Ecrit le 27 octobre 2010
Evocation artistique écrite et mise en scène par Alexis Chevalier - Théâtre Messidor, pour le 69e anniversaire des fusillades de la Carrière des Fusillés à Châteaubriant
Je voudrais savoir écrire le silenceCelui qui repose là dans cette carrière d’automneDans les traces ineffables de l’Histoire.Celui toujours crucifié aux barbelés des campsCelui qui gémit encore dans les baraques de CompiègneEt l’odeur de la gare et le cri des trains qui s’efface dans la nuit. Je voudrais savoir porter l’écho des milliers de voixComme ces ultimes messages griffonnés et jetés sur le ballast. Faire briller d’espérance ces regards allongésSur des châlits de purgatoire où la survie seule ne tient qu’à la mémoire d’un visage, au rêve d’un monde de justice et de paix. Questionner les mêmes nuages, le même froid, la même neige Entendre les mots de fraternité et le chant des cultures profondes berceuses d’adieux et simples gestes de confiance.Je voudrais tant murmurer le silenceUn chant de Résistance dans la danse d’un violonUne dignité partagée, une trace dans l’Histoire.Propager l’écho de leurs simples motsOù rien ne finit jamais puisque tout amour dans l’amour renaît.Je voudrais savoir, tant savoir crier le silenceQui s’installe aux terrasses de mémoires amnésiquesOu si promptes à l’oubli.Et que la jeunesse se souvienne des jeunesses offertes pour la légèreté du monde et le bonheur simple d’une vie de liberté. Qu’ensemble, ici, nous rendions humblement hommageA ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sans âge nés aux mauvais temps, pris, déportés, abattus, rentrés ou non des "destinations inconnues".
Pendant le texte-poème "Destinations inconnues", des hommes, des femmes sont arrivés sur scène et dans un flot continu, sous le regard de policiers français, ont déposé leurs valises, jusqu’à construire en avant-scène, une pyramide. La musique monte et envahit l’espace. Au fronton de la scène, en lettres métalliques, on peut lire : "ARBEIT MACHT FREI"
Un train siffle et l’enregistrement d’un convoi de wagons de marchandises monte de plus en plus fort. A nouveau, les gendarmes interviennent. Ils encadrent et poussent des hommes, des femmes et des enfants vers un plateau de 32 m2, installé dans l’espace entre la scène et les spectateurs. Ce plateau de 9,29 m sur 2,72 m est aux dimensions d’un plancher de wagon à bestiaux, Fourgon GS à deux essieux 1940. Serrés les uns contre les autres, la centaine d’acteurs grimpe tant bien que mal sur cette estrade et dans la promiscuité ne bouge plus qu’au ralenti. Une machine à fumer se met alors en marche et enveloppe l’image.
Lorsque la fumée disparaît, quelques secondes plus tard, des corps sont tombés, entassés les uns sur les autres. La majorité restée debout est figée en silence. On entend alors des chiens aboyer et des ordres criés en allemand (bande son.) Sur la grande scène, un SS accompagné de son chien surplombe l’image du wagon. Lentement les corps se délient et comme se protégeant de coups virtuels, les "déportés" vont se mettre en rangs, femmes et enfants séparés des hommes.
Deux autres SS entrent à leur tour et trient les groupes, emmenant femmes, enfants et personnes âgées d’un côté. Les valides et les jeunes sélectionnés montent sur scène au coup de sifflet du SS au chien. Commence alors l’attente
L’évocation est conçue comme un album photos mémoire dont on tourne les pages. Des narrateurs journalistes racontent ou questionnent les personnages convoqués tandis, qu’image après image, les photos se succèdent. Elles illustrent ou évoquent des scènes et des tableaux de la vie sous l’occupation, dans la Résistance ou dans les camps, sans "coller" au texte.
Journaliste 1 : C’est en 1933, en Allemagne, que naissent les premiers camps de concentration. En janvier, Adolf Hitler vient d’être nommé Chancelier. Dès les mois de mars avril 33, une première vague d’arrestation touche près de 4 000 communistes.
Journaliste 2 : A l’automne, une seconde vague s’abat sur des syndicalistes, des sociaux-démocrates, des démocrates-chrétiens et d’autres opposants. En quelques mois, plus de 50 000 Allemands ou autres sont ainsi arrêtés et internés administrativement dans plus de 70 camps.
Les camps ! Institutions stables et mûrement réfléchies ! Les camps ! Instrument de gouvernement lié à une volonté de maîtrise du monde et à une conception raciale de l’humanité... dont l’issue est la mort. Les camps de concentration nazis sont mis en place pour se débarrasser rapidement et sûrement de tous les êtres jugés nuisibles au régime. On les appellera "déportés".
Mais qu’est-ce qu’un déporté ? Y a-t-il différentes sortes de déportés ? En 1945, on fera la différence entre le "déporté politique" et le "déporté racial". Mais 3 ans plus tard, en 1948, deux lois figeront juridiquement deux catégories de déportés :"le déporté Résistant" et "le déporté Politique", pour toutes les autres victimes, y compris "juives".
Mais alors, les "Politiques" n’étaient-ils pas "Résistants" ? Et la "Résistance" se serait-elle développée sans les "Politiques" ?
[Le spectacle raconte les journées de février 1934, puis le Front Populaire et les Accords de Munich. Le 12 novembre 1938, un décret de Daladier prévoit l’internement des « indésirables étrangers » : il y aura plus de 200 camps en France, dont un à Moisdon la Rivière. Et voici la « drôle de guerre ».Et la Résistance qui s’organise peu à peu et la Déportation]
(Coup de sifflet du SS au chien. Des prisonniers entrent en scène sous la surveillance de gardes. Ils poussent des brouettes remplies de pelles et de pioches. Chaque déporté se saisit d’un outil et prend une attitude de travail forcé.)
(Des enfants avancent et donnent le poème d’Eluard)
La Loi des hommes
Poème de Paul Eluard
C’est la douce loi des hommesDu raisin ils font du vinDu charbon ils font du feuDes baisers ils font des hommes.C’est la dure loi des hommesSe garder intact malgréLes guerres et la misèreMalgré les dangers de mortC’est la chaude loi des hommesDe changer l’eau en lumièreLe rêve en réalitéEt les ennemis en frères.Une loi vieille et nouvelleQui va se perfectionnantDu fond du cœurde l’enfantJusqu’à la raisonsuprême.
(Une série de scènes s’enchaînent sur la séquence suivante. Un instituteur français montre à ses élèves la carte de la France occupée.
Puis une autre classe d’enfants mais avec l’étoile jaune...).
La Guerre en Russie « pour la conquête de « l’espace vital », conflit idéologique, contre ce qu’Hitler nomme : « le Judéo-Bolchévisme ». C’est le déchaînement de la violence. Un seul but : Exterminer l’adversaire ! Tuer systématiquement. La Pologne et l’URSS sont des champs d’expérimentation de la terreur nazie. Himmler rappelle ainsi à ses hommes engagés dans le « Groupe de Combat Nord ».
« La violence est non seulement autorisée mais aussi souhaitée.
En face se trouve un peuple de 180 millions d’individus, un mélange de races et de peuples dont même les noms sont imprononçables et dont l’allure est telle qu’on peut seulement les descendre tous, sans pitié ni charité. ».
« On nous a pris nos affaires, nos vêtements, nos photos, nos papiers d’identité, tout ce qui rattache un être à son passé. Nous sommes déshumanisés. Nous avons un numéro. Nous ne sommes plus qu’un numéro ».
« Oh mon Dieu, faites que je ne
meure pas ici !
Faites que je n’aille pas grossir
le nombre de ces pauvres femmes empilées nues,
sur la charrette,
à peine
recouvertes d’une bâche d’où
les chairs
pourrissantes
exhalent l’odeur fade ».
« Moi, Charlotte Delbo, je peux témoigner que si notre convoi a eu un si grand nombre de survivants, 57 sur 230 après 6 mois de camp, c’est que nous formions un groupe compact. Nous nous aidions de toutes les manières, souvent bien humbles, en nous donnant le bras, en nous frottant le dos mutuellement pendant l’appel et puis nous parlions. La parole était défense, réconfort, espoir. En parlant de ce que nous étions avant, de notre vie, nous gardions notre réalité. Chacune des revenantes sait que, sans les autres, elle ne serait pas revenue ».
« Quand tu reviendras chez toi, va voir ma mère.Elle est âgée, ça la réconfortera.Salue-la de la part de son garçon et dis-lui de tenir bon.Dis-lui que douze cents garçons sont loin d’être brisésDerrière les barbelés.Ils ne sont pas résignés malgré les pointes aiguësDans leur épaule nue.Quand tu reviendras à la maison, dis à ma vieille mèreQue je la prie aujourd’hui,De ne rien demander aux Allemands pour son fils étudiantInterné à Sachsenhausen ».(poème de Jiri Batelka)
[Le spectacle évoque encore des noms bien connus à Châteaubriant : Marcel Viaud, Roger Puybouffat, Marcel Letertre, Jean Sinenberg, Marcel Guibert, Célestin Deroche ... ]. Un grand moment d’émotion joué par une centaine de comédiens amateurs du Pays de Châteaubriant ce 24 octobre 2010. Merci à tous].
Textes et photos
Photos :
http://www.messidor.ouest-atlantis....