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Je suis là depuis tant de sièclesPersonne ne connaît mon âgeMais mes pierres sont un coffre précieux,Le plus précieux peut-être :Celui de la mémoireLa tienne, sire de Brient,Et puis vous les DinanEt vous Seigneur Jean de LavalJe vous revois conter fleurette à votre Françoise de FoixEt lui construire cette perle princière ...J’ai vu la ville grouillante de 40 000 soldats pendant la Révolution40 000 !Et j’ai aperçu là, dans la rue de Couëré, Sophie TrébuchetEblouie par son Léopold, et bientôt mère de Victor.Le grand Victor Hugo ...Je vous ai presque vu naître, à deux pas d’iciAu château des Fougerays,Jacques Pâris de BOLLARDIEREJe vous ai vu jouer dans ces jardinsAu petit soldat, bien entendu.Avant de devenir un GRAND soldat,Compagnon de la Libération, et le général le plus décoréde l’armée française ...Je vous ai vus, gars de Châteaubriant,En 1914 partir à la guerre, la fleur au fusil.Et votre nom est là sur le monumentVeillé par un Poilu de pierre ...J’ai vu les foules de gens, déboussolés, dans la débâcleChercher abri dans ces cours, dans ces salles, sous cette galerie....Et puis les bruits des bottes ...Les bruits des bottes : ils durèrent quatre années...Le Poilu m’a raconté une étrange histoire :C’était par une nuitée de novembre 1940, le 10 je croisDes pas feutrés, cinq silhouettesUne échelle, un drapeau caché sous un manteauPas un rai de lumière ne perçait les ténèbres ni le couvre-feu...Et au petit matin du 11 novembre,le Poilu s’est éveillé, tenant dans ses bras le drapeau tricolore interdit ...Alors il y eut des cris de colère :ACHTUNG ! Ils ont osé faire ça !Oui, ils avaient osé, le signal était lancéLe Pays de Châteaubriant était entré en RésistancePas seulement les cinq, mais toute la régionEt toute la France aussiEt tout changea dans cette enceinte apparemment paisible....Je surprenais les allées et venues dans la Sous-Préfecture,Là, à mes pieds.On conspirait. Assurément ...Ici ... ici derrière les arcades, c’étaient les gendarmes français qui,le soir, cherchaient comment faire fuir les jeunes désignéspour le service du travail en Allemagneou passaient furtivement chez les Résistants pour les prévenir du dangerou sur les routes du voisinage qui menaient aux lieux de parachutage....Un soir j’ai vu le juge Fichouxfermer pour la dernière fois la porte du Tribunal,Ici, où il avait mission de rendre la justiceNul ne le revit jamais. Déporté lui aussi...Je savais bien qu’à cent mètres,à la Poste, sur la Place des Terrasseson triait le courrier de la Kommandanturpour en soustraire les lettres de délation. On sortait, inquiet.Gestapo peut-être ? Elle était partout.Mais on risquait tout...Quelques personnes il est vrai ...mais de cela je ne veux pas parler aujourd’hui....La nuit parfois, j’apercevais des ombres furtivesqui couraient autour de la gareJe savais bien que c’étaient des Résistantsqui repéraient les emplacements des wagons, le trafic des trainset de la gare pour en informer Londres.Tout était noté, enregistré, codé et filait en curieux messagesvers l’Angleterre...pour le réseau Buckmaster ou d’autres réseaux.Plus d’une fois j’ai vu des jeunes se glisser le long de ces mursforcer des portes, dérober des armes à l’Occupant.Un soir, un 6 février 1942, trois partirent Dieu sait où.DéportésEt puis ce sinistre 22 octobre 1941.Oh ! ce 22 octobre...Des camions s’engouffrent sous ce porche.Ils stoppent au bout de la pelouse, là.Alors, ignoble besogne, 27 corps sanglants sont jetés dans ce bâtiment.Pour une nuit.Et j’ai entendu une rumeur effrayante monter de la ville.Déjà le poste radio caché dans la Grande Rue avait lancé la nouvelle.C’était donc vrai ? C’était possible ?...Un 30 novembre 1943, tout le quartier de la Motte fut bouclé.Le vent du large me le murmurait :Trois Résistants partaient, menottes aux mainsDéjà en route vers ... des lieux d’horreur.Le réseau Buckmaster venait d’être décapité....Peu après, le 21 janvier 1944,plus de vingt Résistants connurent le même sort.Tout le Pays de Châteaubriant était dévastéErbray et FercéRougé et RuffignéNoyal et SionMartigné et SoulvacheSt Julien et Treffieux ...En mai 1944 il y eut d’autres arrestationsLe calvaire continuait.Et un jour de juillet 1944 : des sifflements stridents,des bombes pleuvent sur l’usine, sur la gare,Sur le château lui-mêmeLà, cette tour qui s’écroule ...Et ce fut le silence.Ce silence plus angoissant que les explosions des bombes...J’ai vu tout cela, moi, le vieux DonjonJ’ai entendu les pleurs des fiancées et des épouses,Des mamans et des enfants.Et l’on parlait aussi, presque à voix bassede ceux qui attendaient depuis cinq ans, là-bas, dans des campsaux noms imprononçables....Mais un jour ...Le tumulte se mêla de cris de joieOn croyait que c’était fini.Et un rouge-gorge se mit à chanter, comme dit le poète....Le Poilu retrouva son drapeauIl y avait, à ses pieds, ce 4 août 1944, une gerbe.Une gerbe d’hortensias. Bleus, Blancs, RougesEt sur la place de la Motte, plus tard,la borne de la Voie de la Liberté...Et moi le vieux Donjon, compagnon des siècles,je suis toujours là.Et je vous crie à toutes et à tous :On n’arrête JAMAISLa marche de la Liberté...
(texte d’Emile LETERTRE
prononcé par David Clausse, dimanche 13 avril 2003,
au Château de Châteaubriant lors du Congrès des Déportés Tatoués)
France
FRANCEIls disaient tous Ma France ou la France éternelleEt chacun te prenait un peu de plume à l’aileMais quand l’ennemi arrivaLes guérites étaient làMais plus les sentinellesIls disaient tous Ma France ou la France éternelleMoi je t’aimais et je ne disais rien,Je n’avais pas seize ans, France, tu t’en souviens ?Ils disaient tous ma France ou la France éternelleJe n’ai rien dit, moi, j’étais trop enfantJ’ai pris le fusil de la sentinelleEt puis c’est fini maintenantFrance, pardonne-moi si je te le rappelleJe me sens si seul par moment.Jean-Pierre Rosnay