Henri Baron, souvenirs de guerre
Henri Baron, dans son livre « Paysan citoyen » (Ed Siloë, 2006) se souvient (pages 30 à 40). Il est âgé alors de 7 ans.
« Le 3 septembre 1939, à 17 h, la France déclarait la guerre à l’Allemagne. La scène pénible restée dans ma mémoire se passe dans notre cuisine, au bout de la table. Je suis le dos au buffet, dans le fond, et je vois trois femmes, maman, Anna et la femme d’Alfred debout, dans les bras les unes des autres, qui pleurent. J’ai peur et je ne comprends pas. Et des gens qui vont se faire tuer. Alphonse et Alfred, les deux ouvriers de la ferme, ont reçu leur ordre de mobilisation. Mon père, avec son infirmité chronique, est réformé. Il reste seul, à la veille des travaux d’automne et 15 hectares de blé à semer. Seul, avec des chevaux. Son bâton d’une main, son fouet de l’autre, marchant sur le sol ferme, il parvient à labourer ». Le père d’Henri Baron est alors fermier chez son cousin à Derval. En janvier 1940 il sera ouvrier à la fonderie Huard et la famille habitera 11 Grand’Rue à Châteaubriant.
Juin 1940, débâcle devant l’armée allemande. « Rue du Château on voit une cohorte de prisonniers qui descendent, encadrés de soldats allemands casqués, bottés de cuir, mitraillette au poing, baïonnette à la ceinture ». Les hommes viennent de la gare et se dirigent vers ce qui sera le camp de Choisel.
Par la suite Henri Baron fréquentera l’école publique de Béré « l‘école du bonheur » dit-il, jusqu’à ce que celle-ci soit réquisitionnée « pour l’implantation de la boulangerie et de la distribution du pain pour l’armée allemande environnante ». La classe de certificat d’études trouve refuge dans une salle du château. Le cours élémentaire et le cours préparatoire dans la Chapelle St Sauveur, vestige de l’abbaye du même nom. Comment mettre deux classes dans une seule salle ? La solution est de partager la journée : une classe le matin, une classe l’après-midi. Puis l’école fut installée dans des baraquements en planches, près de l’école des Terrasses. « Des tranchées en zigzag ont été creusées à proximité des classes. Nous n’y faisons que des exercices d’alerte, répétés assez souvent. Cet intermède est plutôt rigolo pour les gamins que nous sommes ».
Henri Baron habite alors au Grand Rigné. Il fait chaque jour ses 9,5 km pour aller et revenir de l’école. En passant devant l’école de Béré : « nous regardons les camions allemands reculer aux fenêtres, en travers de la route et se remplir de grosses miches de pain cubiques qui sortent de nos anciennes classes. Une large planche descend du rebord de la fenêtre, appuyée sur le plateau du camion. Un petit camarade, orphelin de mère, d’une famille nombreuse et pauvre, s’enhardit jusqu’à passer sous la planche, espérant subtiliser un pain. Il est de ceux qui souffrent : l’espoir d’une miche lui donne toutes les audaces. Et un jour, miracle, des deux mètres de planches, un soldat allemand à chaque extrémité, un pain tombe sur le trottoir. Hop ! Voilà le pain glissé sous sa blouse grise rapiécée » (…).
La scène se reproduisit d’autres fois « j’ai compris plus tard que des soldats allemands poussaient un peu fort la file de pains et en provoquaient la chute. Peut-être la pensée d’un enfant du même âge resté chez eux les aidait-elle à faire ce geste ». Autre image de la guerre.