Ecrit en janviet-février 1988
Franco Huard FOCAST : 130 ans de Fonderie
Il est à Châteaubriant, au cœur de la ville, un lieu où le feu s’allie à l’ombre, où le métal se moule sur du sable, où le gigantisme exige la plus fine précision. Un monde de poussière et de lumière que l’on connaît peu par ici, sinon par ses odeurs, par ses rejets de fumées et par ses bruits. Les produits de la Fonderie, car c’est de cette entreprise qu’il s’agit, n’habillent pas les femmes, comme les vêtements de la Confection Castelbriantaise, n’ornent pas les maisons comme les meubles de chez Provost, et ne participent pas au travail des champs comme les charrues Huard. Pourtant, les fabrications de Fonderie sont présentes partout autour de nous : les radiateurs en fonte, les canalisations d’eau, les robinets, les éléments de moteur turbo, les « ponts » des engins de travaux publics, les disques de frein pour train de laminoir et les culasses des moteurs du Souverain des Mers qui vient d’être lancé à St Nazaire. Malgré cette omniprésence, la Fonderie est mal connue. Sa première apparition publique a eu lieu au Marché Couvert le 2 février 1986 et nous a donné l’envie de mieux la connaître. Alors voilà, suivez le guide. LA MEE vous ouvre les portes du passé et du présent de FOCAST. |
Amand FRANCO n° 1
L’histoire de la Fonderie FOCAST débute à la fin de la première moitié du XIXe siècle, et se déroule en trois étapes : FRANCO - HUARD — FOCAST
Dans les années 1850-55, un certain Amand FRANCO était ouvrier mouleur à la Fonderie du Plessis-Bardoult, près de Pléchatel (Ille et Vilaine) où la fonte était produite par un ancien fourneau au charbon de bois, comme il en existait dans toute la région par suite de l’abondance du minerai de fer.
Dans cette fonderie, un constructeur de machines à battre, M. DUPRE (dont l’atelier se trouvait à Béré), s’approvisionnait en lourdes pièces de fonte, nécessaires pour équiper le « manège à cheval » qui actionnait les batteuses. M. DUPRE incita M. FRANCO à venir s’installer à Châteaubriant, en lui promettant sa clientèle.
La Fonderie Franco, de dimensions fort modestes à l’origine, fut édifiée sur le « champ de Paluel », au voisinage d’un petit étang non loin de la Chère. Elle était desservie par le chemin de Paluel. Le terrain fut acheté en 1855, par M. FRANCO, M. Auguste, COMTE DE BOIS-PEAN (qui résidait au Château de la Trinité avec sa femme Clara Lise Amable de Ballain-Villiers) moyennant 3000 F payés comptant.
La première fusion fut faite le 16 mars 1856 dans un cubilot « Wilkinson » (système anglais utilisé à cette époque). Celui-ci bien que transformé plusieurs fois, dura jusqu’en 1916. Au début, la Fonderie fabriquait elle-même son coke, dans un four spécial. Le « fondant » (calcaire) venait des Fours à Chaux d’Erbray, les « fontes en gueuses » venaient d’Angleterre par voie d’eau, via Nantes jusqu’à Nort sur Erdre, car le chemin de fer de Nantes à Châteaubriant, n’entrera en service qu’en 1876.
Pendant un temps, la Fonderie Franco, devint « FRANCO ET GURCZINSKI » par suite d’un contrat passé entre les deux hommes le 14 juin 1864. Prévu pour 10 ans, la société n’a duré que 3 ans, puisque, le 14 avril 1867, M. GURCZINSKI revend ses parts à Amand FRANCO qui reste seul propriétaire.
Amand FRANCO n° 2
En octobre 1876, Amand FRANCO décède : il n’a que 49 ans. Il laisse une veuve, Madame Joséphine ARTUR et deux enfants, un fils, Amand Franco âgé de 7 ans et une fille Marguerite Franco âgée de 4 ans. Un tuteur est nommé qui est M. Jean-Marie Franco demeurant à la Hunaudière à Sion les Mines.
Le jeune Amand FRANCO entreprend des études d’ingénieur des Arts et métiers et reprend la Fonderie, avec sa mère, en 1891. Sous son impulsion, la Fonderie, qui fabriquait surtout des pièces pour machines agricoles, en particulier pour la maison Dupré, se tourne vers l’exécution de pièces plus difficiles et devient fournisseur des chantiers navals de Nantes pour l’équipement des bateaux et la construction des machines à vapeur marines. La Fonderie est agrandie en 1894.
En 1893, Amand Franco se marie une première fois à La Gacilly avec Mme Eugénie HOMET ; celle-ci meurt en août 1897, laissant un fils, André Franco, né en 1895. Madame Joséphine ARTUR, moura en 1911.
En 1894, Marguerite Franco (sœur d’Amand Franco) lui vend la moitié indivise lui appartenant depuis la mort de leur père. Amand Franco, qui est alors propriétaire de l’ensemble, procède à des agrandissements.
En mai 1900, M. Amand FRANCO épouse, en secondes noces, Mme Marie CHASSANG et il naît un fils, Amand Franco en mars 1901. Mais Mme Chassang meurt en 1918 et le jeune Amand Franco décède à Damas, en Syrie, le 6 avril 1922, lors de son service militaire au 135e escadron du Train.
En 1920, M. Amand FRANCO se remarie une troisième fois avec Mme Marie Suzanne CORNOT. Ils n’auront pas d’enfant.
Pendant ce temps, la Fonderie poursuit son existence. En 1912 fut construit le grand hall de moulage à main avec son pont roulant de dix tonnes. Deux grands cubilots furent montés et la première fusion eut lieu en septembre 1913.
voici le texte du BOURGMESTRE, journal de Châteaubriant
en date du 29 juin 1864 :
Etude de Me FOUTREL-GAUGY, notaire à Châteaubriant.
D’un contrat passé devant Me FOUTREL-GAUGY et l’un de ses collègues, notaires à Châteaubriant, le quatorze juin mil huit cent soixante-quatre, enregistré le vingt-huit juin, même mois, par B. Chollet, qui a reçu six francs, contenant société entre : 1° M. Amand Franco, fondeur et propriétaire, demeurant à Châteaubriant ; Et 2° M. Théophile Gurczinski, fondeur et propriétaire, demeurant à Châteaubriant ; A été extrait ce qui suit : La société formée par MM. Franco et Gurczinski pour l’exploitation d’une fonderie, située à Châteaubriant, est en nom collectif, sa durée est fixée à 10 années qui ont commencé le quatorze juin mil huit cent soixante-quatre, et finiront à pareille époque de l’année mil huit cent soixante-quatorze, sauf le cas de décès de l’un des associés avant le terme ci-dessus fixé. La raison sociale est FRANCO et GURCZINSKI ; chacun des associés peut en faire usage, et ils ont tous deux la gestion et l’administration de la société. La mise en société est composée de terrain, constructions, outillage, matériel, marchandises et numéraire, d’une valeur de soixante-dix-neuf mille cinq cents francs, appartenant pour moitié à chaque associé. Pour extrait conforme : Châteaubriant, le 28 juin 1864 |
Pendant la guerre de 1914-18, la Fonderie Franco fut une des premières à entreprendre la fabrication de projectiles : grenades à main et obus de 155. Elle mis au point en 1916 la coulée de la Fonte aciérée, qui était alors une nouveauté, pour la production en série de ces obus. Ceux-ci étaient usinés et terminés à l’usine Huard (machines agricoles), mais il fallut plus d’un an pour que la fabrication soit totalement au point.
Après la guerre de 1914-18, la Fonderie Franco connut une période de prospérité, travaillant notamment pour la Maison HUARD qui construisait de plus en plus de charrues-brabant à traction animale.
En mars 1929, M. Amand FRANCO qui a 60 ans, et son fils André FRANCO, employé de Fonderie, célibataire, résidant place de la Motte à Châteaubriant, vendent la Fonderie à la Société Huard et Compagnie, représentées par MM. Jules HUARD et Louis DESORMEAUX. Le prix est de 675 000 F dont 175 000 F « payés en bonnes espèces de monnaie ayant cours » et le reste en 5 ans.
C’est la fin de la période FRANCO. La Fonderie devient désormais la Fonderie Huard mais la rue qui y accède porte toujours le nom d’Amand Franco : Amand Franco, le père, qui créa la Fonderie en 1856 - Amand Franco le fils qui lui donna de l’essor jusqu’en 1929, et qui, par ailleurs, fut maire de Châteaubriant.
Gabriel Delatour
C’est M. DELATOUR qui prit la direction de la Fonderie FRANCO devenue « Fonderie HUARD » et procéda rapidement à d’importantes améliorations : branchement sur le secteur électrique, installation de l’air comprimé, construction d’un atelier de noyautage. Elle trouva de nouveaux clients et obtint, entre autres, une importante commande de grenades. Mais, dès la fin de 1931, la crise (qui s’est révélée avec le Krach boursier de 1929) touche aussi bien la fonderie que l’usine de machines agricoles, avec la pénurie de commandes et l’avilissement des prix.
Cela dura 3 ans et ce n’est qu’en 1934 que le travail repris avec les commandes Worthington et la fabrication de bombes du type Brandt. (A signaler que Worthington est resté client de la Fonderie jusqu’à ces derniers mois). En 1936-40, d’importants marchés de boulets d’exercice procurèrent un tonnage considérable à la Fonderie. Les boulets, coulés en Fonderie, étaient usinés à l’usine de machines agricoles : la proximité des deux ateliers réalisant cette fabrication et les liaisons constantes existant entre eux, permirent la mise au point et l’exécution à des prix réduits. Le chiffre d’affaires important qui en résulta, permit à la Société Huard de tenir pendant la longue crise de la Machine Agricole qui précéda la dernière guerre.
Pendant l’occupation (1939-45), l’activité de la Fonderie, étroitement limitée par la pénurie de matières premières, fut heureusement atténuée par l’abondance relative de vieilles fontes dans l’Ouest. A cette époque, d’importantes commandes de la SNCF permirent de donner du travail supplémentaire à la Fonderie et à l’Usine, en leur procurant des allocations de monnaie-matière.
Par la suite, notamment en 1953-54, la Fonderie connut des crises graves. Elle faillit même fermer en 1955, l’exploitation s’avérant impossible dans des conditions économiques trop défavorables. Mais la qualité des productions et la fidélité des clients permit de franchir ce cap difficile.
Le groupe Huard mit alors en place, pour la Fonderie, un « bureau des méthodes de fabrication » et s’orienta vers le moulage des grosses pièces en modernisant les ateliers se rapportant à ce genre de fabrication. L’orientation « grosses pièces » que J. BARDOT développera par la suite, date donc de cette époque.
Cette modernisation imposant au directeur de la Fonderie une lourde tâche et des efforts soutenus, un nouveau Directeur est embauché pour la Fonderie, en remplacement de M. Gabriel DELATOUR qui désirait se consacrer davantage à l’usine de Machines Agricoles. Mais le nouveau directeur, M. Charles DENNERY, ne réalisa pas les merveilles espérées et la Fonderie connut une nouvelle crise en 1957 et surtout en 1959 où le déficit, dit-on, était « confortable ! »
C’est alors que le groupe Huard fit appel, comme solution de la dernière chance, à un jeune ingénieur de fonderie, Jacques BARDOT qui venait des Ardennes où il avait dirigé, et sorti de l’ornière, deux petites fonderies familiales, sans capitaux et en mauvaise posture économique.
Jacques Bardot
Jacques BARDOT arrivait donc à Châteaubriant avec une réputation solide, réputation qui lui permit de faire un peu ce qu’il voulait, d’investir comme il l’entendait, dans la mesure où le groupe Huard était d’accord pour payer.
Il y eut quelques conflits d’ailleurs à cette époque, notamment avec les riverains protestant contre des constructions faites sans permis de construire et contre des installations polluantes pour l’environnement. Il y eut un « procès de riverains » (qu’ils ont gagné) ; il y eut même un prêche en chaire de l’église St Nicolas.
Dès la première année de son arrivée, Jacques BARDOT procéda à une remise en ordre générale, aussi bien dans le domaine technique que dans le domaine commercial. Mais aussi dans le domaine social : mise au pas des délégués syndicaux, renforcement de la rémunération à la production. Ses méthodes ont été parfois contestées. En tout cas, il réussit à améliorer les résultats de la Fonderie, qui redevinrent bénéficiaires.
A cette époque, la fonderie comportait un atelier de fabrication de grosses pièces (jusqu’à 4 tonnes de poids unitaire) et un atelier de moulage mécanique avec chantier de moules en terre. Elle consommait quelque 120 tonnes, par mois, de fonte malléable et d’acier moulé.
Or Jacques BARDOT savait qu’il existait, depuis une dizaine d’années, une nouvelle fonte appelée « fonte G.S. » qui s’apparentait à l’acier et à la fonte malléable, mais qui était plus facile à élaborer et surtout qui pouvait concerner un éventail de produits plus important. Il fit donc acheter le brevet de la « fonte nodulaire » (fonte G.S.) et installer de nouveaux bâtiments. C’était dans les années 1962-63.
Par ailleurs, dès 1962, Jacques BARDOT fit installer une « unité mécanisée » qui permet le moulage automatique : la Fonderie Huard était ainsi la première en France à être pourvue de cet équipement (mis à part les fonderies intégrées des constructeurs automobiles).
Avec la fonte GS, dont on connaît les qualités, et avec un équipement modernisé, la Fonderie put repartir avec une productivité valable et acquérir une réputation technique qui lui permit de trouver de nouveaux clients, notamment dans le domaine des poids lourds (Berliet, Saviem, Unic, qui étaient les marques de camions de l’époque). La Fonderie Huard fabriquait alors des pièces de frein, des mains de ressorts, des moyeux et des boîtiers de direction pour les poids lourds et pour les autobus de la RATP (régie autonome des transports parisiens). C’est à cette époque aussi qu’a été commencée la production de pièces pour les gros moteurs de bateaux, des bâtis de compresseur (jusqu’à 4 tonnes !), des marbres d’outillage de certains éléments des avions Mirage, Caravelle et Concorde, des pièces pour les moteurs hydrauliques et, bien sûr, des équipements de charrues, planteuses, tracteurs, moissonneuses-batteuses.
Progressivement, le personnel augmentait. A l’arrivée de J. BARDOT, la Fonderie comptait 190 salariés. Il en a rétrocédé, de façon sélective, une vingtaine à l’usine de machines agricoles. Il n’en restait donc que 170. Mais l’effectif atteignit 540 personnes, fin 1976 (ce fut le maximum) avec embauche de Portugais (en 1969) et de Turcs. Pudiquement on a dit que ces immigrés avaient été appelés parce que la France manquait de main d’œuvre. Etrange raisonnement dans ce pays castelbriantais qui était déjà touché par la sous-industrialisation et le chômage.
En fait, le recrutement traditionnel d’industries comme les Forges et la Fonderie à Châteaubriant, était d’origine rurale. Mais la dégradation des conditions de travail, non compensée par des salaires valant le coup, a fait en sorte que le recrutement rural s’est tari. Cela a été l’époque de l’appel aux immigrés clandestins. Pour la Fonderie la filière était bordelaise.
L’appel à cette main d’œuvre était moins cher à l’époque que l’investissement. On connaît la suite : cela s’est terminé par le conflit Simca à Poissy lorsque les industriels français de l’automobile et de la mécanique ont fini par se rendre compte que la robotique à la Japonaise coûtait moins cher que la main d’œuvre immigrée au rabais. La société française actuelle en conserve les séquelles (cf. LE PEN)
Sur le plan local, les syndicats de la Fonderie estimaient que l’arrivée d’immigrés aidait à briser le mouvement revendicatif des ouvriers qui travaillaient « au boni ». En effet ces derniers s’arrangeaient pour que leur « boni » ne dépasse pas 30 %, c’est-à-dire pour que leur cadence de production reste environ 30 % supérieure à la cadence dite « normale ». Les Portugais et les Turcs, ne comprenant rien à ce système ont, au début, « bouffé les cadences, portant le boni à 70 % voire 100 %. Ils se sont aperçus plus tard à leurs dépends (problème de santé notamment) qu’on ne peut tenir qu’un temps à cette allure-là. Le système, contesté en 1979 par une grève totale de neuf jours des Portugais et des Turcs, est toujours en place.
Vers l’autonomie
La Fonderie s’est bien développée jusqu’en 1970-71 et, grâce à un service commercial propre, avait des clients sur le plan européen.
En 1973, la Fonderie Huard, qui était l’un des départements de l’usine de Machines Agricoles, devient la « SA des Fonderies HUARD » avec une autonomie totale, y compris statutaire, mais dépendant tout de même d’un Conseil d’Administration. M. Jacques BARDOT prenait totalement la responsabilité de l’entreprise : « les sottises, c’était moi » dit-il avec humour.
1973 c’est aussi l’année du choc pétrolier, qui a entraîné la récession générale dont nous ne sommes pas encore sortis. La concurrence entre les entreprises est devenue abominable.
« En 1970, nous avions réussi à implanter une unité de fusion moderne. Mais ensuite, nous avons dû vivre la tête entre les épaules, nous efforçant d’être le plus compétitif possible ; quitte à réduire le personnel : l’argent disponible servait le plus souvent à licencier les ouvriers... c’est une forme d’investissement pour sauver l’entreprise » dit J. BARDOT qui, dans le même temps, observait que l’usine de machines agricoles travaillait davantage avec du « mécano-soudé » et rétractait ses commandes à la Fonderie - que certaines entreprises comme Renault Véhicules Industriels avaient leur fonderie intégrée et faisaient moins appel à la sous-traitance. Par exemple, lors du Comité d’entreprise du 29 septembre 78, la Direction de la Fonderie Huard signalait une aggravation brutale de la situation : « Après SOMUA, FIAT, HUARD, c’est SAVIEM, qui réduit de 50 % sa charge de travail. BERLIET diminuerait aussi ; de plus, la direction commerciale de SAVIEM BERLIET a donné comme directives de diriger les commandes vers la Fonderie SBFM de Lorient (filiale de Renault). De plus, WABCO, un autre client de la Fonderie, vient de fermer ses portes ».
Horaires réduits à 32 heures/semaine (au lieu de 40), jours de chômage partiel ou total, se multiplient : « de janvier 77 à octobre 78, il y a eu 264 heures de chômage, ce qui équivaut à 6 semaines chômées » disait un tract syndical à l’époque, signalant en outre que l’effectif salarié était tombé à 473 personnes (soit 12 % de moins en deux ans).
La mal-aimée ?
A ce stade de l’histoire, précisons quelques points. D’abord les raisons pour lesquelles la Société HUARD avait acheté la Fonderie Franco :
En 1928, M. FRANCO désirant céder son « affaire », la société s’est laissée tenter par l’occasion. Les motifs semblaient être de quatre ordres :
L’euphorie de l’époque, tant du côté Société que du côté de la Fonderie FRANCO qui ne s’est jamais trouvée en difficulté et qui permettait à son exploitant d’alors de vivre valablement
La Société cédait à un instinct d’expansion en saisissant cette occasion
La Société adjoignant une deuxième corde « à son arc » en pensant obtenir une certaine contre-assurance en cas de crise agricole
Enfin, la Fonderie FRANCO était en grande partie sous-traitant de la Société HUARD, en outre, il y avait dans la région une vente non négligeable de fontes agricoles. La fonderie apparaissait donc comme un établissement naturellement complémentaire de l’usine de machines agricoles.
(extrait du bulletin de liaison des établissements Huard - n° 59/1966)
L’achat de Franco par Huard n’était pas une démarche originale à l’époque. La plupart des constructeurs métallurgiques utilisant la fonte se payaient une fonderie, considérée comme un simple atelier. Tout comme Huard, GARNIER à Redon avait sa fonderie, la Fonderie du Châtelet.
On peut se demander, vu la suite de l’histoire, si l’achat de cette fonderie était une bonne opération. Il est certain que le groupe Huard a porté la Fonderie à bout de bras pendant 30 ans (en gros jusqu’à l’arrivée de J. Bardot) et que, en bonne logique capitaliste, il aurait dû fermer cet atelier. Mais plusieurs choses l’arrêtaient : d’une part la qualité des produits de la Fonderie, d’autre part une certaine conception du rôle social de la famille Huard qui n’aimait guère trancher dans le vif et procéder à des reconversions douloureuses.
On a dit que la Fonderie était mal aimée par l’usine de machines agricoles. Il faut reconnaître que, sans cette usine, la Fonderie n’existerait plus depuis longtemps et ne connaîtrait pas son essor actuel. Il faut dire aussi que le groupe Huard n’avait pas les moyens de développer deux activités industrielles et qu’il n’a pas pu faire face aux investissements nécessaires à la Fonderie, pas plus qu’il n’a pu moderniser son propre atelier des Forges.
Les syndicats protestent contre les licenciements, demandant avec insistance la modernisation des installations existantes, et notamment l’implantation en zone industrielle de façon à disposer d’installations plus rationnelles et d’améliorer les conditions de travail des salariés, les conditions de vie des riverains, et d’augmenter la productivité de l’entreprise.
(relire à ce sujet LA MEE n° 27 de novembre 1977 - et LA MEE n° 37 d’octobre 1978)
La séparation d’avec le groupe Huard
Un projet de transfert en zone industrielle existe bel et bien et la SA FONDERIE HUARD demande le concours municipal le 12 novembre 1980. Ce que la municipalité accepte, de façon tout à fait formelle, au Conseil Municipal du 3 juin 1981 (il faut dire qu’on est en 1981, juste après la victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles, et peu de temps avant les élections législatives pour lesquelles le député-maire de Châteaubriant est candidat : il faut bien prouver qu’il mène une action efficace ! Pas si efficace que cela d’ailleurs, la suite le prouvera.
En fait, le transfert de la Fonderie Huard ne se fait pas, ni en 1981, ni en 1982 et, à la fin de cette année-là, la société holding HUARD-UCF annonce qu’elle renonce au projet, « pour ne pas s’endetter massivement ». On comprendra vite pourquoi : l’usine de machines agricoles commence à battre de l’aile.
En 1984, le projet de transfert se dessine enfin. La ville envisage la vente d’un terrain et la construction d’un bâtiment, pour la Fonderie Huard, en zone industrielle nord (Conseil Municipal du 6 septembre), pour l’installation d’un atelier grosses pièces. Début 1985 (3 janvier), la ville décide d’acheter aussi le terrain LE PECQ, qui jouxte la Fonderie, de façon à apporter de l’argent frais à la Fonderie où, par ailleurs, deux cadres dirigeants s’apprêtent à reprendre les rênes de l’entreprise.
Objectif affirmé de cette action de la ville : le maintien de l’emploi. Or, trois semaines après, la Direction annonce un projet de licenciement de 37 personnes encore, sur un effectif de 360 environ. On se doute bien que les syndicats CGT et CFDT protestent, de même que les Conseillers Municipaux de gauche. Mais en vain.
Roy et Debray
En mars 1985, c’est le « divorce à l’amiable » comme titrait la télévision régionale le jeudi 28 mars, en parlant de la séparation définitive de l’usine Machines Agricoles et de la Fonderie qui va devenir « FOCAST » (le mot « cast » rappelant la région castelbriantaise et évoquant, en anglais, une activité de fonderie).
La Fonderie a été reprise par deux de ses cadres dirigeants MM. ROY et DEBRAY, avec une aide importante des Pouvoirs Publics et divers accommodements de la ville de Châteaubriant. Ceux-ci ont pris trois formes :
achat du terrain « Le Pecq » où se trouvait autrefois la tannerie « Le Pecq » et qui jouxte la fonderie. Le terrain appartenait au groupe Huard, il est acheté par la ville pour un prix de 2,5 millions de francs et loué à FOCAST (200 000 F/an)
achat des terrains de l’usine FOCAST, rue Amand Franco, pour 2 100 000 F - ces terrains sont reloués à FOCAST pour la somme de 208 000 F/an
cession d’un terrain viabilisé, en zone industrielle route de Vitré (coût 900 000 F). Par contre, c’est la société FOCAST elle-même qui construit son atelier « grosses pièces » sur ce terrain.
Enfin, la ville a accordé une exonération de taxe professionnelle pendant 5 ans à FOCAST
Et maintenant ?
La situation en janvier 1988 : la Fonderie FOCAST a un effectif global de 328 salariés répartis en deux usines :
Usine n° 1 - rue Amand Franco à Châteaubriant- 310 salariés
Grosses pièces : 4000 tonnes/an
productivité : 45 heures/tonne
Petites pièces : 5000 tonnes/an
Productivité : 33 heures/tonne
Usine n° 2 - route de Vitré à Châteaubriant- 18 salariés
Cette usine ne fait que des grosses pièces avec une productivité record de 20 heures par tonne
La Fonderie, qui ne faisait que 5 % de son chiffre d’affaires à l’exportation en 1977, en fait maintenant 35 % (en 1986)
Lorsqu’on demande à M. ROY, le PDG actuel, d’expliquer le fonctionnement de la Fonderie, la première chose dont il parle, c’est le service commercial, preuve que la politique commerciale a une énorme importance pour l’entreprise.
Quatre personnes s’occupent de ce service, sous la direction de M. DEBRAY ; ce sont des représentants exclusifs de FOCAST : « nous n’avons pas de multi-cartes chez nous, car nos représentants ont besoin d’être d’abord des techniciens de haut niveau. Ce sont d’ailleurs des techniciens supérieurs de Fonderie, car, pour vendre des culasses pour les moteurs du « Souverain des Mers », des pompes pour le nucléaire ou des disques de frein pour les voitures corail SNCF, il importe que les commerciaux puissent posséder parfaitement la technique et prouver aux clients éventuels la qualité et la sécurité de nos productions ». En plus de ces quatre commerciaux, la société FOCAST a des représentants locaux, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, partout où il a besoin de « tenir compte des comportements des acheteurs, des susceptibilités et des mentalités ».
Derrière ce service commercial, qui va au devant des clients, se trouve tout un service appelé « Bureau des Méthodes et préparations » où une douzaine de personnes font les devis et conçoivent les outillages nécessaires à la réalisation des pièces.
Autre service important : le service technique (fusion, moulage, noyautage, finition, contrôle) et les satellites de production : maintenance et modelage. Nous en parlerons plus loin en expliquant comment sont faites les pièces de fonte.
LE SERVICE INFORMATIQUE est très développé à la Fonderie FOCAST. C’est Jacques BARDOT, qui l’a mis en place, avec la volonté d’être à la pointe de l’informatique, avec un matériel accessible à tous : l’appareil parle le français.
« Tout y passe : les commandes, les livraisons, les factures, le planning de travail, la gestion du personnel, la paie, et, bien sûr, le fichier client et les caractéristiques des pièces qu’ils ont commandées ».
Dernier service : les services administratifs et financiers.
« Tous ces modèles sont très difficiles, techniquement, à effectuer, et chaque pièce est contrôlée, une à une, pour vérifier qu’elle ne présente aucun défaut : on ne peut pas jouer avec la sécurité quand on fait des pièces pour les matériels de transport de voyageurs, par exemple » dit M. ROY
LES PETITES PIECES - de 2 à 50 kg, concernent les boîtiers de direction - les moyeux de roues - les distributeurs hydrauliques - les trains-avant des poids lourds - là aussi, on retrouve une exigence de sécurité.
La plupart des fabrications sont faites en « Fonte GS » - mais la fonte grise représente encore 10 à 15 % du tonnage.
L’AVENIR : la Fonderie FOCAST espère, bien évidemment, développer son secteur grosses pièces, plus « porteur » et s’installer totalement en zone industrielle pour pouvoir disposer d’ateliers modernisés. Mais entre le rêve et la réalité, il n’y a qu’un mot : l’argent, dont les dirigeants ne disposent pas suffisamment.
Mais la réputation de FOCAST n’est plus à faire, au point que le carnet de commande est bien rempli et que la charge de travail est assurée jusqu’en avril-mai 1988, avec même des heures supplémentaires imposées aux salariés. Au point qu’on se dit que la Fonderie pourrait bien embaucher...
La pièce ci-contre est destinée au refroidissement par eau des gaz d’échappement à 600 °C. La pièce, vue en coupe, permet de voir la complexité des cavités intérieures.