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Portugais : dis, c’était comment, la France ?

Ecrit le 11 février 2009
Histoire de vies

L’association Rencontres a exposé, dans son local de la Ville aux Roses, des photos du petit village portugais Resende, dans la vallée du Douro. « C’est le pays d’origine de cinq Portugais qui ont vécu et travaillé à Châteaubriant. Dans le cadre de l’activité "Recueil d’histoires de vies", nous avons voulu entendre ceux qui sont partis et revenus au pays, et aussi ceux qui n’ont jamais quitté le village » dit Fernando Riesenberger.

Clothilde, Régis, Yves et les autres sont allés à Resende « Nous avons écouté, observé, partagé et surtout beaucoup reçu, accueil chaleureux de gens qui vivent dans la simplicité ». L’association a le projet de réaliser un livre avec ces témoignages. « Nous savons que nous en aurons pour des années. Et après le Portugal : la Turquie, pour que Châteaubriant se souvienne des femmes et des hommes venus d’ailleurs qui ont participé et participent à l’histoire de cette ville ».

Voici une partie des témoignages de ceux qui ont passé des années à Châteaubriant et sont de retour dans leur pays d’origine.

Partir

Maria : « Mon mari a émigré quatre ans avant moi. Je suis allée le rejoindre après qu’il est arrivé à Châteaubriant. C’était dur de laisser mes parents, mes frères, mes soeurs, mon pays. Et me retrouver dans un pays que je connais pas, personne, la langue. C’était très dur, mais avec le temps j’étais obligée de m’habituer. C’était dur au début. À la maison ça va. Mais pour faire les courses, moi, c’était très compliqué ».

Lourenço : « Revenu d’Angola je suis arrivé à mon pays natal. Je me suis engagé pour former une famille. Je me suis marié et puis j’ai essayé de faire ma vie le plus, le mieux… Enfin... De plus en plus mieux quoi. J’ai eu deux enfants. Enfin pas moi mais ma femme !... Mais je te dis la vie était vraiment, vraiment difficile. C’était dur pour nous mais pas pour les patrons...

Sous la dictature, on travaillait comme des esclaves et puis la paye à la fin du mois il ne venait pas. Et puis un beau jour j’en avais marre et je me suis inscrit. J’ai émigré. Je me suis choisi la France, Suisse, Allemagne, je m’en foutais quoi... Le premier qui arrive c’est là que je vais. Je vais disparaître d’ici. Je peux pas continuer comme ça parce que les enfants, le loyer de la maison à payer, la nourriture d’une famille, pour rien du tout. Travailler comme des esclaves et puis on avait pas de sous. On fait quelque chose : c’est là la cause qui m’a obligé à partir. On pouvait pas partir comme ça à l’étranger sans passeport, rien du tout. Donc on a passé clandestin ».

Danilo : « Un jour, j’ai décidé, je pars. J’ai demandé à mon père pour me prêter de l’argent. Mais mon père il disait qu’il pouvait pas. Mais moi je savais qu’il avait de l’argent. Il a jamais voulu me le donner. Mais moi dans la nuit, j’m’étais levé, j’ai été dans son portefeuille, j’l’ai piqué de l’argent… Entre temps, j’ai demandé à une dame si elle voulait me prêter de l’argent et la dame elle m’a dit tout de suite quant tu veux à l’heure que tu veux, et l’argent que tu veux… J’ai contacté quelqu’un qui faisait le passeur. Il dit : si tu veux venir en France ou si tu veux aller en Espagne je t’emmène, je trouve du boulot ou ceci ou cela. J’ai contacté un de ces gens là. Secrètement parce qu’à l’époque c’était le temps de Salazar, fallait pas trop en parler parce que autrement on en allait en prison tout de suite… J’suis rendu à tel endroit, y m’a pris avec sa voiture et a emmené trois ou quatre. Ils m’ont pris jusqu’ à la frontière… On a dormi là-bas avant la frontière espagnole. On a été dans une ferme où on a couché. On est restés là-bas dans un plateau qui était plein de châtaignes. On a dormi à sept dedans. Sur les châtaignes qu’étaient pas épluchées. On est restés le dos tout tordu là dedans »

Emilio : « J’ai passé la montagne comme les lapins. J’ai mon grand frère qui est venu en France. Lui il savait pas lire, il savait pas écrire. Il est parti la même année que moi. J’avais 18 ans. 18-19 ans. 19 ans. Nous monter tout seul entre Portugal et Espagne, tout seul. Je suis parti avec un autre. L’autre habitait à 150 km de nous. Il est venu jusqu’au village de nous et le soir je suis parti par la montagne avec lui pour l’Espagne… Je l’avais pas dit aux gens du village que nous partions comme des lapins. Non. Les personnes qui voulaient du mal aux autres, elles pouvaient téléphoner à la police. C’est secret. Mes soeurs et mon frère, eux savaient. Je dis j’ai fait le tour, je vais voir ce que je gagne ».

Alzira : « Moi j’ai habité ici jusqu’à 30 ans chez mes parents. C’est le travail d’agriculture… Je savais que quand je me marierais, j’irais tout de suite. J’avais envie. Nous nous sommes mariés, et deux jours après nous partons tout de suite. J’arrive là à Châteaubriant le samedi à Pâques. Et c’est bien. On va au marché... acheter les choses pour le dimanche pour le dîner. C’est bien. Nous avons fait le voyage en train à partir de Villa Formoso. Mon mari avait ses papiers pour la France. Quand moi j’étais arrivée en France, j’ai fait les papiers ».

Arriver

Léonida : « Quand je suis arrivée, y’avait des Portugais, mais que des hommes. Il y avait six ou sept bonhommes comme ça, sans les femmes. Donc j’étais la première à arriver à Châteaubriant. Donc ça été plus dur pour moi, quoi. On habitait rue Basse à l’époque. Quand j’ai parti de la maison, j’en avais marre parce qu’elle en avait pas trop de fenêtres. C’était humide. Il faisait toujours noir là-dedans. On a été quatre ou cinq ans sans venir au Portugal ça été très dur aussi... Après quand on avait le téléphone - les cabines au début - eh ben on écrivait… Et puis après quand on a eu les cabines on téléphonait de temps en temps le soir pour... pour avoir contact avec la famille. Tous les ans, on venait en vacances… et puis on restait chez les parents. Je pense qu’ils étaient contents de nous voir…

Dans le temps on disait « oh voilà les immigrés, tout va être plus cher » ! Les gens ils étaient jaloux même ici hein…. Ils vont pas dire c’est le boulot. Ils vont pas regarder ce que l’on fait. Ils vont regarder : Ils sont riches. Mais ils disent pas : c’est parce qu’ils ont travaillé. Mais enfin c’est comme ça, c’est partout pareil ça »

Alzira : « Et puis voilà ça a été très dur parce que je savais pas causer. Donc j’en ai beaucoup pleuré….Les trois premiers mois… Beaucoup pleuré… Mais après ça a été » Je n’ai pas pris de cours pour apprendre le français. J’avais la télé. Je parlais avec beaucoup de monde. À la maison, on parlait portugais. Les enfants, avec l’école, avec la télé, y a tout le temps le français. Et nous, je parle un petit peu avec eux. Les enfants, c’est plus facile pour apprendre le français… L’odeur c’est la fonderie. C’est peut-être du fer, je sais pas comment dire, quand il est chaud et mettre de l’eau, ça sent. Ils mettent de l’eau pour refroidir et c’est la fumée qui sent fort. Et ça sentait la fonderie partout dans Châteaubriant. Oh, peut-être plus à côté. Moi j’étais là toujours, à côté. Mon mari, à 9h quand il venait manger, il venait tout mouillé avec la sueur, tout partout ».

Maria : « En 69, c’était une baraque, comment on dit, y avait un lit ... y avait de l’eau... Quatre personnes qui habitaient dedans. C’est une baraque d’ici à là, quatre personnes, deux réchauds comme ça ... Toute la cuisine là, je n’ai pas de chauffage l’hiver, le plafond ...ça gouttait... Le lit dessus vous passez la main toute mouillée… Tout le temps les personnes étaient beaucoup ami de moi. Tous les samedis et les dimanches ils font le manger et moi j’écris…Les autres, personne ne savait lire, ne savaient pas écrire. Tout le temps les samedis et dimanches, c’est huit et dix cartes que je fais. Des lettres. Ils me donnaient la lettre de la femme, moi je lis, je commençais, je lisais la lettre. Et je dis bon je vais mettre ça et ça et ça. Les autres, ça va… En France tu gagnes quelque chose. Même si c’est pas beaucoup, tu gagnes. Ici, tu gagnes rien ».

Emilio : « Moi j’ai couru avec tout le monde. Moins avec les Portugais, plus avec les Français… Parce que bon, en dehors de mon travail, de l’usine, je n’arrêtais jamais. J’ai mes mains... J’ai travaillé en maçonnerie, carrelage, n’importe, tout ça, la maçonnerie. Je suis un fou de bricolage. Alors... ça manquait pas du boulot, quoi. J’étais toujours ailleurs. Après mes services d’usine, après mes journées, tout le temps, à faire des enduits, à faire des garages, à faire des entourages, les maisons particuliers... Toujours avancé ... pas trop cher, un prix d’ami quoi. J’y allais mais... tous les jours, tous les jours, tous les jours. Pour agrandir la paye, comme j’étais tout seul à travailler, faut bien réussir à la fin du mois. Et puis y avait que le dimanche hein, pour se reposer ou boire un verre ensemble avec certains amis, Portugais ou Français, n’importe. A partir de là, lundi boulot, boulot. Toute la semaine au boulot. Et voilà. C’est pas le Portugal qui manquait, c’était le temps ».

Carmen : « Comme je n’avais pas de travail, je restais à la maison enfermée toute la journée. Des fois je me retrouvais avec d’autres femmes portugaises que je connaissais. Je parlais avec elles. Pratiquement toutes les portugaises travaillaient. Les premières qui sont arrivées, ont trouvé du boulot, mais moi j’étais pratiquement la dernière quand je suis arrivée. Mon mari ne voulait pas que je prenne du boulot, il voulait que je m’occupe des enfants. Parce que le temps que je suis arrivée, il y avait encore du boulot à l’usine Huard… Mais comme j’ai tombé enceinte de Célia, il ne voulait pas… Et après ils ont arrêté d’embaucher des femmes. J’ai commencé à faire du ménage. C’est en 82 que j’ai commencé à faire des heures de ménage. Mon mari a beaucoup de copains. Bon il travaillait, c’était normal. Nous, au ménage, on ne trouve personne pour s’attacher. »

Gregorio : « Il a fallu recommencer ma vie parce que je connaissais personne. Mais y en avait beaucoup de Portugais alors j’ai commencé à mettre en contact avec eux . J’aimais le football, on a créé un club de football, on a créé un groupe de folklore. J’étais toujours dedans, j’étais pas le président, j’étais le vice président, je m’en occupais beaucoup de choses. J’étais masseur au football, j’ai travaillé à la clinique parce que j’ai un don. J’ai beaucoup aidé les Portugais, les Portugais m’ont beaucoup aidé. J’ai connu les grandes grèves de 68. J’ai fait les grèves comme les autres, ah oui j’ai fait les grèves comme les autres. Ce qu’il y a j’ai gagné pas mal de l’argent à l’époque parce que je travaillais le samedi et le dimanche. Mes petits boulots à côté. Mais pendant le moment de grève, j’ai fait comme les autres. C’était la grève générale personne y travaillait. Je pouvais rien faire. J’allais pas me faire insulter, j’allais pas travailler tout seul. On travaillait tous ensemble, personne y travaillait ».

Retourner au pays

Carmen : « Après c’est mon mari qui a décidé de venir au Portugal. Pas moi. Je ne voulais pas parce que je savais que quand nous arriverions, nous serions tristes. Mon mari, il aimait la vie en France… Parce qu’il aime travailler et ici y a pas de travail. Oui. C’est la vie… Nous avons tout ramené de Châteaubriant, tous les objets qu’il y avait dans notre maison. Cette table vient de là, cette chaise là aussi. Ça et ça. Ce meuble là aussi… La vie c’est différent. A la fin du mois, la paye, c’est ça qui a beaucoup manqué. Parce qu’après nous n’avions pas de travail. De France, j’ai ramené de la lavande ! Oui ! La lavande elle est là. Elle fleurit tous les ans. Cette chose d’immigrant moi je ne dis rien. Moi j’étais là-bas c’est Français, moi je suis ici c’est Portugais. Moi je suis pas immigrante. Je n’ai pas senti de différence envers moi quand j’étais en France. Tout le temps bien ».

Emilio : « La France c’est ma jeunesse. J’ai vécu par toutes les fêtes, tous les copains, tous les amis. J’ai laissé beaucoup, beaucoup, beaucoup d’amis. Et on est arrivé là, il a fallu refaire, recréer mes anciens amis. Y en a beaucoup qui étaient partis à droite et à gauche. J’en ai refait d’autres plus jeunes, d’autres plus vieux. Parce que les amis de mon âge, beaucoup y sont partis. Il n’en est resté qu’une dizaine ici, c’est tout. Il a fallu recommencer ma vie ici. Partir à zéro presque ».

Lourenço : « J’ai pleuré très longtemps, ma femme aussi. Quand nous avons des vacances, ma femme tout le temps, elle veut aller à Châteaubriant. Maintenant, c’est différent mais avant... Nous sommes restés avec un papier si nous étions malades et ... tout ça. J’ai gardé une bonne image de Châteaubriant. J’aime bien. Je me souviens du bruit. Du bruit de la fonderie ».

Alzira : « Les amis qu’on avait là bas ... les amis... on les voit de temps en temps, oui ... il y en a quelques uns qui ont décédé. J’ai été plusieurs fois en France… À chaque fois qu’on y va, on essaie de voir un peu tous ceux à qui on tient ... Moi je suis contente d’avoir été en France, on a appris beaucoup de choses, quand même… On a appris plus de culture qu’ici, on n’en avait point ... à l’époque. Et puis après ça, nous avons pu avoir quand même des économies qu’au Portugal on aurait pas pu en avoir... Au moins pour faire une maison neuve et tout ça, à l’époque c’était pas facile... Quand je suis revenue j’ai ramené des œillets, des petites fleurs blanches, je les ai toujours. J’ai beaucoup ramené des fleurs de France, oui... Ce que j’ai aimé le plus eh ben je les ai ramenés de là bas. J’ai même acheté un genêt avant de rentrer parce que j’aimais bien le genêt et j’avais peur qu’ici il y en avait pas. Et puis j’ai un petit jaune aussi, il est pas fleuri, je te ferai voir quand on ira dans la maison. Ah dame ça oui ... Ah la France oui, ... Ah c’était bien ... »

Gregorio : « Autrement, j’étais toujours bien reçu à Châteaubriant n’importe où, par n’importe qui. Tranquille, toujours tranquille. Quand je les vois, ils me font toujours la fête. Si je vois des Français ici - parce qu’ils y en a souvent qui viennent - tiens y en avait du 44 ... mercredi. Ils sont partis jeudi, là. Encore une voiture du 44 ! De quelle région, je me suis pas encore dirigé à demander. Trois caravanes qui sont venues, qui étaient là et puis qui sont parties : les trois ensemble. Là il y a qu’une voiture du 44. Mais y a, y a plusieurs, qui repartent, qui reviennent ».

Maria : « Il me reste beaucoup de souvenirs, parce que je suis restée 25 ans quand même. Les voisines, les promenades à Châteaubriant, qu’ici je ne peux pas faire des promenades. La médecine ça me manque beaucoup. Ici vous n’êtes pas remboursé à 100%. Très cher. On va chez un médecin particulier, on donne l’argent, on est pas remboursé. Les soins ce n’est pas du tout la même chose... La famille que j’ai laissée, beaucoup de souvenirs le temps que j’étais en France. Des bons souvenirs. Mes filles habitent du côté de Vannes, la plus jeune est à Toulouse »…

Un livre

Au sujet du document en préparation Maria ajoute : « C’est bien je voudrais voir le livre après. Je crois que c’est normal ce que vous faites pour savoir les gens la vie qu’ils ont en France et la vie qu’ils ont maintenant au Portugal… ».

P.-S.

L’association Rencontres - 02 40 81 16 50