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Accueil > Histoire > Histoires particulières > Sage-femme de 1930 à 1947

Sage-femme de 1930 à 1947

sommaire généralSommaire "Histoire"

Les bébés ne naissent pas dans les choux
Bénévolement à l’hôpital
Nul ne savait faire une césarienne
La passion de la vie
6_ Une histoire en parler gallo
Sage femme

Des bébés et des choux


« Le grand mystère de la maternité enveloppe le monde » disait Jules Michelet. Parce que cet événement conditionne la continuité de l’homme, toutes les sociétés se sont intéressées à la naissance, édictant des rituels, fixant des règles de protection de la mère et des enfants.

 La femme et l’enfant sont les acteurs principaux de la naissance, mais ils ne sont pas les seuls : naître est un acte collectif qui engage toute une communauté humaine. Et les rites des différentes ethnies en sont le reflet :

Dans les tribus de la forêt brésilienne, c’est le père qui sectionne le cordon ombilical avec ses dents. En Terre de Feu, l’accouchement se passe en public sur les genoux de son mari, comme dans d’autres tribus indiennes ou lapones.

Presque toujours, on remarque que l’accouchement se fait en présence de vieilles femmes de la tribu. Les « sages-femmes », comme on les appelle, apparaissent très tôt dans l’histoire. Les Latins les dénommaient « OBSTETRIX », ce qui veut dire : « qui se tient devant ».

De nos jours, on parle toujours de « sage-femme » même si ce sont des hommes qui exercent ce métier, mais le terme « obstétricien » tend à se développer, tandis que le médecin évince peu à peu la « sage-femme ». A tort ? A raison ?

Châteaubriant a connu dans les années 1930-1947, sa première sage-femme, Mme Marcelle DURANDIERE. Avant elle, il n’y avait que des accoucheuses, des femmes dévouées sûrement, mais n’ayant pas toujours les connaissances suffisantes pour suivre une grossesse de bout en bout et limiter les risques au moment de l’accouchement.

Mme DURANDIERE, c’était une sage-femme accomplie. Elle venait de la Clinique Mozart (rue du Dr Blanche) à Paris. « C’était dans les années 1928-1930 au moment où les Russes Blancs quittaient leur pays. Ils avaient des méthodes différentes des nôtres et moins développées. Moi, j’ai eu sous mes ordres la princesse Tamara à qui j’ai appris le métier » raconte-t-elle.

Quittant Paris, pour suivre son mari, représentant en chaussures dans la région Bretagne, Mme DURANDIERE vient s’installer à Châteaubriant. « J’ai logé un certain temps au Grand hôtel du Commerce , et la dame de l’hôtel m’a fortement encouragée : vous pouvez vous installer, m’a-t-elle dit, vous travaillerez sûrement ».

Bénévolement à l’hôpital


Mme DURANDIERE a donc pris un logement dans la rue Aristide Briand, au dessus de la pâtisserie JANIN. « Je travaillais en clientèle privée et à l’hôpital. A l’époque, il n’y avait pas de sage-femme attachée à l’hôpital, et j’y exerçaiS bénévolement. La clientèle « fauchée » venait accouchER gratuitement à l’hôpital, de même que les femmes qui présentaient une grossesse à risque. Les autres accouchaient à la maison ».

Dans les premiers temps, quand il n’y avait pas le téléphone, les maris venaient prévenir Mme DURANDIERE à vélo, ou en voiture à cheval. « Dans ce cas, j’entendais les grelots de loin, je savais ce que cela voulait dire ; la carriole m’emmenait souvent en pleine nuit, et il n’était pas rare que le cheval s’endorme, il fallait faire activer, car moi je savais que d’autres femmes allaient m’attendre ailleurs : c’est toujours comme ça les accouchements, quand il y en a un qui se déclenche, on peut être sûr qu’il y en a un autre dans le même temps. Alors souvent, c’est mon mari qui allait voir et faisait patienter la deuxième parturiente ».

Nul ne savait faire une césarienne


Un accouchement en campagne, ce n’était pas triste. « La plupart du temps, cela se produisait pendant le repas. Toute la famille était là, autour de la table. Un seul plat, pas d’assiette, chacun piochait dans le plat et mangeait sur le pouce, tandis que le pichet de cidre circulait de bouche à bouche. Moi on me demandait - Voulez-vous quelque chose ? - Un œuf, je répondais - mais je ne touchais jamais au cidre ».

Et pendant ce temps-là, la femme était là, se tordant de douleur sur son lit, bien enfoncée dans sa couette. Il fallait faire sa toilette, changer le lit, préparer les linges pour l’accouchement, faire bouillir de l’eau... et surveiller tout le monde. « L’eau est-elle chaude ? » disais-je parfois. « Oui, me répondait la voisine présente autour de la parturiente. Et elle mettait son doigt dans l’eau... sans savoir qu’ainsi l’eau n’était plus stérile...Il fallait tout recommencer. »

Tout à coup, les contractions se précisent, le terme est proche. Mme DURANDIERE vérifie la dilatation du col de l’utérus. C’est pas commode quand la femme est toute cachée dans une couette ! « Je fabriquais alors un « drap de siège » c’est-à-dire un vieux drap roulé en boule pour surélever les fesses. Quelquefois c’était le plat à beurre que j’utilisais ».

C’était les temps héroïques...


En ces temps-là, à Châteaubriant, il y avait une seule sage-femme : Mme DURANDIERE et aucun médecin n’était accoucheur. Le Docteur NERET, parfois, faisait des accouchements mais il n’aimait pas ça : il était médecin militaire de formation. Quant aux césariennes, quand il en était besoin, personne n’était capable de les faire à Châteaubriant : il fallait faire appel à des chirurgiens d’Angers.

C’était les temps héroïques...


Par la suite, quand elle eu le téléphone, Mme DURANDIERE se rendait seule au chevet des parturientes. Un jour, du côté de Soudan, elle se trouve au carrefour de quatre routes. Laquelle prendre ? « Il y avait là une maison. Je demande mon chemin - tout droit ! on me répond - Oui mais, y a quatre routes, laquelle prendre ? interrogé-je - tout droit ! -C’est la seule réponse que j’ai eue. Il faisait nuit, heureusement que j’ai trouvé plus loin un fermier qui a bien voulu m’accompagner jusqu’à la ferme en question, sinon je me serais perdue ».

Pendant la guerre, c’est à vélo que Mme DURANDIERE se rendait au chevet de ses clientes. « Au long des kilomètres, les pièces qui bouchaient les trous de la chambre à air finissaient par glisser, et je devais revenir à pied. Mais en contre partie, il n’était pas rare que je ramène de la nourriture. Je ne me suit jamais fait arrêter par les Allemands : j’avais trop de cachets officiels sur mon laisser-passer » dit-elle.

La passion de la vie


Par la suite, Mme DURANDIERE a laissé sa clientèle privée à Mme WEISSE et l’hôpital, de son côté, a embauché une sage-femme, Mme CHAZE. Mais de 1930 à 1947, on peut dire que Mme DURANDIERE a fait tous les accouchements de la région.

Enfin presque ! « car je n’accouchais que les femmes que j’avais vues, avant, en consultation. J’ai réussi à leur faire admettre la nécessité d’un suivi, de dosages de sucre et d’albumine, et divers autres examens. Cela limitait les risques au moment de l’expulsion. Une seule fois, cependant, j’ai dû aider une femme que je n’avais jamais vue : c’était un mercredi matin, jour de marché, elle a accouché brutalement dans un fossé en venant à Châteaubriant ».

« Une seule fois, j’ai dû accouché une femme qui avait besoin de forceps. Moi, je n’avais pas le droit de procéder ainsi. La religieuse qui se trouvait avec moi, insistait pour que je le fasse quand même, pour sauver au moins la femme. - Attendez, je vais aller chercher un jeune médecin - me dit-elle. Et elle a ramené le docteur de P... qui avait le droit d’utiliser les forceps mais ne savait pas le faire. Alors je m’y mets, je tire l’enfant, c’est dur, je suis penchée en arrière et de P... derrière moi, les bras écartés, me dit : attention, vous allez tomber à la renverse ».
C’était les temps héroïques ...

Mais comment quitte-t-on ce métier de sage-femme ? Pour Mme DURANDIERE, tout à fait par hasard, pour aider son mari au magasin de chaussures. Mais c’est tout à fait par hasard aussi qu’elle avait choisi ce métier-là : « j’étais la seule survivante de 6 enfants, les autres étaient morts de la tuberculose. Après mon certificat d’études primaires, et mon certificat d’études supérieures, j’aurais voulu passer le concours des Postes. Mais il n’y en avait pas ! C’est alors qu’une camarade m’a entraînée à faire des études de sage-femme. La première fois que je vois un accouchement : la sage-femme qui crie - je m’évanouis - la directrice de l’école veut m’obliger à tenir une jambe de la femme - je ne peux pas - alors !regardez ! - et j’ai vu sortir le bébé et j’ai vu que ce n’était pas si terrible que cela. Et voilà comment je suis devenue sage-femme ».

On peut donc être sage-femme sans avoir eu la « vocation » au départ, et faire preuve de compétence, d’un doigté reconnu par toutes les femmes, d’une sûreté du diagnostic pour savoir si le bébé naîtra normalement ou pas. La plupart des femmes de la région ont été accouchées par Mme DURANDIERE et, toutes, elles en gardent un bon souvenir.

Une histoire en « parler Gallo »
(parler de Haute Bretagne)


C’éteu un saï de septembre, chez la mère Marguerite. Ça reveulinait dans les voyettes mais y’aveu eune bonne fouée dans la cheminée et le rocquaud éclairait le fouyeu.

Toute la famille teu là, meume les marreunes des environs. Une niée de garçailles quétineu d’impatience tandis qu’les hommes s’achommaient autour d’la table, où eune bonne picherée d’cid s’abuonnait.

Dans un coin, l’accoucheuse s’tabutait point. Pourtant, la Marguerite se tordait les harts à heure et à fois, dans le drugeoir. Dame ça f’sait 9 mois qu’son pêcher n’fleurissait plus et y teu tous là à guetter au kian la v’nue d’un p’tit chinchon, le dernier d’la couvée sans doute.

La Marguerite, avec son gros bineaü, teu carbillaud su le matelas de guiche. Elle buffait. Elle poussait. Parfois elle pignochait. C’est qu’le léchon tardait...

A la longue du temps, v’la la chupette de la garçaille qui musse à la ponoire ! La sage-femme empogne la gède et la piace sous les fesses d’la Marguerite. Et je masse le ventre, et j’te dis des mots gentils, et j’te guette au faufillon.

Cette faï, ça y est : le p’tit est sorti, ben ébriveu. Et il gigote, les yeux ébrasilleus que c’en est un piési. Et le v’la même qui s’moute dans l’giron d’sa mère. Les baubias là-bas en sont tout émeuyeus et meume le chenaillou d’mari qui nafle ! Et pi c’est l’défileu : un à un y viennent baiseu le petit, avant meume qu’y soit essardé...Ne dit-on point qu’ça empeuche le mal de dents ?

C’est pas tout ça ! La sage-femme coupe le cordon et framboie l’enfançon et sa maman, pendant que la moque de flip passe de main en main pour recorter toute la maisonnée.

Ah ! On aura souvenance longtemps de la naissance du clos-cul d’la Marguerite. Surtout que c’est son père tout pacré ! Faudra pas lui conter des diries à c’ti là !
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Saï : soir
Reveliner : se dit d’un vent piquant
Voyettes : petites voies, chemins
Fouée : flambée, feu
Rocquaud : chandelier de bois
Fouyeu : foyer, cheminée
Marreune : femme
Niée de garçailles : une nuée d’enfants
Quétiner : piétiner, ne pas rester en place
S’achommer : s’attarder
Picherée d’cid : pichet de cidre
S’abuonner : se couvrir de buée
S’tabuter : s’inquiéter
Se tordre les harts : se tordre
A heure et à fois : de temps en temps
Drugeoir : le lit des époux
Son pêcher n’fleurissait plus : n’avait plus ses règles menstruelles
Guetter au kian : guetter au trou
Chinchon : chéri, bien-aimé
Bineaü : ventre
Carbillaud : qui a les jambes écartées
Guinche : graminée qui sert à faire les paillasses des lits
Buffer : souffler
Pignocher : pleurnicher
Léchon : petit qui tête sa mère
Chupette : petite touffe de poils ou cheveux
Musser : passer
Ponoire : le cul...de la poule pondeuse
Gède : vase de bois de hêtre dans lequel on élaite le beurre
Faufillon : petit chemin par lequel on se faufile
Ebrivé : qui a de l’élan
Ebrasillé : qui brille
S’mouter : se blottir
Baubias : les badauds
Emoyé : ému
Chenaillou : chenapan
Nafler : s’évanouir
Essardé : essuyer
Framboyer : nettoyer
La moque de flip : la bolée de flip (mélange cidre + eau de vie)
Recorter : réconforter
Le clos-cul : le dernier de la couvée

Si l’histoire a retenu l’appellation de « sage-femme » c’est que ce sont souvent les femmes qui ont assisté les femmes dans leur travail d’enfantement.

Les Grecs faisaient appel aux accoucheuses et invoquaient la déesse Artémis. Les Latins confiaient leurs femmes aux Obstetrix et la déesse Lucine protégeait les femmes en couches. Hippocrate, médecin grec, 400 ans avant Jésus-Christ, confiait à des femmes le soin de procéder aux examens gynécologiques car, disait-il « le médecin est en contact avec des femmes, des jeunes filles, avec des objets précieux ; il faut à l’égard de tout cela garder la maîtrise de soi ».

Vers les années 1500, un médecin de Hambourg, WERT, qui voulait étudier l’accouchement, s’est déguisé en sage-femme pour en suivre le déroulement. Démasqué par une sage-femme, il a été condamné à mort et exécuté. Seuls les moines et les prêtres célibataires pouvaient, au XVI° siècle, parce que restés purs, parler de l’accouchement.

Mais la morale évolue avec le temps, voire avec la politique. C’est Louis XIV qui, le premier, a consacré l’art des accoucheurs hommes en faisant appel à Louis Clément, chirurgien de la Cour, pour accoucher sa maîtresse Louise de Lavallière sans que la reine en sache rien.

La polémique s’engage alors entre chirurgiens, et entre les chirurgiens et les sages-femmes. Un de ces chirurgiens, Philippe Hecquet, écrit un livre en 1705, « de l’indécence aux hommes d’accoucher les femmes », où il recommande aux femmes de préférer la mort dans un accouchement plutôt que de se livrer aux mains d’un accoucheur.

Pourtant les accoucheurs-hommes gagnent du terrain sur les sages-femmes. D’une part, parce qu’ils apportent des techniques nouvelles, d’autre part, parce que l’Eglise prend leur parti. L’Eglise voit dans les sages-femmes des complices toujours possibles de tentatives d’avortement. « Les théologiens assuraient que Satan se réjouit lorsque des enfants meurent sans baptême, puisqu’ils ne sont pas en paradis. Dans cette optique, les sages-femmes ne constituaient-elles pas des auxiliaires privilégiées du Malin ? D’autant plus que dans leurs immondes mixtures, les sorcières avaient coutume, croyait-on, de faire entrer des morceaux d’enfants non baptisés ». (Livre « Les Mains de la Vie » par Jean COHEN-Ed R.Laffont 1981)

De l’autopsie à l’accouchement


Quoi qu’elles disent, quoi qu’elles fassent, les femmes sont toujours proches des sorcières et tant pis si, pour la pudeur féminin, se faire accoucher par un homme est longtemps resté un sacrilège. Certaines femmes sont mortes d’émotion. Et le simple toucher vaginal suffisait parfois à provoquer des convulsions et des crises hystériques qui laissaient les accoucheurs perplexes.

Pourtant, la meilleure description de l’accouchement, et des soins à apporter à la femme, date de SORANUS (103 après Jésus-Christ). Ambroise PARE pratique l’accouchement prématuré. Jean-Louis BAUDELOCQUE développe la technique des césariennes et la prise de mensurations du bassin qui permet de prévoir certaines difficultés. André LEVRET et CHAMBERLAIN mettent au point la technique des forceps. Et surtout, progrès décisif, l’autrichien SEMMELWEIS découvre les ravages de l’infection. Il a remarqué que les femmes mouraient davantage de fièvre « puerpérale » si elles accouchaient dans la salle où officient les étudiants en médecine, que dans celles où opèrent les sages-femmes. C’est que les étudiants en médecine pratiquaient des accouchements après avoir procédé à des autopsies, sans se laver les mains...

De nos jours, les sages-femmes sont réduites au rang d’assistantes des médecins, alors qu’elles ont régné autrefois sans partage sur le monde de la naissance. Peut-être peut-on le déplorer, désirer que les sages-femmes retrouvent un peu du pouvoir que leur donne une connaissance instinctive de la réalité féminine.

A moins d’en arriver aux sages-femmes-médecins...

La sorcière


L’unique médecin du peuple, pendant mille ans, fut la Sorcière. Les empereurs, les rois, les papes, les plus riches barons, avaient quelques docteurs de Salerne, des Maures, des Juifs, mais la masse de tout état, et l’on peut dire le monde, ne consultait que la Saga ou Sage-femme. Si elle ne guérissait, on l’injuriait, on l’appelait sorcière. Mais généralement, par un respect mêlé de crainte, on la nommait Bonne Dame ou Belle Dame (belle donna), du nom même qu’on donnait aux Fées.

Jules MICHELET - La Sorcière