Montrelais - Soulvache - Abbaretz ... (écrit en 1982)
Souvenirs d’un ancien mineur
« Chez nous, la mine, c’est une histoire de famille » raconte Louis Bournigault, un vieux castelbriantais que la MEE a rencontré.
« Je suis né à Montrelais en 1902 ; mon père était mineur et mes grands-pères aussi. »
Montrelais, c’est une petite commune de 600 habitants environ, située sur les bords de Loire entre Varades et Ingrandes. Le charbon y a été exploité vers le XVe siècle et au moment de la Révolution, les mines occupaient jusqu’à 800 ouvriers qui extrayaient 150 000 hectolitres de charbon par an.
Mais peu à peu la mine a périclité et au début du XXe siècle la production ne s’écoule plus, les stocks deviennent excessifs, l’outillage est vétuste, l’exploitation est trop onéreuse. Et pourtant à cette époque, la main d’œuvre ne coûtait pas cher : « dès 8-9 ans, dit Louis, les enfants étaient occupés à trier le charbon. Pour quelques sous. Les hommes travaillaient 8 à 9 heures au fond jusqu’à 12 heures par jour à l’extérieur. Les femmes roulaient les berlines en bois. Le travail était dur, mais les mineurs avaient le sentiment de la noblesse de leur métier. Le jour où la loi interdit aux hommes de plus de 60 ans de descendre dans la mine, ce fut un beau mécontentement. Les vieux mineurs disaient : « les jeunes ne sauront jamais sortir le charbon comme il faut. »
Louis se souvient bien de cette période. Il a entendu souvent son père parler des galeries descendant à 250 ou 400 mètres de profondeur, où l’on travaillait nu, dans la poussière de charbon et l’eau qui suintait des parois.
... du charbon au fer ...
En 1911, Louis a 9 ans, la mine de Montrelais ferme. Définitivement. Les mineurs doivent quitter le pays. Sa famille est envoyée à Abbaretz pour y faire des recherches. Louis se souvient de ce voyage d’une cinquantaine de kilomètres. Il n’y avait pas d’entreprise de déménagement comme maintenant : les affaires de la famille étaient transportées dans des charrettes traînées par des chevaux. C’était dur, mais... c’était chaleureux aussi !
A Abbaretz, les mineurs ont creusé une galerie (un « plan incliné ») de 125 m de long, descendant à 40 m de profondeur. Une galerie si bien faite, si bien boisée qu’elle sera retrouvée intacte en 1953 quand les recherches reprirent au même endroit. « Les gars de Montrelais, vous étiez des sacrés travailleurs » a t-on dit alors à Louis, qui est encore tout fier de le raconter...
Ces premières recherches n’aboutirent pas. On n’a trouvé que des sulfures (soufre) contenant de la pyrite (fer) mais pas le minerai d’étain espéré. D’autres galeries furent alors creusées à 4 km de là, en un lieu dit « le Bé » entre Abbaretz et Nozay. On y a trouvé, à 40 m de profondeur, de la cassitérite, c’est-à-dire du minerai d’étain. Le filon était riche et l’exploitation fut tout de suite entreprise. Mais elle dût cesser pendant la guerre de 14-18, par manque de personnel : tout le monde était au front.
En 1917, après avoir dénoyé la mine, l’exploitation a repris jusqu’en 1921. A cette époque les puits de mine n’étaient pas creusés de façon moderne. Pas de marteau piqueur à air comprimé. Pas de ces gros procédés de forage que l’on connaît maintenant. « Tout se faisait à la main. Un ouvrier tenait un burin. L’autre une grosse masse. Il fallait frapper fort, et juste, pour ne pas atteindre la tête du compagnon ou écraser sa main. A cette époque encore, les pompes qui évacuaient l’eau de la mine fonctionnaient exclusivement à la vapeur. Les treuils aussi. L’électricité, on ne connaissait pas ! » se rappelle Louis.
Un dernier mot avant de quitter « le Bé » : le minerai de cet endroit a dû être connu à une époque très lointaine car les mineurs trouvaient des outils romains (pelles) et de la monnaie romaine dans les affleurements (15-20 m de profondeur).
Quitter le Bé ? Oui, il le faut car l’exploitation cesse en 1921. Louis a 19 ans.
Soulvache
Les mineurs reprennent la route jusqu’à la commune de Soulvache. Du moins, pas jusqu’à Soulvache mais à mi-chemin entre cette commune et Rougé, en un lieu appelé « Bonne Fontaine ». Ce n’était alors que des champs sur les bords de la rivière « La Brutz ». Pas d’habitations construites, pas de commerces bien sûr. Les mineurs nouvellement arrivés ont dû se loger et se nourrir comme ils ont pu. Il fallait aller acheter sa nourriture dans une ferme ou une autre, et encore... quand on trouvait !
A Bonne Fontaine, le minerai de fer était extrait depuis 1910, mais pas encore vendu : la société JJ Carnaud, de Nantes, n’ayant pas encore « la concession » c’est-à-dire le permis d’exploiter. C’était du minerai en couche, à ne pas confondre avec celui de la Minière de Rougé qui est du minerai en bloc. Un minerai riche, connu lui aussi depuis l’époque romaine et le Moyen-Age. L’exploitation a commencé en 1921, dans les galeries descendant à plus de 150 m au-dessous du sol. Le minerai était remonté dans les « berlines » tirées sur des voies de 60 par des mulets. Arrivées au niveau du sol, les berlines étaient regroupées en un petit train qui les amenait jusqu’à la gare de Rougé. Là il fallait vider des wagons normaux. Destination : l’Allemagne et les aciéries Krupp. Le système était plutôt mal commode. C’est pourquoi l’installation, en 1924, de wagons sur voie normale parvenant jusqu’au chantier lui-même, fut saluée comme un acquis important : moins de manipulations, donc moins de temps perdu et moins de risques d’accident. Ces wagons « normaux » ce sont ceux qui desservent encore la Minière de Rougé et qui passent par Châteaubriant plusieurs fois par mois.
Par rapport à Abbaretz, la technique avait fait des progrès. Plus besoin de « massette » ni de burin pour forer les galeries : il y avait un petit compresseur. Quant aux pompes, elles étaient alimentées à l’électricité. Enfin, si on veut, car cette électricité était produite à partir de génératrices à vapeur. Mais tout de même, c’était bien agréable d’avoir un éclairage électrique dans les galeries souterraines.
Même la nuit de ses noces
Le travail était très dur, à la mine de la Brutz comme ailleurs. Louis était mécanicien d’entretien et il sait bien que les chaudières et les pompes étaient souvent en panne. Il fallait être disponible de jour comme de nuit, en semaine ou le dimanche. « Une semaine sur deux, nous étions consignés à la maison. Pas permis de s’absenter de chez soi. Il fallait être prêt à répondre à tout appel. » Et Louis raconte encore : « le jour où je me suis marié, je n’ai pu cesser le travail que 4 heures avant la cérémonie. Et encore... la nuit de mes noces, on est venu me chercher à 3 heures du matin pour descendre faire des réparations au fond. » Parce que l’eau, dans la mine, ça ne pardonne pas. Ça n’attend pas.
Il y avait 6 kg de pression sur les parois des galeries. L’eau suintait sans cesse et il fallait pomper, pomper, pomper encore. La mine disposait de 4 pompes de 600 mètres-cubes chacune et il y en avait toujours deux en fonctionnement. 600 mètres-cubes d’eau à l’heure, 24 heures sur 24. Cette eau était rejetée dans la Brutz. On comprend pourquoi il y avait, alors, pas mal de moulins à eau le long de la rivière.
Mais l’eau n’était pas le seul danger de la mine. Les accidents étaient nombreux : accidents de minage (les explosifs qui pètent trop tôt), éboulement des parois ou des voûtes, déraillement des berlines... Et puis, il y avait la fameuse silicose, cette maladie des poumons, lentement progressive, qui entraîne une insuffisance respiratoire, puis une insuffisance cardiaque : les mineurs, qui inhalaient constamment la poussière de minerai, dépassaient rarement l’âge de 50 ans.
Le 18 octobre 1951, le feu a pris au montage et détruit les câbles des pompes qui, de ce fait, ne fonctionnaient plus. Et l’eau montait dans les albraques (galeries servant de réservoir d’eau à proximité de la salle de pompe) et dans les galeries d’exploitation à raison de 12 cm à l’heure. Il n’a pas été possible de sauver la mine de la Brutz... La société JJ Carnaud n’en a pas trop porté le deuil : la mine était condamnée à brève échéance parce que dangereuse en raison de sa vétusté. Mais les 300 salariés, eux, ont dû reprendre leur baluchon pour rejoindre d’autres mines : mines de fer de Normandie ou de Chazé Henry, mines d’étain d’Abbaretz...
Le Bois vert à Abbaretz
Louis est reparti pour Abbaretz au lieu dit « le Bois Vert » à 4 km de Nozay, dans une exploitation à ciel ouvert. La pierre refermant l’étain était broyée, concassée, lavée et triée par densité : la cassitérite, plus lourde, tombant au fond des bacs de l’installation laverie. Le reste, les déchets, était entraîné par l’eau et monté en un vaste poussier que l’on voit toujours à Abbaretz. Ce fut, dit-on, le plus haut poussier du monde, à cette époque.
Mais là aussi tout a une fin. En 1958, la mine d’Abbaretz a fermé, définitivement, à cause d’un déficit trop important. (Des essais de réouverture ont été tentés en 1973 mais sans succès). Quant à Louis, il est resté à Abbaretz comme gardien : il connaissait « sa »mine sur le bout des doigts. Les installations ont peu à peu été démontées et remontées ailleurs ou vendues à la ferraille.
Ah ! la Sainte Barbe !...
En 80 ans, Louis a vu mourir les mines de charbon de Montrelais, les mines de fer de Bonne Fontaine et celles d’étain d’Abbaretz. Mais il peut vous en parler pendant des heures. Sa femme aussi d’ailleurs, qui a fait le même « périple » que lui avant de l’épouser à Soulvache. Ils sont inépuisables sur le sujet ! Ils parlent surtout de Bonne Fontaine où ils ont vécu trente ans (de 1921 à 1951) : « c’était l’enfer » disent-ils... mais c’était le bon temps aussi, ajoutent-ils, quand ils se souviennent de la vie de la petite communauté de travailleurs de la mine. Il y avait des français. Il y eut des italiens (une soixantaine) mais qui ne sont pas restés longtemps car ils n’aimaient pas travailler dans l’eau. Il y eut surtout des polonais : ils étaient arrivés avec toute une « colonie » hommes, femmes, enfants, avec leur curé et leurs trois bonnes sœurs. Ils avaient même une chapelle polonaise.
Il y avait une bonne entente entre français et étrangers. Et même, sur les bancs de l’école de Soulvache, s’il y avait des clans, c’était entre les fils de paysans d’un côté et les fils de mineurs de l’autre, que ces derniers soient français, italiens ou polonais.
Louis et sa femme se rappellent aussi des fêtes de la Sainte Barbe, patronne des Mineurs, le 4 décembre de chaque année. Le départ se faisait de la mine avec tambours et clairons, directeur en tête. Puis c’était la messe en mémoire des disparus de la mine. Et enfin, la fête, le bal tout l’après-midi, toute la soirée. Et quelle fête mes aïeux ! En ce temps-là il n’y avait pas les « sonos » comme maintenant, mais il y avait des accordéonistes qui savaient si bien « sentir » leur salle et entraîner tout le monde en un rythme endiablé et joyeux. On dit même que le curé polonais dansait avec les bonnes sœurs de son pays...
LA MINE : TOUT UN PASSE REVOLU.
UN METIER DUR, EXERCE PAR DES GENS FIERS
ET QUI LE SONT RESTES.