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La Révolution à Châteaubriant - 9 - La Chouannerie, pourquoi ?

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L’aperçu de la période 1793-1795 , en grande partie chronologique, a montré les différentes étapes de la guerre civile et l’originalité de chaque période : révolte en 1793, guerre populaire en 93-94-95, guerre clandestine ensuite .

Les contacts étroits et nombreux en 1793 entre Chouans et Vendéens ont contribué à l’ampleur de cette guerre civile contre-révolutionnaire : guerre populaire par ses formes d’intervention, par la masse de ses combattants, par la décentralisation de son organisation.

On retrouve le paradoxe énoncé dès le début de cette série d’articles : la révolution libérait la majorité paysanne de la "tyrannie féodale" (pour parler comme les cahiers de doléances) et cependant les paysans ont pris les armes contre la République, rejoignant objectivement la lutte de ceux qu’ils accusaient en 1789. Ces derniers, les principales victimes de la révolution, les grandes familles nobles comme celle de Condé, seigneur de Châteaubriant, émigrés dès le mois d’octobre 1789, avaient en effet entrepris de lutter contre la Révolution, mais aux côtés des princes étrangers, et non aux côtés des manants et patauds ! Chouannerie et noblesse, dans la pratique, sont loin de coîncider .

UN LIT DE DÉCEPTION ET DE MÉFIANCE

La chouannerie, la guerre civile contrerévolutionnaire, s’est développée de façon autonome dans les campagnes, à la suite d’une maturation, d’une longue fermentation. La révolution, au cours des années 1790-91-92,a déçu beaucoup de paysans : des impôts assez lourds se sont substitués aux impôts de l’Ancien Régime ; il faut remplir certaines conditions pour avoir le droit de voter ; quant aux biens des abbayes opulentes et détestées, et aux propriétés des nobles émigrés, ils ne sont pas distribués mais mis en vente, aux enchères et sont donc récupérés par les plus riches, le plus souvent par des bourgeois de la ville. Les paysans modestes doivent se contenter d’un champ ou d’un pré ici ou 1à, tandis que de belles métairies, de grandes fermes, sont rachetées par des bourgeois fortunés .

Au marché, les paysans refusent généralement, dès 1791, l’assignat , monnaie de papier créée par la révolution, manifestant ainsi une profonde méfiance vis-à-vis d’un nouvel ordre des choses qui les déroute .

Les déceptions, les frustrations, les méfiances s’accumulent. S’y ajoute l’exaspération provoquée par la réforme administrative de la France. Cette réforme assure une meilleure efficacité au fonctionnement de l’Etat mais entraine aussi la création de postes bien rémunérés et réservés aux "messieurs" qui ont de l’instruction. Elle oblige les communes rurales à des tâches administratives qu’elles assurent de mauvaise grâce. Non seulement il faut payer des impôts, mais il faut encore que les communes établissent les rôles d’imposition et l’assiette du recouvrement. Elles le font approximativement et avec retard . À Jans, la municipalité, exaspérée par toute cette paperasserie à fournir, avoue naïvement "il n’y en a qu’un parmi nous qui sait écrire et encore il écrit st lentement qu’il lui faut toute une journée pour remplir une page"

Les paysans, écrasante majorité de la popula‘tion, ne se perçoivent pas comme un groupe socio-économique défini. D’ailleurs, beaucoup ajoutent une ou deux tâches à l’exploitation de la terre : par exemple travail du textile, travail dans la forêt (bûcheron, charbonnier). Les gens se perçoivent d’abord comme membres
d’une communauté : le village, la paroisse, la commune si l’on veut.

"La Révolution a été essentiellement, malgré les apparences, une révolution sociale et politique. Elle n’a eu pour effet que d’abolir les institutions féodales, pour y substituer un ordre social et politique plus uniforme et plus simple, qui avait l’égalité des conditions pour base" (Tocqueville)

Cette communauté est consciente d’elle-même, et solidaire, même si elle est traversée par des clivages d’intérêts, de fortune, de culture . Certains y jouissent d’une certaine confiance, d’un certain prestige : c’est le cas du curé qui apporte les "secours spirituels", c’est aussi le cas des hommes de loi qui jouissent de la considération dûe à leurs connaissances juridiques.

Avec la Révolution, les notables ruraux attendent une promotion. Mais ils récupèrent peu de places dans les nouvelles structures administratives . Ils désirent l’indépendance de leur commune aussi : dans les cahiers de doléances revient souvent la revendication de prud’hommes à la campagne "pour que nous réglions nos problèmes nous-mêmes". Or, si les communes acquièrent une certaine autonomie, elles sont intégrées dans des structures administratives centralisées : les communes sont regroupées en cantons, eux-mêmes forment des districts, puis un département qui reçoit ses ordres de l’Etat central.

LA RANCOEUR DES ELITES RURALES

Cette unification, cette intégration, passent mal en 1792-93. On entend souvent "nous foutrons à bas Le Directoire, le District, le Département et la Constitution"..."pas étonnant que la justice soit st mauvaise avec de pareil Jean-Foutre", ce qui vaut aux auteurs de ces paroles des interrogatoires de police.

Les élites rurales se trouvent donc frustrées par les réformes et la Révolution et s’autorisent à les dénoncer auprès de leurs concitoyens, en général assurées d’un écho favorable. Elles entretiennent ainsi une certaine
rancœur contre la Révolution.

Dans les régions où la "tyrannie" des ci-devant privilégiés avait été trop forte, cette rancœur ne pouvait pas se développer : le souvenir des années antérieures à 1789 était trop odieux pour regretter les changements. C’est seulement dans les régions où le prélèvement nobiliairel n’était ni trop fort, ni trop faible que la contre-révolution s’est développée . Trop fort, il entrainait une adhésion totale à la Révolution. Trop faible,
il entrainait une indépendance économique et idéologique des paysans.

Dans le district de Châteaubriant, la propriété nobiliaire se limitait à 16 % de l’ensemble des terres. Peu de propriétaires nobles résidaient sur place, mais ils avaient des agents tracassiers et abusifs. C’est le cas du Prince de Condé dont l’intendant se montrait de plus en plus exigeant dans les années précédant la Révolution, (Les paysans s’acquittaient des droiîts féodaux avec une mauvaise volonté croissante, demandant à consulter les archives du château pour vérifier la réalité de ces multiples droits perçus) jusqu’à ce qu’il frappe sévèrement la rétive paroisse de Ruffigné, la poussant ainsi à un extrémisme révolutionnaire .

Un receveur du Prince de Condé écrit en 1788 : "IL reste dù 31 890 livres par Les paroisses de Rougé et Ruffigné dont la rentrée devient de plus en plus dure parce que ces paroisses se trouvent écrasées par la masse des rentes qu’elles ont déjà payées depuis l’époque de l’arrêt de la cour, les frais qu’elles ont payés relativement au procès et ceux imposés par le procureur fiscal pour les obliger au paiement. De là l’esprit de révolte et de contradiction. ..".,

Sauf cette exception de Ruffigné, la région de Châteaubriant présente les caractères d’un milieu réceptif aux thèses de la contre-révolution : trop pauvre : pour avoir bénéficié de la vente des biens nationaux ; pas trop écrasée par les seigneurs nobles .

Or les agents contre-révolutionnaires ne manquent pas : notables ruraux insatisfaits ; curés réfractaires qui condamnent la Révolution à chaque occasion jusqu’à ce qu’ils émigrent en 1792 ; agents ou parents de nobles émigrés ; petits nobles locaux qui se prétendaient les défenseurs des libertés de la Bretagne face aux exigences du roi.

Chouans

A la fin de 1791, la situation du district de Châteaubriant est très tendue et c’est à ce moment précisément que se pose le probléme du serment des prêtres et, devant leur refus obstiné, de leur arrestation. L’équilibre de la communauté villageoise est alors rompu, les consciences sont troublées. L’arrestation du curé grandit encore son prestige et la confiance qu’on met en lui. Le problème clérical a joué à cette époque le rôle
de révélateur et de catalyseur des tendances contre-révolutionnaires qui existaient déjà.

C’est dans ce contexte où les clivages, les affinités et les hostilités ont eu le temps de s’établir , que se produit la levée d’hommes en mars 1793, rappelant la milice honnie que la Révolution avait abolie en 1789 . On connaît la réponse des gars du pays : NON . NON obstiné mais pas idiot, produit d’une longue fermentation idéologique et sociale, réaction de groupe plus sentimentale que consciemment et lucidement politique.

C’est le refus d’une révolution qui a déçu les espoirs mis en elle. C’est toute une société complexe et nuancée, formée de petites unités indépendantes, qui refuse 1’intégration dans un ensemble national, traversé toujours de clivages sociaux, dominé aussi par des élites sociales, économiques et culturelles étrangères aux campagnes .

Contre-révolution, oui, mais aussi revendication d’une identité régionale et d’une capacité à s’administrer à l’échelon d’un "pays"

Maryvonne BOMPOL + février 1980

(1) Prélèvement nobiliaire :

(2) Prêtres réfractaires : prêtres qui ont refusé de prêter serment de fidélité à 1a Nation, refusant par 1à-même la "Constitution civile du Clergé !"’, votée par l’Assemblée Constituante en juillet 1790 et par laquelle les prêtres devenaient fonctionnaires de l’Etat .

Ceux qui acceptaient de prêter serment, se sont appelés ’’prêtres-jureurs !" ou "prêtres constitutionnesl". Ceux que propose l’administration sont rejetés immédiatement. À SION LES MINES par exemple, le curé constitutionnel est accueilli par des jets de pierres, de boues, et des cris "à bas l’intrus". Personne ne va à sa messe sauf pour répondre à ses prières par des éciats de rire, des éructations, sauf pour l’interrompre pendant le sermon en criant “tu mens, tu mens, apostat, intrus, dehors !" .