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Une vasque de feu au bout de la nuit

Une vasque de feu au bout de la nuit

Samedi 12 avril 2003 eut lieu une première cérémonie, près de la Borne de la Voie de la Liberté, en plein cœur de la ville, en présence des Consuls d’Allemagne et de République Tchèque et d’un Colonel allemand de l’école Inter-Armes de Coëtquidan, à l’endroit même où, il y a 60 ans, les nazis arrêtèrent des Résistants.

André BESSIERE, président de l’Amicale des Déportés Tatoués, a rappelé que les premiers internés dans les Camps de Concentration nazis ont été les Allemands qui, dès 1933, refusaient cette idéologie. Il parla brièvement des deux centres princi-paux qui, en France, réglaient la déportation : Drancy pour les déportés juifs, et Compiègne (caserne de Royallieu) pour les résistants de toute obédience. Puis il retraça le parcours du convoi exceptionnel du 27 avril 1844, parti de Compiègne pour Auschwitz, le jour même où le Maréchal Pétain, quittant Vichy où se trouvait le gouvernement, était accueilli à Paris « avec un enthousiasme délirant » comme titrait le journal L’Action Française.

Ils étaient 1655 entassés, bouclés, à plus de 100 sur une surface de 17 m2, pire que des bêtes, dans des wagons à bestiaux (chevaux 8, hommes 40). La soif, le manque d’air, la compression menèrent certains d’entre eux à la folie et à la mort, dans les wagons eux-mêmes.

 Marche de la mort

Compiègne, Charleville, Metz, Coblence, Buchenwald, Auschwitz. Le long de la voie les cheminots trouvèrent des billets, jetés des wagons au gré du vent, qu’ils s’efforcèrent de faire parvenir aux familles, souvent avec un mot de réconfort, tout en sachant quelle répression impitoyable menaçait ceux qui transmettaient ces messages.

Auschwitz, l’accueil par la « porte de la mort », mise à nu, rasage complet, tatouage, enfermement à 1200 dans des écuries prévues pour 52 chevaux. Puis Buchenwald, Flossenbürg et ses commandos de travail. En avril 1945, à l’approche des armées alliées et des troupes soviétiques, le camp de Flossenbûrg se vide de ses 16 000 détenus valides. Commence alors une meurtrière marche de la mort marquant son passage d’une traînée ininterrompue de cadavres ensanglantés.

« Nous étions plus de 750 au départ de Floha, nous nous retrouvions trois semaines plus tard, le 7 mai 1945, à moins de 200, dont quelque 150 qui avions échoué, en fin d’après-midi, sous les murs de la ville forteresse de Theresienstadt » raconte André Bessière (185074)

« Les SS ayant évacué la ville l’avant-veille, et les Russes n’étant pas encore arrivés, nous étions sous la protection de la gendarmerie tchèque qui nous avait cantonnés dans un grand baraquement bois d’une seule pièce. Le lendemain matin, 8 mai 1945, dans cette vaste pièce aux murs noircis, aux relents fétides, à l’annonce de la victoire et de la cessation des hostilités, le tohu-bohu est indescriptible. On pleure, on trépigne, on crie sa joie dans toutes les langues ».

 Bouleversante

« C’est dans ce brouhaha, alors qu’une voix fragile entame les premières mesures de la Marseillaise, qu’une autre s’époumone à la faire taire. Un calme relatif s’établit. Encouragée la voix poursuit, que je reconnais comme étant celle du poète Robert Desnos qui déclare : en de telles circonstances, l’honneur de chanter notre hymne national revient à l’officier de notre commando le plus ancien et le plus élevé en grade, notre camarade Letertre. »

« Une table est aussitôt installée sur laquelle nous sommes quelques-uns à aider Marcel Letertre à monter. Le malheureux tient à peine sur ses jambes. Des larmes perlent à ses yeux lorsque d’une voix brisée par l’émotion, il chantonne dans un silence absolu la plus hésitante, la plus fausse, mais la plus bouleversante des Marseillaises que j’aie jamais entendue, Marseillaise que nous accompagnons tous au refrain. C’était la dernière fois que je voyais Marcel Letertre » a dit André Bessière rescapé de ce convoi des Déportés Tatoués où il portait le numéro 185074.

 La vasque de lumière

Lors de la commémoration de Châteaubriant , les rares survivants, 60 ans après, de ce « Convoi des Tatoués », transmirent des torches allumées à une quinzaine de jeunes, signe de la mémoire qui se perpétue et de la vie qui continue. Et le Consul de Tchécoslovaquie planta une seizième torche, signe de l’Europe des Peuples qui reste à construire. Intenses moments d’émotion.

Dimanche 13 avril 2003 la commémoration avait lieu au château, avec, d’abord, les souvenirs du Vieux Donjon. Puis cinq représentants des religions prièrent, selon leurs rites. Israélite, Protestant, Catholique, Orthodoxe, Musulman.

 D’autres se lèveront

Le pasteur protestant lut un texte aux résonances étrangement actuelles : « Pour les Chrétiens, c’est aujourd’hui la fête des Rameaux qui évoque le souvenir de l’entrée de Jésus à Jérusalem, une entrée marquée par toutes les ambiguïtés des attentes et des espoirs des hommes. Une foule en liesse acclame celui qu’elle prend pour son libérateur. Et pourtant, quelques jours plus tard, la ferveur retomba, elle se retournera contre lui.

Depuis, nous ne le savons que trop, les libérateurs deviennent rapidement oppresseurs et les foules en liesse sont déçues. Aussi je verrais volontiers dans cette entrée une autre image, celle de l’irruption d’un Résistant, résistant à la haine, à l’injustice, à l’humiliation, dans une ville pacifiée mais qui ne connaît pas la Paix, une ville qui, selon une tradition quatre fois millénaire est celle où l’on devrait voir un jour surgir la conciliation entre les hommes de toutes races et de toutes nations.

J’ai donc envie de voir dans cette scène un appel à cet esprit de Résistance qui, au cours des siècles jusqu’à nos jours, chez tous les peuples, chez tous les hommes, croyants ou incroyants, a fait que certains se sont levés pour que la Paix surgisse. Une Paix qui ne se trouve jamais du côté des empires qui toujours confondent pacification avec paix, mais qui se trouve du côté de ceux qui, courageusement prêts à aller jusqu’au don de soi, luttent, combattent, pour que d’autres vivent. Cette quête de la Paix a parfois été contrainte de consentir à la violence, mais jamais elle n’a pu s’en réjouir, jamais elle n’a pu s’y abandonner.

C’est à ce prix, parce que des hommes et des femmes se sont donnés à cette quête, à ce combat, que demeure l’espérance qu’aujourd’hui, et demain encore, d’autres se lèveront, sans volonté de puissance, sans désir de construire de nouvelles dominations. A l’écart de toutes les tentations de bâtir des empires éphémères, à l’écart de toutes les illusions d’imposer par la force un ordre hypocrite, il y aura toujours des voix qui crieront dans le Désert de nos sociétés rassasiées ou corrompues, que l’Avenir de l’Homme n’est pas dans l’injustice, l’égoïsme et la haine, mais qu’il est dans la solidarité, la fraternité et l’Amour. « (...)

Après les prières, des jeunes de l’Aumônerie des Lycées de la ville ont proclamé des extraits de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, au nom de tous ceux et celles « qui croient au ciel ou qui n’y croient pas ».

Puis les représentants des religions, et quelques jeunes, allumèrent une vasque de lumière, avant de se rendre pour un dernier hommage aux morts dont les noms sont gravés sous le Poilu de pierre.

Dans le cortège, le moine de la Meilleraye tenait la main de l’Imam musulman.

Un grand week-end d’émotion et de souvenir qui a même fait dire, à l’un des « Déportés Tatoués » : « je ne regrette pas d’avoir fait partie de ce sinistre convoi, quand je vois la cérémonie que nous avons vécue ici ».


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Texte du livre "Telles furent nos jeunes annees", telechargeable ici : http://www.journal-la-mee-2.info/bp/LivreMee.pdf

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