La Rose et le Réséda
Celui qui croyait au cielCelui qui n’y croyait pasTous deux adoraient la bellePrisonnière des soldatsLequel montait à l’échelleEt lequel guettait en basCelui qui croyait au ciel ?Celui qui n’y croyait pas ?Qu’importe comment s’appelleCette clarté sur leur pasQue l’un fut de la chapelleEt l’autre s’y dérobâtCelui qui croyait au cielCelui qui n’y croyait pasTous les deux étaient fidèlesDes lèvres du coeur des brasEt tous les deux disaient qu’elleVive et qui vivra verraCelui qui croyait au cielCelui qui n’y croyait pasQuand les blés sont sous la grêleFou qui fait le délicatFou qui songe à ses querellesAu coeur du commun combatCelui qui croyait au cielCelui qui n’y croyait pasDu haut de la citadelleLa sentinelle tiraPar deux fois et l’un chancelleL’autre tombe qui mourra ?Celui qui croyait au ciel ?Celui qui n’y croyait pas ?Ils sont en prison LequelA le plus triste grabatLequel plus que l’autre gèleLequel préfère les ratsCelui qui croyait au ciel ?Celui qui n’y croyait pas ?Un rebelle est un rebelleDeux sanglots font un seul glasEt quand vient l’aube cruellePassent de vie à trépasCelui qui croyait au cielCelui qui n’y croyait pasRépétant le nom de celleQu’aucun des deux ne trompaEt leur sang rouge ruisselleMême couleur même éclatIl coule il coule il se mêleÀ la terre qu’il aimaPour qu’à la saison nouvelleMûrisse un raisin muscatCelui qui croyait au cielCelui qui n’y croyait pasL’un court et l’autre a des ailesDe Bretagne ou du JuraEt framboise ou mirabelleLe grillon rechanteraDites flûte ou violoncelleLe double amour qui brûlaL’alouette et l’hirondelleLa rose et le résédaLouis Aragon
COMPLAINTE DU PARTISAN
Les Allemands étaient chez moiOn m’a dit résigne toiMais je n’ai pas puEt j’ai repris mon arme.Personne ne m’a demandéD’où je viens et où je vaisVous qui le savezEffacez mon passage.J’ai changé cent fois de nomJ’ai perdu femme et enfantsMais j’ai tant d’amisEt j’ai la France entière.Un vieil homme dans un grenierPour la nuit nous a cachésLes Allemands l’ont prisIl est mort sans surprise.Hier encore nous étions troisIl ne reste plus que moiEt je tourne en rondDans la prison des frontières.Le vent souffle sur les tombesLa liberté reviendraOn nous oublieraNous rentrerons dans l’ombre.Emmanuel d’Astier de La Vigerie
Ce cœur qui haïssait la guerre
Ce coeur qui haïssait la guerrevoilà qu’il bat pour le combat et la bataille !Ce coeur qui ne battait qu’au rythme des marées,à celui des saisons,à celui des heures du jour et de la nuit,Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veinesun sang brûlant de salpêtre et de haine.Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelleque les oreilles en sifflentEt qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pasdans la ville et la campagneComme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat.Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos.Mais non, c’est le bruit d’autres coeurs,de millions d’autres coeursbattant comme le mien à travers la France.Ils battent au même rythme pour la même besognetous ces coeurs,Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaisesEt tout ce sang porte dans des millions de cervellesun même mot d’ordre :Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !Pourtant ce coeur haïssait la guerreet battait au rythme des saisons,Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colèresEt des millions de Francais se préparent dans l’ombreà la besogne que l’aube proche leur imposera.Car ces coeurs qui haïssaient la guerrebattaient pour la libertéau rythme même des saisons et des marées,du jour et de la nuit.Robert Desnos
N’écris pas mon nom
Claude, si la guerre incertaineUn de ces beaux matins m’emmèneLes pieds devant,N’écris pas mon nom sur la terreJe souhaite que ma poussièreS’envole au vent.Pas d’étendard avec ma chiffeQue l’officiel et le pontifeTaisent leur bec ;Vous-mêmes, ce matin d’épreuve,Mes trois enfants, et toi ma veuveGardez l’oeil sec.Pas un regret ne m’importune.Je suis content de ma fortune.J’ai bien vécu.Un homme qui s’est rempli l’âmeDe trois enfants et d’une femmePeut mourir nu.Veux-tu que mon ombre s’égaieQu’un canot à double pagaiePorte mon nom,Qu’il ait un mât, voile latine,Le nez léger, l’humeur marineEt le flanc blond.Tu sais comment j’aimais la vie.Je détestais la jalousieEt le tourment.Si les morts ont droit aux étrennesJe veux qu’au bout de l’an tu prennesUn autre amant.Jean Prévôt (en mer, 12 juin 1940)tiré de "derniers poèmes" aux éditions Gallimard
Au pied du Monument érigé en souvenir des martyrs de la Sablière, des alvéoles contiennent de la lieux d’exécution et de torture.
Terres de Châteaubriant
Terres de ChâteaubriantTerres du sacrificeVenues des quatre coins de FranceVenues d’ailleurs et de lointains paragesTerres du désespoir et du combatTerres indomptables du courageTerres des barbelésCendres des crématoiresPoignées de terre prises à des montagnes de souffanceHumus des fossesTerres des longs charniersTerres de la terreurTerres d’atrocitésTerres des geôlesTerres des citadellesChambres de tortures où se déchaîne le malMonument où parlent en silenceToutes des bouches de terreFontaines intarissablesD’un indomptable résistanceGéographie sanglanteoù tous les sangs se mêlentEt toutes les saisons et tous les paysagesCe sable a bu le sang des combattants de l’ombreCette glaise a recueilli les corps martyrisésCes cailloux réclament sans fin justiceTerres de ChâteaubriantBouches de silenceLèvres de fiertéHommes et femmes veillezSentinelles de l’espéranceCar toute espérance se survit