Les Tatoués
Seuls les Déportés passés par Auschwitz sont tatoués sur leur avant-bras gauche. Les Déportés des autres camps reçoivent aussi un matricule (mais pas un tatouage) : un bracelet, ou un numéro à coudre sur leur veste. Tous les déportés tatoués ont été les témoins oculaires du génocide nazi.
En plus des convois réguliers partis de Drancy, trois convois importants partent directement de Compiègne-Royallieu* pour Auschwitz. Le premier à quitter la France le 6 juillet 1942 emporte 1175 otages. Parmi eux, un millier de militants et sympathisants communistes, souvent adhérents de la CGT, une vingtaine d’auteurs de délits de droit commun et cinquante Juifs arrêtés en tant que tels. Le second, part le 24 janvier 1943, constitué exclusivement de 230 femmes, pour la plupart militantes. Parmi elles, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova, Hélène Solomon (fille de Paul Langevin), la plus jeune fille de Lucien Sampaix, Simone, l’écrivain Charlotte Delbo et bien d’autres, inconnues.
Ces deux premiers convois connaissent des pertes avoisinant celles des déportés juifs compte tenu de la longueur des voyages et des conditions de vie particulièrement dures..
Le dernier convoi quitte Compiègne le 27 avril 1944 avec environ 1700 déportés. Il reflète la diversité de la Résistance par les 64 réseaux et mouvements qui le composent. S’il comporte une majorité d’ouvriers, sont aussi déportés des patrons d’entreprise, des artisans, des employés, des intellectuels, des écrivains, des étudiants et des lycéens. Parmi eux, le poète Robert Desnos et le journaliste Rémy Roure, André Boulloche, Marcel PauI... et quatorze Résistants de la région castelbriantaise, huit de Châteaubriant (Roger Aulnette, Ernest Bellanger, François Laguilliez, Marcel Letertre-père, Emile Letort, André Malin, Maurice Plaud), un de Sion (Célestin Deroche-père), trois de Ruffigné (Georges Lefeuvre et Louis Lefeuvre, Marcel Pigrée), un d’Erbray (Michel de Pontbriand), un de Villepôt (Auguste Morantin) et un de Martigné-Ferchaud (André Maignan).
Des hommes de tous âges : plus de la moitié du convoi a moins de 35 ans, le plus jeune des 1.700 détenus n’a pas encore seize ans. Le plus âgé vient de fêter tristement ses 71 ans à son départ pour Auschwitz.
Auschwitz
Vers 14 heures, le 26 avril 1944, un appel désigne les 1700 détenus du convoi du lendemain. Lorsqu’ils se préparent fébrilement, puis sont rassemblés dans la zone C du camp, ils ne connaissent pas encore leur terrible destination. Quelques-uns signent un formulaire imprimé à destination de leurs proches : "Je suis transféré dans un autre camp, ne m’envoyez plus de colis, attendez ma nouvelle adresse"...
Au matin du 27 avril, chacun reçoit une boule de pain et un saucisson. La colonne qui se constitue traverse Compiègne derrière un officier SS. Des civils, apeurés et effondrés, osent braver l’interdiction pour un dernier adieu aux Déportés.
En gare de marchandises, on entasse avec violence les prisonniers dans des wagons à bestiaux. La surpopulation est telle que l’air devient rapidement surchauffé et irrespirable. On se bat pour accéder à tour de rôle aux lucarnes garnies de barbelés et y respirer l’air frais.
Suivent quatre jours et trois nuits d’un hallucinant voyage vers la Pologne. Soif, asphyxie et démence transforment certains wagons en cercueils ou cellules d’aliénés. Certains boivent leur urine ; d’autres, rendus fous par la souffrance, veulent tuer leurs camarades et ne sont maîtrisés qu’à grand-peine. Les plus forts doivent imposer un semblant de discipline pour éviter le pire.
Le 30 avril, en fin d’après-midi, le convoi décharge sa marchandise humaine sur un quai apparemment en rase campagne, à Auschwitz. L’ouverture des 17 wagons s’accompagne d’un certain nombre d’exécutions sommaires. Ceux qui sont devenus fous lors du transport, ou gesticulent en s’éloignant du groupe, sont abattus froidement. A la soixantaine de morts du transport vient s’ajouter une dizaine d’hommes exécutés sur le ballast.
Les malades soutenus par les valides, la colonne se forme, encadrée des sentinelles qui distribuent de nombreux coups de crosse. Après environ deux kilomètres de marche forcée sur un chemin caillouteux, les Déportés entrent dans le camp dont le nom est indiqué sur un panneau : Auschwitz. « Arbeit macht frei » : le travail rend libre !
Après son passage devant la "porte de la Mort" (entrée principale), la colonne est conduite vers le camp "Canada". Là, les Déportés sont parqués entre 24 et 48 heures dans deux écuries, en attendant leur tatouage, comme si leur vocation était d’être affectés au camp pour y travailler.
Après le tatouage, les kapos polonais procèdent à une fouille complète (y compris les parties les plus intimes) des nouveaux arrivés. Suivent une séance de tonte, une douche (alternance d’eau bouillante et d’eau glacée), une désinfection (bain de grésil) et la course vers le magasin d’habillement où sont distribués des oripeaux rayés.
La séance d’incorporation terminée, retour aux écuries, où est distribuée une soupe infecte : une gamelle sale, boueuse ou rouillée, sans cuillère, pour dix ou quinze détenus. Les hommes s’entassent à 800 par baraque de quarantaine, réduits à l’immobilité, sans pouvoir s’allonger, sans couvertures ni paillasses. Ils y restent plusieurs jours. Leur bâtiment est voisin du four crématoire, d’où s’échappe une horrible odeur de chairs grillées. Quelques jours plus tard, ils seront transférés dans deux bâtiments de la division "familles tziganes".
Le vendredi 12 mai 1944, sans explication, les détenus sont rassemblés et conduits en colonne jusqu’au quai d’embarquement. Là, ils prennent place à 50 (seulement) dans des wagons, puis repartent vers l’ouest, en direction de Buchenwald, que le convoi atteint le dimanche 14. Ils laissent à Auschwitz 92 des leurs, morts ou malades.
Buchenwald
Accueil à Buchenwald semblable à celui d’Auschwitz deux semaines plus tôt : coups de crosse, hurlements, morsures de chiens... Le camp, par contre, offre un saisissant contraste : pelouses bien entretenues, maisons des SS fleuries, animaux, tout cela tranche avec les sinistres crématoires d’Auschwitz.
Une bonne impression trompeuse. Après les formalités, les détenus sont parqués dans le camp de quarantaine, le "Petit Camp". Jacques L’Hoste laisse de celui-ci un témoignage saisissant : "Le petit camp était en quelque sorte la cour des miracles de Buchenwald. C’est là que mouraient tous ceux qui n’avaient ni la force, ni la constitution physique pour travailler dans les Kommandos. A Auschwitz, ces malheureux auraient été immédiatement gazés, mais ici, les nazis les laissaient crever entre eux. Ils passaient leurs journées dehors, désœuvrés, attendant la mort, sans espoir d’aucune sorte. La nuit, l’entassement était ignoble, dans des baraques immondes".
La contrainte la plus pénible : les appels, qui s’éternisent trop souvent pendant plusieurs heures, par tous les temps. La nourriture, en revanche, est de meilleure qualité qu’à Auschwitz. Elle reste toutefois très insuffisante et les morts par malnutrition sont nombreux. Les mauvais traitements et les exécutions arbitraires provoquent aussi de fréquents décès.
Le 24 mai, un millier de Tatoués sont à nouveau déplacés. Ils quittent Buchenwald pour Flossenbürg. Site internet à consulter : http://www.27avril44.org
Marche ou crève
Le 17 février 1945, environ 2.500 déportés, dont une vingtaine de Tatoués, quittent Sachsenhausen pour Mauthausen, en une marche terrible. A l’arrivée ils ne sont plus que 1.700. Le camp de Mauthausen est déjà surpeuplé. Le commandant ordonne de sélectionner 400 détenus, que l’on place, nus, sur la place d’appel durant plusieurs heures à une température de - 8° C. La mort tardant à venir, on les passe sous une douche glacée avant de les exposer à nouveau au froid. Les derniers survivants sont achevés à la hache.
Le 20 avril, 16.000 détenus de Flossenbürg sont répartis en quatre colonnes, puis jetés sur les routes de Bavière. Retardataires et malades sont systématiquement abattus. Le 23 avril, les 6.000 survivants sont libérés par les Américains près de Cham, à 110 kilomètres du point de départ.
Un Tatoué, Victor Legouy, témoigne en ces termes : "Nous suivions toute cette scène avec des visages transformés par le bonheur ; nous vivions un moment inoubliable dans un monde immatériel et irréel. Nos cerveaux étaient en feu et tout se brouillait. Il y a des sensations qu’on ne peut rendre par des mots parce qu’elles sont si complexes qu’il faut vraiment les avoir senties pour les comprendre. Et lorsque les premiers Américains arrivèrent, quelques minutes après, ce fut du délire".
Sur les 380 Tatoués qui subissent l’évacuation de Flossenbürg le 20 avril 1945, 150 meurent sur la route, entre le camp et la ville de Cham, lieu de la libération.
Mais pourquoi les Tatoués ?
Les causes du détour du convoi du 27 avril 1944 par Auschwitz-Birkenau restent mystérieuses. Pourquoi les Tatoués ont-ils été transférés d’Auschwitz à Buchenwald au bout de deux semaines ? Le mystère demeure, même si plusieurs tentatives d’explication ont été avancées.
Dès le débarquement, la vue des prêtres en soutane qui déboulent des wagons provoque la stupéfaction des gardiens nazis
Après la période de quarantaine et ses angoissantes incertitudes, le convoi repart pour Buchenwald le 12 mai. Les seules explications données sont les commentaire mensongers de l’haupsturmführer Kramer : "Vous allez partir pour Buchenwald, un bon camp, le meilleur d’Allemagne, vous y serez bien".
Les causes de ce revirement soudain et du relatif confort du transport suivant (50 détenus par wagon, avec les portes ouvertes pendant le trajet et des gardes peu agressifs) n’ont pas manqué de susciter diverses hypothèses :
Selon certains, l’envoi à Birkenau aurait simplement été le résultat d’une erreur bureaucratique de l’Office Central SS d’Économie et d’Administration des Camps, rectifiée après deux semaines.
Selon d’autres, le convoi aurait été destiné à Buchenwald, mais il y aurait été refoulé une première fois et détourné sur Auschwitz.
Certains affirment également qu’il s’agissait d’un convoi de représailles (soit pour donner un gage à la Milice française, soit pour venger l’exécution de Pierre Pucheu à Alger), destiné à l’extermination, mais dont le destin aurait été modifié à la suite d’interventions (des familles de membres du convoi auraient intercédé auprès d’Otto Abetz)
Quelle que soit l’hypothèse retenue, aucune preuve n’a été retrouvée, qui pourrait expliquer ce passage par Birkenau. Les tenants des diverses thèses n’ayant pu apporter à ce jour d’élément irréfutable, le mystère reste entier.
Site internet à consulter : http://www.27avril44.org
A noter : les premiers « tatoués » ont été les Juifs de Châteaubriant déportés à Auschwitz : les Sinenberg, Rimmer, Pach, Averbuch, Israël, Kohn, etc
Le congrès des Tatoués
Une vasque de lumière au bout de la nuit
Je vous ai vus, moi, le vieux Donjon
Certificat de gratitude décerné à André Maignan pour l’aide apportée aux aviateurs anglais. André Maignan arrêté le 2 novembre 1943, fit partie du convoi des Tatoués. Il portait le numéro 185 981 sur l’avant-bras gauche.
Novembre 2008 : des plans d’Auschwitz retrouvé à Berlin : http://www.lemonde.fr/europe/articl...