DOCUMENT 7 : ADLA 1694 W 56, 23 juin 1941
Rapport du commissaire spécial de Nantes au préfet
Rapport du commissaire spécial de Nantes au préfet de la Loire-Inférieure sur les évasions de cinq internés communistes du camp de Choisel le 19 juin 1941.
Jusqu’en juin 1941, les mesures de sécurité imposées aux internés ont été relativement légères, une garde de 12 gendarmes pour plusieurs centaines de détenus répartis en trois secteurs, un encadrement réduit au minimum et donc l’utilisation constante des services des détenus eux-mêmes pour assurer le fonctionnement quotidien du camp.
Chez les politiques ce sont eux qui font l’appel, répartissent les billets de visite pour les familles... Quant aux soins médicaux, les détenus vont les recevoir en ville, un gendarme accompagnant le patient jusque chez le médecin. D’autres possibilités de rencontrer assez librement des personnes extérieures existent au camp même car les commerçants qui viennent livrer le ravitaillement sont autorisés à pénétrer dans le camp où les détenus les aident à décharger.
Si l’on ajoute que les gendarmes sont régulièrement relevés et viennent de tout l’Ouest, il est facile de comprendre qu’il y a là de multiples possibilités de s’évader car ces gendarmes au bout de quinze jours ne connaissent toujours pas les détenus et une fois même il est arrivé que deux beaux-frères se soient retrouvés de part et d’autre des barbelés !
Parmi les 13 évadés du mois de juin 1941, le cas des cinq communistes a eu d’importantes répercussions par la personnalité même des évadés, des cadres du parti dont le député Fernand Grenier et l’évidente concertation qui a permis leur départ.
Le cas de Roger Semat est un peu particulier, il avait obtenu une permission de deux jours pour aller voir sa mère malade. Les autres ont effectivement profité des billets de visite gérés par F. Grenier pour sortir le plus naturellement du monde, les gendarmes les prenant pour des visiteurs. Comme les responsables de baraque font les appels et que Leclercq ne vérifie qu’une fois par jour, les absences n’ont été découvertes que 3 jours après ! Et ce que ne soupçonne pas encore ce commissaire spécial c’est que les complices qui attendaient les évadés à l’extérieur n’ont pas dirigé directement les évadés sur Paris.
F. Grenier a rejoint Nantes à vélo par Tréffieux, Nozay, Joué-sur-Erdre où de nombreuses personnes ont assuré sa sécurité. Puis chacun est parti vers son destin : F. Grenier rejoindra Londres en janvier 1943 avant d’être en avril 1944 Commissaire à l’Air dans le gouvernement d’Alger, Hénaff devenu un des commissaires militaires du parti coordonne à partir d’août les actions directes contre les forces d’occupation : Paris d’abord puis Nantes et Bordeaux en octobre 1941.
La conjonction de ces évasions et de l’attaque allemande contre l’URSS a immédiatement entraîné le renforcement des mesures de sécurité : garde portée à 40 gendarmes, miradors et projecteurs remis en service, rideau de fils de fer barbelés doublé, visites et courrier beaucoup plus surveillés, etc... le chef de camp a été remplacé et un officier de gendarmerie nommé responsable de la sécurité, le tout sous le regard beaucoup plus attentif des forces d’occupation.
Malgré ces préoccupations et les évènements d’octobre 1941, d’autres responsables communistes réussissent à s’enfuir le 25 novembre. P. Gaudin, H. Gautier et A. Delaune le populaire « ministre des sports de Choisel » utilisent le moyen presque infaillible d’une pince coupante qui leur ouvre une brèche. Cette deuxième évasion, alors que les Allemands considèrent le camp comme un réservoir d’otages, a renforcé leurs doutes sur les capacités des Français à surveiller les détenus et ils ont manifesté l’intention d’en assurer eux-mêmes la garde. Puis des inspections répétées au début de l’année 1942 vont les convaincre d’en ordonner la fermeture.
Voilà donc ce que déclare le Commissaire spécial
Nantes, le 23 juin 1941
N° I.258
LE COMMISSAIRE SPECIAL, Chef de Service
A Monsieur LE PREFET DE LA LOIRE INFERIEURE
Référence à vos instructions concernant l’évasion du camp de Choisel à Châteaubriant, le 19 courant des internés politiques RAYNAUD Julien, SEMAT Raymond, MAUVAIS Léon, GRENIER Fernand, HENAFF Eugène,
J’ai l’honneur de vous faire parvenir les renseignements suivants :
Le moment exact du départ de ces internés n’a pu être précisé, excepté pour MAUVAIS, qui est sorti du camp vers 10 h 15, par la porte normale. Il est fort probable que les trois autres ont suivi la même voie, car le trou creusé sous les barbelés pour le passage d’une canalisation n’apparaît pas pratique, à moins qu’il ait servi de nuit, ce qui reste possible.
Pour comprendre la facilité de ces départs sans attirer l’attention, il est utile d’expliquer le mécanisme des appels dans la section des internés, et l’établissement d’autorisation de visites.
1) - Conformément aux règlements, des internés politiques peuvent recevoir des visites de leurs parents directs. Pour ce faire, le chef de camp établit des autorisations enregistrées, portant le nom du bénéficiaire et la date de sa venue. Muni de cette pièce qui lui est adressée par l’interné, sous couvert du chef de camp, l’intéressé pénètre dans les baraquements après vérification par le gendarme de l’autorisation, laquelle est retirée à sa sortie. Or, il a été loisible de constater que l’autorisation, enregistrée sous le numéro 920/M, au bénéfice de HAMON Marcel, 5 Impasse des Mimosas à l’Hay des Roses (Seine), pour le 25 courant, a été utilisée par MAUVAIS. Les inscriptions du document initial, excepté le numéro d’enregistrement et le nom, ont été décolorées et remplacées, de l’écriture même de MAUVAIS, par la date des 18 et 19 juin.
Muni de cette pièce, il est sorti régulièrement du camp, le gendarme de service ne lui ayant pas demandé justification de son identité.
Plusieurs de ces autorisations ayant été retirées le même jour, il est possible que d’autres aient été utilisées par RAYNAUD, GRENIER et HENAFF.
Je crois devoir ajouter que depuis l’évasion, des personnes sortant ou entrant du camp sont inscrites sur un registre et doivent montrer une pièce d’identité régulière.
2) Les appels effectués dans les sections des nomades et des individus dangereux sont effectués par les gendarmes de garde. Pour la section des internés politiques, le chef de camp a institué pour chaque baraque un « Chef responsable » qui procède à l’appel et lui rend compte. Lui-même fait plusieurs vérifications dans la journée. Or, à cette date, le Chef de camp a procédé à cette vérification le 18 vers 23 h 30 et le lendemain vers 13 h 30.
De ce fait, il n’est pas possible de limiter l’heure du départ des évadés, d’autant que les autres détenus prétendent ne s’être aperçus de leur absence qu’au repas de 12 h. Le « responsable » a signalé la disparition après le repas, vers 13 h 15, alors que le train de 12 h 22 pour Paris, partait ou allait partir.
Le manque de vérification du chef de camp, ce jour là, s’explique par une fatigue physique due à une surcharge de travail, ce délégué devant s’occuper personnellement de toutes les charges qui relèvent du camp. A ce sujet, il y a lieu de noter qu’un collaborateur sérieux devrait lui être adjoint, pour partager la besogne largement suffisante pour deux, avec le nombre élevé des détenus.
Pour ce qui concerne SEMAT, le cas a déjà été expliqué, et son retour est toujours aussi incertain.
Il ne semble pas qu’il ait rejoint Paris, puisque hier encore, il recevait deux lettres de sa mère et d’un ami qui ignoraient son départ.
A leur sortie, il n’est pas impossible que les évadés aient pris le train pour Sablé et Paris à 12 h 22.
A la gare de Châteaubriant, six billets ont été délivrés pour Paris, mais tant le comptable du guichet
que le contrôleur de sortie ne se rappellent le signalement des acheteurs de ces billets.
Un seul fait a retenu l’attention : un homme et une femme s’étant présentés au guichet peu avant l’arrivée du train, la femme demanda deux billets pour Paris mais l’homme intervient « Non, pour Chartres ». Après discussion la demande fut pour Paris.
Or, dans le courrier du 21, il a été trouvé une carte adressée à l’interné ROUANET Henri, ami des évadés, envoyée de Chartres le 20 à 17 h, portant : « le bonjour à tous » et signé : Pierrot, Paul, Nénesse et Dédé. Ces surnoms seraient ceux donnés au camp à HENAFF (Nénesse), GRENIER (Dédé) et MAUVAIS (Pierrot). Le quatrième Paul pourrait s’appliquer à RAYNAUD.
J’ai montré ce document à Monsieur le Sous-Préfet de Châteaubriant, qui a immédiatement téléphoné à la Préfecture de Police, la Préfecture d’Eure et Loire, et à vos services.
Les évadés ayant pu partir également par automobile, il convient de signaler que des barrages entrepris par la gendarmerie n’ont donné aucun résultat.
Par ailleurs, les recherches poursuivies par mon service, à Châteaubriant, tant auprès des fournisseurs du camp, qu’à l’égard d’un sympathisant communiste, le fondeur LEROY, n’ont pas permis d’établir une complicité.
D’autre part, il avait été signalé que l’interné Dr BABIN, aurait dit que les évadés n’avaient fait qu’obéir à des ordres pour se rendre à une réunion.
En réalité, ce renseignement a été moins affirmativement fourni. Le Dr BABIN a dit seulement : " Mais qui vous dit qu’ils n’ont pas obéi à un mot d’ordre ? On avait peut être besoin d’eux ! De les réunir !"
En résumé, il apparaît que les départs des internés RAYNAUD, MAUVAIS, GRENIER, HENAFF sont dus à des négligences :
1) Le chef de camp a été surpris dans sa bonne foi, car s’il y avait quelques libertés trop faciles, au camp, le but était de « ne pas faire des internés de futurs martyrs pour la cause communiste ». S’il y a eu faute de la part du chef de camp, elle ne fut certainement pas intentionnelle, et il serait regrettable de se priver de son activité zélée ; mais je le répète, un collaborateur devrait lui être adjoint.
2) Les gendarmes auraient dû contrôler l’identité des personnes entrant ou sortant du camp, comme ils le font maintenant.
Je crois devoir ajouter que l’effectif des gendarmes est insuffisant : la garde permanente ne compte en effet que douze hommes, pour surveiller près de mille mètres d’enceinte.
LE COMMISSAIRE SPECIAL
Chef de Service