Les manuels d’Histoire parlent peu de notre région. Point de grande bataille, point de traité historique signé en Pays de La Mée, tout au plus le passage d’un souverain dans la commune de Châteaubriant est-il relevé. Pourtant l’histoire de cette région est riche et intéressante . Maryvonne BOMPOL, titulaire d’une Maitrise d’Histoire sur la Révolution en Pays de Châteaubriant, montre d’abord ce que la Révolution a apporté au peuple de notre région, puis comment a commencé une véritable guerre populaire, contre-révolutionnaire certes, mais menée sans chefs nobles ou religieux. Elle conte ensuite les événements de la fin de 1793 et la liaison de cette guérilla (qu’on appelle Chouannerie) avec la Guerre de la Vendée . Puis elle en explique les raisons .
Tout ceci permettra aux habitants du Pays de La Mée de mieux connaître l’histoire de leur région et de faire le lien avec des comportements contemporains. N’est-il pas.symptomatique par exemple, de constater que Moisdon reste une commune “blanche"* (nous disons "de droite" maintenant) tandis que Ruffigné garde ses traditions républicaines et vote imperturbablement à gauche depuis toujours ?
Retrouver ses racines, c’est un des moyens de vivre consciemment dans le présent de son pays .
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1789 : LES CAHIERS DE DOLEANCES
Les difficultés de la France dans les années 1785-89, la crise globale à la fois économique, sociale, financière, idéologique, politique, que traverse le pays, est trop profonde pour que le gouvernement monarchique apporte des solutions. [| convoque donc les Etats Généraux pour le 5 mai 1789, espérant satisfaire à peu de frais les contestataires. En fait, c’était sonner le glas de la société d’Ancien Régime issue du Moyen-Age, société profondément injuste puisque basée sur les privilèges, société où ies oisifs ont droit à l’honneur, au respect et prélèvent leurs revenus, voire leur fortune, sur le produit du travail. Société où les Droits de l’Homme n’ont pas encore été inventés, où la liberté de penser, d’écrire, de se réunir, de pratiquer la religion de son choix n’existe pas .
Des cahiers de revendications, appelés "cahiers de doléances" sont rédigés entre janvier et mars 1789 ; les plaintes sont innombrables, plus politiques dans les villes, plus concrètes dans les campagnes. Tous les paroissiens du District de Châteaubriant s’élèvent contre les corvées, contre les impôts, contre les multiples rentes féodales, contre le pouvoir des seigneurs, contre la hargne méprisante de leurs intendants ou des petits nobles .
Heureux donc, ces jours de 1789 où s’écroule, sans résister beaucoup , cette société ? ... sans doute ! Et l’humanité hérita du même coup de la Déclaration des Droits de l’Homme votée le 26 Août 1789 par les Députés des Etats Généraux qui s’étaient proclamés "Assemblée Nationale" (la première) et avaient décidé de réformer la France. Liberté ! joie populaire ! Plus de Monsieur le Comte ni de Madame la Marquise, plus de corvées, ni de rentes féodales ni de droits seigneuriaux à payer ; on pourra moudre son blé et cuire son pain sans payer... enfin presque : les paysans doivent racheter les droits féodaux qui pèsent sur la terre et ils doivent encore des dîmes aux curés .
RÉVOLUTION = LIBÉRATION ? Dans un sens oui, et les communäutés d’habitants, villes, villages, dès 1790, peuvent élire elles-mêmes leurs responsables : maires et officiers municipaux ** . Et même si les plus pauvres n’ont pas le droit de voter (on les appelle des "citoyens passifs"), la grosse majorité des paysans, environ les trois-quarts, atteint le seuil de l’impôt égal à trois journées de travail, et peut voter.
A la fin de l’année 1789, le bilan semble positif pour les classes populaires et la Révolution, qui a été essentiellement impuisée par Paris et les Grandes Villes, est accueillie partout favorablement dans les campagnes ; dans ie Pays de La Mée aussi où, par exemple, les paysans se précipitent sur les bois, les forêts, et prennent tout le bois dont ils ont besoin, revanche contre la noblesse accapareuse de la plupart des forêts . (Le Prince de Condé, prince parisien, possède presque toutes les forêts de la région).
Caricature montrant le Tiers-État vainqueur : la justice fait
pencher la balance du côté du moins gros.
Et pourtant, trois ans après, en mars 1793, lorsqu’il s’agit de défendre contre les princes émigrés et les monarques européens, les conquêtes de la Révolution et la République proclamée le 20 septembre 1792, les hommes et les femmes de la région, presqu’unanimes, lèvent les bâtons, les fourches, les faux, les fusils, crient "vive le roi", s’en prennent à tous les symboles du nouveau régime : les cocardes tricolores sont foulées aux pieds, les arbres de la Liberté plantés en 1790 sont abattus, les représentants du nouveau régime sont rossés, menacés de mort .
Beaucoup de paysans ne posent pas les armes, entreprennent une guerre populaire contre le Nouveau Régime, une guerre de guérilla contre-révolutionnaire, très active, jusque dans les années 1799-1800. Alors que les régions situées plus au Nord, Retiers, La Guerche, Ercé, ont pris le parti de la Révolution et de la République, le parti des "bleus"* , presque tout le district de Châteaubriant, à l’exception de Ruffigné, est
“blanc"* , c’est-à-dire contre-révolutionnaire ,
Reprenons le fil de ces événements :
1793 : NOUS NE TIRERONS PAS
Signe avant-coureur de cette hostilité aux changements intervenus : lorsqu’en Août 1792 , le gouvernement demande à des volontaires de s’engager dans l’armée pour repousser les ennemis, eh bien, le district de Châteaubriant, dont la population s’élève à 21 000 habitants, n’en fournit même pas 10. Quatre volontaires s’enrêlent à Fercé. A Derval, quelques jeunes gens se présentent : ils se font huer par la population ;
les commissaires du recrutement avouent ne pas pouvoir remplir leur mission, ils doivent prendre la fuite .
En mars 1793, la rébellion éclate, spontanée, générale, déterminée, dans le pays de Châteaubriant, comme dans l’Ouest, comme en Vendée.
L’armée républicaine essuyant aux frontières, défaite sur défaite, le gouvernement, poussé par les Révolutionnaires parisiens, décide de mobiliser cette force que constitue la population française, la plus forte dans l’Europe du 18° siècle finissant . Par une loi de février 1793, il décide une levée de 300 000 hommes. L’administration effectue la répartition entre les départements, puis entre les districts, puis entre les communes. Un chiffre est fixé (502 pour le district de Châteaubriant) , la commune doit se débrouiller pour fournir son contingent, elle est libre de déterminer le mode de recrutement parmi les hommes de 18 à 40 ans, célibataires, veufs, mariés sans enfants . Voici la lettre qu’adresse le département de Loire-Inférieure au district de Châteaubriant le 5 mars 1793 :
“ Des commissaires devront se rendre dans les communes pour surveiller les opérations de recrutement. Les officiers municipaux** convoqueront les citoyens de leur communauté pour les informer. Pendant 3 jours il sera ouvert un registre pour recevoir les inscriptions volontaires ; à l’expiration de ce délai, les citoyens seront à nouveau assemblés et ne pourront désemparer avant qu’ils n’aient complété ce nombre".
Evidemment, cela ne se passe pas comme cela ! les premières opérations de recrutement ont lieu le 10 mars 1793, on peut imaginer les commissaires de la République, les notables du bourg, lisant les décrets de la Convention, la lettre de l’administration départementale. Mais ... écoutons les textes d’archives. Par exemple à Rougé : “Tous les présents répondent NON ! et en même temps ils se sont jetés en foule sur la municipalité, se sont saisis de la liste des garçons qu’ils ont arrachée des mains du citoyen-maire et se sont retirés"
Le 10 mars 1793, les citoyens de Villepôt disent qu’ils ne tireront pas (1) "ni ce jour-là, ni un autre", renversent les tables, arrachent les cocardes des officiers municipaux qui préfèrent se sauver. À Fercé aussi les commissaires au recrutement et les Officiers Municipaux se font rosser et doivent fuir à toutes jambes. A Issé, le 11 mars 1793, le curé constitutionnel rencontre, en sortant de sa messe, Paul Fraslin qui lui
dit “dans deux heures une troupe d’hommes va s’assembler et mettre le feu à la cure où se trouvent les papiers de la municipalité" . Peu de temps après, le tocsin à sonné
Le 13 mars 1793, le citoyen GARNIER, directeur des Forges et suspecté d’avoir participé au rassemblement, déclare :"Le tocsin a sonné à Moisdon, beaucoup de gens se sont rassemblés dans le cimetière, mais c’était une troupe de 200 citoyens d’Issé qui voulaient s’adjoindre aux citoyens de Moisdon pour s’opposer au tirage". Selon Garnier, ces attroupements ne sont pas dirigés par un chef : "je ne me suis pas aperçu que quelques-uns aient de l’autorité sur les autres ; quant aux instigateurs, je n’en connais point d’autres que les citoyens d’Issé"
Garnier, accusé, tente de se disculper, il raconte qu’une troupe est allée le chercher à la Forge-Neuve, qu’il a dû la suivre, qu’on l’a forcé à arborer la cocarde blanche, à fouiller, avec les autres , toutes les maisons de Moisdon pour y prendre les armes qui s’y trouvaient. Il explique que les gens étaient très exaltés , qu’il s’est efforcé de calmer les esprits, de les empêcher d’exercer des violences extrêmes.
Le jeudi 14 mars, le recrutement doit avoir lieu au Grand-Auverné. Des citoyens d’Issé et de Moisdon s’y rendent, brülent la liste des garçons ; le tirage ne peut avoir lieu .
La scène se déroule de la même façon dans la plupart des communes. Les citoyens ne veulent pas quitter leur village, l’horizon de leurs champs, perdre de vue leur clocher, devenir “soldats de la République". La révolte se propage à partir de trois épicentres : à l’ouest Lusanger, au Nord Rougé et Fercé, au sud Issé et Moisdon . A Moisdon, le maire, le secrétaire de mairie et des officiers municipaux participent et se mettent même à la tête des révoltés, des rebelles. Ces rassemblements contre-révolutionnaires ne présentent pas d’encadrement, pas de hiérarchie, pas d’organisation solide, tout au plus des personnalités plus ardentes qui se distinguent spontanément de la masse populaire, se trouvent portées à la tête du mouvement qui parait, par certains aspects, anarchiste, spontanéiste .
CHATEAUBRIANT MENACÉE
Cette masse révolutionnaire a bien conscience de sa puissance, les révoltés se regroupent, la ville de Châteaubriant se sent menacée, perdue peut-être. Consciente du faible républicanisme des Castelbriantais eux-mêmes, voulant éviter que la révolte n’éclate au sein même de la ville, elle fait suspendre les opérations de recrutement à Châteaubriant. C’est dire à quel point les administrateurs tremblaient de peur, à juste titre d’ailleurs. Eperdus, affolés, ils adressent dès le 13 mars, de déchirants appels au secours dans toutes les directions : Vitré, La Guerche, Retiers, Rennes, Nantes, Bain de Bretagne, Pouancé ... Les secours arrivent vite, d’abord de Vitré et la Guerche : 2000 gardes nationaux. Même la paroisse de Ruffigné, la seule paroisse "bleue", républicaine, fournit un secours d’une cinquantaine d’hommes et, le 18 mars, le Danger
passé, le Directoire de Châteaubriant peut écrire à Pouancé : “notre armée est composée d’environ 7000 hommes qui se rendirent à Moisdon. L’armée des brigands du pays est d’environ 2000 hommes qui se disposaient à se porter sur Châteaubriant. Elle se mit en route jusqu’à une demi-lieue de Moisdon où elle apprit la force des nôtres. Alors elle se replia sur Issé. Nous en avons arrêté les chefs, ce qui nous fait craindre qu’elle ne tente de les enlever".
Révolte vite balayée, donc, par la démonstration de force des Républicains. Mais il ne faudrait pas que les "bleus" crient victoire trop vite, ils savent qu’il faut rester vigilant. Le 19 mars ils écrivent, toujours à Pouancé : "la position des ennemis a changé. Leur armée est divisée en différents endroits de notre district. IIs ne seraient pas en force, ils se tiennent en leur maison. Mais dès qu’ils verraient que nous ne serions pas sur nos gardes, ils se rallieraient et tomberaient sur nous avec plus d’acharnement"
UNE RÉBELLION DE PETITES GENS.
Le peuple s’est insurgé, mais il n’y a pas vraiment d’armée : les paysans sont rentrés chez eux et sont prêts à sortir dès que sonnera le tocsin ; seuls quelques-uns sont restés rassemblés et se cachent dans les bois ou dans les landes. Parmi eux, Fresnay de Beaumont, un notable de St Julien de Vouvantes, élu juge de paix en 1790, qui essaie de jouer le rôle de chef suprême. Mais la masse de la rébelllion, ce sont les petites gens qui la fournissent.
La liste des citoyens arrêtés pour faits contre-révolutionnaires - l’administration les appelle brigands ou scélérats - en dit long sur l’enracinement populaire de cette révolte. On ne trouve pas de prince, pas de grande famille noble (presque tous les notables ont émigré). Ne participent au mouvement que la veuve DUVAL GASCHER et son fils, contre-révolutionnaires actifs : le 14 mars à Lusanger, cette “ci-devant noble" proclame en plein bourg “je veux bien couper la main moi-même au premier bougre qui osera tirer" c’est-ä-dire participer au tirage au sort).
Pas d’ancien curé non plus, la plupart ont émigré ou ont été déportés à l’étranger, quelques rares prêtres seulement.
Par contre, on trouve des représentants des élites rurales, notables modestes, bien implantés dans le moñde paysan : par exemple, le notaire du Grand Auverné, le chirurgien de Moisdon, le maire de Moisdon, le notaire de Moisdon, le juge depaix d’Issé ... mais surtout beaucoup de petites gens.
Voici quelques exemples parmi une longue liste : parmi les Moisdonnais arrêtés, Barbier, Forgeron, Jean Bouchet et Pierre Blanchard, métayers à la Laicherel, Grepon, commis à La Forge Neuve ; et aussi François Esnauit laboureur à Rougé, Martin Harouin laboureur à Erbray, François Roul laboureur au Petit Auverné, Joseph Rigaud laboureur à Soudan. On ne peut les citer tous .
Sur 31 prisonniers de Châteaubriant, reçus fin mars 1793 à la prison du Bouffay à Nantes, on compte un prêtre, un vicaire, deux "ci-devant nobles", onze laboureurs, quatre domestiques. Viennent ensuite un notaire, un tisserand, un marchand d’œufs, un tailleur, un apprenti chapelier, un garçon boulanger, un meunier, etc .
L’insurrection des communes voisines de Châteaubriant, entre le 14 et le 18 mars 1793, n’a pas conduit à la prise de cette ville, grâce au secours des Gardes Nationales d’Ilile et Vilaine et aux mesures de sécurité énergiques prises par l’administration. Tout l’Ouest s’est embrasé, des villes de Vendée (par exemple Machecoul, Cholet, la Roche svr Yon) ont été prises par les "blancs" et même au Nord de la Loire, des troupes de 3 à 4000 hommes assiègent Ancenis et Nord sur Erdre auxquelles Châteaubriant envoie des secours, dans la mesure de ses moyens.
À Châteaubriant les Républicains ont montré une capacité de réaction énergique et sauvé la ville, place stratégique, comme ils l’expliquent à l’administration d’Angers : "la prise de Châteaubriant par les brigands entrainerait celle de Pouancé, Craon, la dévastation de tout le bas Anjou. ls grossiraient leur nombre de plus de 5 à 6000 hommes vu les dispositions de nos communes voisines qui ont déjà formé de semblables rassemblements".
Au début du mois d’avril 1793, l’étau qui menaçait au premier chef Ancenis et Nort Sur Erdre, ensuite Châteaubriant, s’est relâché. Le Directoire en profite pour exercer une certaine répression : des chefs d’attroupement, des meneurs, des individus accusés d’avoir participé aux rassemblements séditieux sont arrêtés et conduits à Nantes, sous bonne garde, pour être jugés par le Tribunal du département. Contrairement aux inquiétudes de l’administration, ils n’ont pas été enlevés en cours de route par leurs compagnons.
La révolte a arrêté les opérations de recrutement par l’armée sur l’étendue du district mais la riposte républicaine semble avoir ramené le calme. La conjoncture semble alors plus favorable à l’administration : "nous allons profiter du calme des esprits pour essayer encore une fois de fournir notre contingent. Nous commençons samedi par notre chef-lieu (Châteaubriant) pour donner le bon exemple. Je vous informerai des opérations maintenant que les communications sont rétablies et les agitations moins violentes" (lettre du directoire au département le 8 avril 1793).
(*) "Bleu" = républicain --- "Blanc" = royaliste, contre révolutionnaire
(**) les officiers municipaux = le conseil municipal .
(1) Tirage au sort . Avant 1789, la Milice était une sorte de contingent que devait
fournir le peuple aux armées du Roi. Le choix des hommes se faisait par tirage au
sort. Elle fut abolie en 1789 . En 1793, le peuple ne comprend pas que la République lève une armée avec des méthodes qui rappellent cette milice détestée et abolie .