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Livre - Raphaël Gicquel

 

 Récit : l’histoire de Raphaël Gicquel

Le 30 novembre 1943, les Allemands raflent Célestin DEROCHE à Sion-les-Mines, puis les LETERTRE (père, fils et cousin) à Châteaubriant, Pierre MORVAN à Rougé, Roger LEVEQUE et Félix LEVEQUE à Soulvache. Vers 21 h ils se présentent chez Joseph ESNAULT (à Guiboeuf), puis chez Raphaël GICQUEL.

Raphaël GICQUEL et Joseph ESNAULT sont conduits à la prison Jacques Cartier de Rennes. Ils n’y sont pas maltraités : la Gestapo sait qu’ils ne dirigent pas le réseau. Pendant des mois ils sont enfermés à Rennes. « Un jour nous avons appris que nous pouvions y aller pour renouveler leur linge. Pour nous ce jour était fixé au lundi. Nous prenions le train pour Rennes et nous déposions le linge à l’entrée de la prison. Parfois, quand il n’y avait pas d’Allemand, nous pouvions les apercevoir en haut d’une fenêtre qui donnait sur la rue » se souvient Denise qui avait 18 ans. « ce n’est que petit à petit qu’on a vu que des messages étaient écrits par les détenus dans la lisière du linge. Nous répondions de la même façon ».

En juin 1944, Denise et sa mère peuvent aller voir Raphaël (le bail à renouveler avec le Vicomte de Boispéan requiert la signature du fermier). Ce fut la dernière fois, car Raphaël part vers l’Allemagne, via Compiègne, par l’un des derniers convois qui quittent la France. « Quand on nous a renvoyé les vêtements du père » se souvient Denise, « la chatte qu’il aimait tenir sur ses genoux s’est précipitée sur les vêtements, puis a disparu. On l’a retrouvée morte quelques temps après ».

Ce convoi a lieu après le débarquement du 6 juin 1944. Les lignes allemandes sont désorganisées. Les grandes lignes SNCF sont bombardées. Le convoi emprunte les petites lignes. Raphaël réussit à faire passer un message « Je pourrais m’évader, mais la guerre ne va pas durer longtemps maintenant. Si je m’évade, je risque d’être tué » . « Si nous avions su ce qui nous attendait, nous ne serions pas allés mourir là-bas » ont dit, depuis, d’anciens Déportés.

Raphaël GICQUEL, et Joseph ESNAUT sont déportés au Camp de Neuengamme, grand camp nord de l’Allemagne, sur la rive droite de l’Elbe, au milieu des marais, à 25 km de Hambourg. (Il recevra autour de 100 000 détenus de toutes nationalités, de 1940 à 1945. On y a enfermé environ 11 000 Français dont quelques centaines seulement reviendront. Joseph ESNAULT y mourra le 1er mars 1945.).

Le camp de Neuengamme est à l’origine un camp extérieur de celui de Sachsenhausen, devenu autonome à partir de 1940. Comme tous les camps de concentration, il est construit d’abord pour les Allemands, pour l’élimination et l’extermination de ceux que le régime Nazi considére comme des indésirables : les adversaires politiques, les nomades, les témoins de Jéhovah, les tziganes, les homosexuels, les criminels et, après la fameuse Nuit de Cristal de 1938, les juifs.

Puis, au fur et à mesure que s’amplifie la guerre, des convois de plus en plus nombreux arrivent au camp : déportés venus des territoires occupés, surtout des Russes et des Polonais mais aussi des Français et des Grecs.

Lorsqu’en 1941-42, avec les défaites de l’armée allemande en Union Soviétique, il s’avère de plus en plus évident que l’époque des guerres-éclair victorieuses est révolue, les prisonniers des camps sont employés dans l’économie de guerre : l’objectif des SS est l’anéantissement par le travail forcé.

Le camp de Neuengamme comporte 72 commandos extérieurs : travaux de fortifications, déblaiement des villes bombardées, construction de logements de fortune, production de matériel de guerre. Pour la seule ville de Brême, il y avait 9 de ces « kommandos » dont 4 pour la Marine de guerre. Raphaël est affecté au Kommando « Farge » dépendant de la base sous-marine de Brême pour la construction de « Valentin » .

« La destruction de la personnalité commençait dès l’arrivée au camp, lorsqu’on rasait la tête et le reste du corps. Suivaient la désinfection, l’arrachage des dents en or. Les détenus recevaient un vêtement trop grand ou trop petit pour eux avec de grandes croix peintes en jaune dans le dos. Ils auraient ri de leur tenue de clowns, s’ils avaient eu le cœur à rire. Ceux qui étaient affectés à des kommandos extérieurs portaient le « costume rayé » pour décourager les évasions. Sur le « costume » il y avait un matricule que chaque prisonnier devait apprendre par cœur. Il n’était plus un homme mais un numéro. Celui qui ne savait pas prononcer son numéro correctement (en allemand bien sûr) n’avait pas droit au repas. On battait celui qui ne réagissait pas à l’appel de son matricule » (dit le document Le Bunker, voir Bibliographie).

Qu’un détenu reçoive une casquette ou un chapeau n’a pas la même importance pour sa survie : en effet, si le détenu perd sa gamelle en fer blanc pour la soupe, il n’est pas question d’en avoir une autre. Il peut prendre son chapeau pour la remplacer, pas sa casquette !

Les places de « Kapo » sont tenues par des criminels de droit commun, qui distribuent le pain (fine ou épaisse tranche, à leur choix) et surveillent le travail. « La tâche du Kapo consistait par exemple à nous faire décharger une certaine quantité de sacs de ciment en un certain temps. Le Kapo frappait, le Kapo criait, le Kapo était toujours là ».

Même quand les Déportés sont de retour à leur baraquement de nuit, le Kapo a tous les droits. « A 3 h du matin il nous fouettait pour aller à la toilette, inutilement. Quand nous allions manger, il nous poussait comme des bêtes, inutilement. Ce n’était pas le manque de nourriture, le fait qu’on devait travailler ou se lever tôt qui étaient terribles. Ce qui était terrible c’était l’accumulation de souffrances inutiles. Souffrances qui détruisent le sentiment d’être un être humain » [extrait du fascicule Le Bunker].

De plus, dans ce camp « Ako » de Farge, comme dans tous les camps de concentration, les prisonniers sont l’objet de mauvais traitements. La journée commence et se termine par des appels interminables. Si quelqu’un s’effondre il reçoit des coups de matraque. Les Kapos sont écœurants : ils font donner les coups par un copain de celui qui est condamné à la schlague.

 Le chantier Valentin : exemple de folie

Le Kommando de Farge, auquel est affecté Raphaël GICQUEL, se trouve à 4 km du chantier « Valentin », un exemple de folie nazie. Il s’agit de construire un abri fortifié pour sous-marins prévu pour sortir 14 sous-marins au moins par mois : 426 mètres de long, 97 mètres de large, 42 mètres de haut., murs épais de 4,50 m (7 m au plafond)

Pour construire « Valentin » il faut 60 000 m3 de ciment par mois, et l’utilisation de 30 000 tonnes de machines. Dix à douze mille hommes travaillent à cet important chantier militairement absurde puisque les premiers sous-marins ne sortiront qu’en mars 1945 !. Le 27 mars 1945, sur le toit du bunker pas totalement fortifié, les Britanniques lancent deux bombes de 10 tonnes qui le détruisent, rendant impossible une éventuelle reprise de la production. Les attaques aériennes alliées du 30 mars 1945 achèvent de dévaster le chantier « Valentin ».

 Un doux rêveur ...

Pour se rendre au chantier, les Déportés traversent à pied, matin et soir, le territoire de Rekum long de 3 km. Le chemin s’appelle aujourd’hui encore « route du camp ». Certains portent des sabots qui rendent la marche pénible et blessent les pieds. « On travaillait 12 longues heures par jour avec seulement un morceau de pain qu’on nous donnait en arrivant. Un jour un Polonais s’est enfui du chantier. Il a été repris un peu plus loin. Ils l’ont tellement battu sur le chantier que le soir il ne pouvait même plus marcher. On a dû le ramener au camp sur une civière de fortune, plus mort que vivant. Le soir il fut fusillé pour avoir tenté de s’enfuir ». Les gardes, dans des cas semblables, sont récompensés par de l’alcool ou par trois jours de congé exceptionnel si le nombre des gardes le permet. [extrait du fascicule Le Bunker]

L’état de faiblesse des prisonniers ne favorise pas l’avancée rapide du chantier « Valentin » au point que la direction de la construction navale demande une expertise à la clinique universitaire d’Eppendorf (Hambourg). Celle-ci, sous la direction du professeur H.H. Berg relève de nombreux symptômes de la « maladie causée par la faim » et en dresse le sombre diagnostic : état œdémateux conduisant à la tuberculose et à une mort inéluctable. La clinique universitaire propose alors des solutions concrètes dont l’humour n’échappera à personne :

- évacuation de tous les sujets affectés de malnutrition
- évacuation des tuberculeux et des sujets gravement atteints d’affection intestinales : les considérer comme des malades incurables qu’il n’est plus question d’intégrer au processus de travail
- nourriture suffisante à haute teneur biologique en protides et en calories pour les cas non désespérés

Et le professeur H.H.Berg ajoute :
- « Révision des critères de jugement pour les tire-au-flanc
- (...) Prudence en matière de restriction des rations comme mesure punitive » (...)
- « Essayer de limiter les pertes de chaleur dues aux transports et aux travaux extérieurs par une amélioration vestimentaire ». Un doux rêveur ce H.H.Berg.

Une paysanne allemande dont la ferme est proche du chantier, dépose chaque jour ses restes de pommes de terre et de fruits sur le trajet qu’empruntent les prisonniers. Ces derniers bondissent précipitamment hors des rangs et engloutissent la nourriture immédiatement, bien que roués de coups pour cela. Dans le camp de Farge, comme ailleurs, les prisonniers sont punis de 25 coups de schlague « pour avoir quitté l’équipe de travail et mangé des carottes ». Un jour, le grand récipient où se trouve la soupe des prisonniers est renversé. Les prisonniers ramassent la soupe à même la terre avec leur cuillère

 Un si beau tour

Les prisonniers du Kommando de Farge sont affectés avant tout dans l’équipe qui fabrique du béton armé. La poussière de ciment pénètre dans les poumons et déclenche des allergies. En hiver, des lambeaux de peau restent collés aux barres de fer gelées car on travaille sans gants. En coulant le béton les hommes craignent toujours de tomber dans le ciment en train de prendre. Les kapos, contremaîtres et ingénieurs craignent, eux, d’y être poussés. De ce fait ils viennent peu sur le toit. Les prisonniers en profitent pour saboter le travail.

« Chaque fois que je versais du béton, j’y ajoutais quelques sacs de plâtre et des outils » raconte l’un d’eux. Mais souvent les détenus, physiquement et moralement trop affaiblis, ne trouvent pas trouver la force intérieure de commettre des actes de sabotage. Et les prisonniers politiques, bien informés du déroulement de la guerre, s’attendent à ce qu’elle finisse vite. Alors à quoi bon s’exposer au danger ?

Pourtant voici l’histoire d’un tour, un tour merveilleux, immense, au moins 3 à 5 mètres de long, le plus moderne qui ait pu exister à l’époque. Les Allemands décident de l’installer dans les locaux situés près des bureaux. Ils chargent un Yougoslave, spécialiste dans le transport des grosses machines, d’accomplir cette tâche. « Nous avions mis des rouleaux sous la machine pour qu’elle avance sur les planches de bois qui, elles, étaient posées sur le béton fraîchement coulé. Le Yougoslave nous dit d’orienter les rouleaux d’une certaine manière. J’ai tout de suite compris : il manœuvrait pour que le tour tombe dans le béton. Le tour tomba dans le béton et il fut impossible de l’en sortir car le béton était en train de prendre. Le Yougoslave eut des ennuis terribles et fut traqué de tous les côtés, battu et enfin pendu. Nous avons été obligés d’assister à cette pendaison » (extrait du fascicule Le Bunker)

C’était un tour merveilleux ...

 Le chien

Le SS du camp de Farge perd un jour son chien dans des circonstances étranges. Pour se venger, il fait enchaîner un homme à sa place. « Toi le Français, tu es maigre. Voilà une soupe : on m’expliqua que je ne devais pas prendre l’écuelle dans les mains comme un bol, mais que je devais la laper. Alors j’ai lapé la soupe » raconte Henri DENAIFFE, déporté au Kommando de Farge

« Eh toi ! tu as encore sûrement faim ! ». Alors il m’apporta une deuxième, puis une troisième soupe. A la quatrième je vomis . Alors il me dit "Tu vois, on te donne de la nourriture et tu n’es même pas capable de la garder". Alors ils m’ont obligé à manger ce que j’avais vomi. Par la suite, quand les copains passaient sur le chemin qui menait au Kommando je dus, toujours attaché à cette chaîne, aboyer et courir à quatre pattes et, quand un SS passait, je devais faire le beau. Voilà l’histoire qui me hante encore toutes les nuits » [extrait du fascicule Le Bunker].

En avril 1945, devant l’avancée rapide des troupes alliées, les Allemands évacuent les camps, àmarches forcées, vers la baie de Lübeck. Là, au lieu dit « le silo » (parce s’y trouve un silo à grains), les Déportés sont embarqués sur quatre navires : Cap Arcona, Athéna, Thielbeck et Deutschland, camps de concentration flottants, les cadavres et les excréments pour environnement.

Ces navires battent pavillon allemand. Les bombardiers anglais les attaquent le 3 mai. Les Déportés survivants, trop faibles, ne peuvent pas nager pour échapper à la mort. Sur 8000 prisonniers environ, quatre à cinq cents hommes seulement survécurent. Ainsi mourut Raphaël GICQUEL le 3 mai 1945 ... cinq jours avant la fin de la guerre.

« Il avait 42 ans. Il avait réussi à survivre jusqu’au bout, dans l’espoir de revoir les siens. Il a fallu la malchance de l’attaque aérienne à Lübeck » disent aujourd’hui ses filles Denise et Michèle. « Compte-tenu de ce que nous savons maintenant, nous aurions préféré qu’il soit tué lors de son arrestation. Il n’aurait pas vécu et souffert en camp de déportation ». Des regrets ? De sa mort, oui. De son action, non. « Mon père savait ce qu’il faisait. J’ai compris après son arrestation qu’il m’avait donné de nombreuses instructions pour la conduite de la ferme » raconte sa fille Denise.

« Il y a seulement 2 ans, on m’a dit : si votre beau-père a été Déporté, c’est bien de sa faute. Il n’avait qu’à ne pas faire de Résistance » raconte Marie-Françoise sa belle fille. « J’ai serré les poings pour pouvoir rester maître de moi-même. mais je ne comprends pas que de tels propos puissent encore être tenus » .

« Votre père était donc communiste, pour avoir fait de la Résistance ? » . Non, mais il aimait son pays et ne pouvait supporter de le voir asservi. Est-ce donc un crime ?

 Ombres qui hantez les lieux de votre martyre

 
Ombres qui hantez les lieux de votre martyre,
venus de tous les horizons sociaux, politiques et confessionnels,
vous vous êtes fondus en un être multiple au visage émacié,
tendu par la volonté de rester debout dans la tempête.
Vos yeux, fixés hors du temps,
apercevaient au delà du terrible présent
un monde où les hommes étaient capables de se tendre la main,
de se reconnaître comme frères.
Ils le construisaient dans leur rêve,
conscients d’en être une pierre d’assise, sculptée par la souffrance.
 
Vous aviez accepté le sacrifice suprême,
en offrant vos corps brisés par la faim, la soif, le travail épuisant.
Vous aviez accepté de vous lancer dans la Résistance,
en devenant une ombre parmi les ombres.
Même dans ce camp, vous avez estimé
que votre devoir n’était pas terminé
en continuant de résister au mépris de votre vie.
Il en fallait tellement, de courage,
pour opposer vos corps décharnés et loqueteux
à une puissante machine de guerre,
destructrice des corps et des âmes.
 
Mais il n’était pas possible de détruire l’espérance.
C’est elle qui a donné aux survivants
la force de tenir pour être des témoins,
pour dire au monde quel fut votre calvaire
et combien vous avez lutté
pour le respect de la personne humaine.
 
L’Homme,
capable d’établir son hégémonie par la haine
au service de la force brutale,
est capable également du plus total renoncement,
dans un élan de solidarité,
pour réaliser un idéal de paix et d’amour.
 
Que cette tragédie puisse ouvrir les yeux
sur cette expérience acquise
dans les camps de concentration :
l’Homme ne se libère de ses oppressions
que dans le partage de l’amitié mise au service d’un idéal
à la mesure de son espérance.
 
Discours prononcé, à Brême, il y a quelques années
devant la grande fosse commune des Déportés

Note ajoutée le 7 mars 2007

 Les marches de la mort

article du Nouvel Obs du 7.03.2007


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