerre par l’affection des pensionnaires de l`école que dirige sa mère. Elles deviennent toutes, par les simulacres de mariages qui émaillent leurs jeux, autant d’épouses attentionnées. Elles font de lui « un polygame en culotte courte » car il prend son rôle de petit mari très au sérieux. Les troupes allemandes occupent le rez-de-chaussée de l’école et il les observe du premier étage en compagnie de ses épouses. C’est de là que part le peloton d’exécution qui va fusiller Guy Môquet, dans une carrière où les pensionnaires avaient l’habitude d’aller en promenade le jeudi et le dimanche. Ce drame et la déportation de compatriotes d’origine juive, dont celle de la famille de son copain David, attisent les mouvements de résistance dans toute la région. Il s’apitoie malgré lui sur les malheurs de l’officier allemand échappé de l’enfer de Stalingrad, dont la famille entière a disparue dans le grand bombardement de Coblence. Cet officier musicien l’aide à répéter à distance, au piano, les fameuses variations de Mozart qui constituent le titre du livre. Sa Maman meurt un mois et demi avant le retour de captivité de son Papa, objet d’une longue attente, de 1940 à 1945. Un reste de fièvre le fait délirer, avant de quitter l’hôpital, guéri de sa maladie mais pas encore délivré de son passé.