Charles Besnard : Huit mois en glacière
L’arrestation des Letertre, M. Charles BESNARD (fils) s’en souvient très bien. Son père est industriel : il dirige une « glacière », rue du Gaz, qui fabrique quatre à cinq tonnes de glace en pains pour les hôpitaux, boucheries, poissonneries et particuliers. Avec sa femme Berthe, et son fils Charles, ils prennent part tout de suite au groupe Letertre. Chez eux sont hébergés les deux Américains abattus à Lorient, arrivés à Châteaubriant à la suite d’un message téléphonique demandant d’aller chercher des "sacs de trèfle" à la gare :
« Nous les avons logés chez ma grand-mère, dans la maison voisine de celle occupée aujourd’hui par le Dr Guépin. L’endroit était très « sûr » : les Américains se trouvaient à l’étage et, notre maison ayant été réquisitionnée, au rez-de-chaussée logeait un officier allemand. Dans le grenier il y avait un émetteur clandestin ». Charles Besnard-fils en rit encore !
L’Homme sans tête
Il se souvient des parachutages préparés, comme celui qui aurait dû avoir lieu à la Galotière, au « Puits Galot » entre Lusanger et Sion les Mines et qui répondait au message : « l’homme sans tête recherche l’assassin ». Pourquoi l’homme sans tête ? En référence au cadavre décapité retrouvé à Sion les Mines et qui pourrait être « le mort » de la fameuse affaire Seznec qui a défrayé la chronique dans les années d’avant la guerre.
Il n’a pas oublié le tabac anglais à l’odeur tenace. « Bernard Dubois, notre chef du groupe Buckmaster Oscar, a d’abord logé chez nous à la Glacière et a ensuite pris une chambre à la Droguerie Cavé. Chez lui, nous avions fait un inventaire et fumé du tabac anglais. Trois jours après, cela sentait encore ! ». Bernard Dubois loge dans deux mansardes de la maison au 3e étage. Denise Lebastard-Tiffon (qui était alors jeune fille) loge avec sa famille au second étage. « Je me souviens que beaucoup de gens venaient le soir. Dans l’escalier de bois ciré, qui craquait sous les pas, on entendait les allées et venues. Bernard Dubois, qui se faisait appeler André BERNARD, disait qu’il était assureur et qu’il se rendait à Rennes tous les mardis pour son travail. Il lui est arrivé d’héberger un aviateur canadien qui ne parlait pas le français. Ma mère qui avait compris qu’il était étranger m’avait dit : si tu le croises dans l’escalier, ne lui parle pas, ce serait trop dangereux pour lui, fais juste un signe de tête ». Certains soirs (sans doute les soirs de parachutage), Bernard Dubois et des amis partent à vélo, bien habillés. « Nous ne les voyions pas rentrer, de nuit, pendant le couvre-feu mais certains matins les vélos, entreposés dans le hall de l’immeuble, étaient bien boueux., les ficelles des porte-bagages coupées à la hâte et pendantes. ils avaient sans doute eu chaud ces nuits-là » dit Denise Lebastard-Tiffon.
Charles Besnard, n’a pas oublié le nom de l’homme sans doute à l’origine du démantèlement du réseau. « Je ne peux lui en vouloir : il a été torturé par les Allemands qui lui ont écrasé les parties génitales en les tordant avec un torchon mouillé. Ce jeune homme, un jeune homme très bien, est devenu fou et est mort en camp de concentration », fait d’ailleurs confirmé par M. de Pontbriand : « Ce jeune homme s’est jeté à mes pieds au camp de Compiègne pour me demander pardon. Je lui ai dit que nul ne pouvait lui en vouloir ».
Le 30 novembre 1943, deux membres du réseau arrivant de Rennes pour donner des « codes » à Marcel Letertre-père, trouvent une agitation inhabituelle place de la Motte, ils se rendent chez les Besnard à La Glacière (usine à glace). « Attendez, je vais voir » dit Charles Besnard-fils.
Le pâté de maisons est complètement bouclé par des Allemands armés jusqu’aux dents. Charles Besnard passe quand même. Au moment où il veut entrer dans le magasin de graines des Letertre, il est stoppé par deux Allemands cachés par les arbustes entourant la porte. « Que venez-vous faire ici ? - « Chercher des petits pois » - « Les mains en l’air le long du mur ». Il n’y a plus qu’à obtempérer. « Et moi je savais bien qu’il y avait les pages de codes dans ma poche ». Les Allemands procèdent à une fouille en règle. « Spontanément je vide le contenu de mes poches sur la table. L’un des Allemands a dû croire que l’autre m’avait fouillé et ils en sont restés là. Ouf ! » raconte-t-il.
Arrive le père Charles Besnard, à la recherche de son fils, retenu lui aussi il pense aussitôt aux deux émissaires du réseau qui sont chez lui à la Glacière. Il obtient des Allemands l’autorisation de téléphoner à l’usine frigorifique pour demander l’arrêt des machines. Sa femme Berthe comprend aussitôt qu’il se passe quelque chose et fait se cacher les deux Rennais. Retenus à 19 h, les deux Besnard seront relâchés vers minuit, faute de preuve.
La fuite en forêt de Teillay
Ca sent le roussi. Les deux émissaires du réseau sont conduits à la gare de Ruffigné et Charles Besnard-fils se réfugie chez le maire de cette commune, M. GUERIF. Un soir de décembre, il revient chez lui à Châteaubriant, juste pour entendre sa mère lui donner l’ordre de se sauver. Ce soir-là, le 24 décembre 1943, Mme Berthe Besnard est arrêtée pour sa participation au groupe Letertre. Les Allemands recherchent le père et le fils Besnard. En vain : M. Guérif, torturé ne parle pas.
Georges Guérif (le fils), et les deux Besnard se réfugient alors en forêt de Teillay. Janvier 44 : « Nous avons fait une hutte pour nous abriter, mais il pleuvait ou gelait à pierre fendre. Un jour nous avons été obligés de casser la glace pour pouvoir boire. Une autre fois, nous avons tué un sanglier que nous avons mangé cru : il pouvait être dangereux de faire du feu et puis les allumettes étaient trempées. Nous aussi d’ailleurs. Cela ne pouvait durer. Alors nous sommes rentrés à la Glacière, chez mon père, et nous nous sommes barricadés dedans, protégés par une muraille de caisses à bière. Ma grand-mère et une vieille employée venaient nous ravitailler et nous donner des nouvelles. Huit mois nous sommes restés cachés ainsi, écoutant la BBC quand nous pouvions. Une fois nous avons failli être pris : la Gestapo rôdait autour de la maison. Nous n’avons pas bougé pendant des heures, et n’avons pas été arrêtés ».
Après ces huit mois de « cloître » volontaire, vient la libération de Châteaubriant le 4 août 44. Charles Besnard en est avisé tout de suite. Pour le père et le fils, ce jour-là est un jour de triomphe, teinté de tristesse au souvenir de la mère toujours en camp de concentration. Selon Alfred Gernoux, « les gens disaient aux salves de coups de feu : c’est Charles Besnard qui tire. On voyait son jeune fils partout, courant d’une rue à l’autre à la poursuite des Allemands ». Charles Besnard est ensuite de ceux qui investissent la « kommandantur » et y trouvent un monceau de lettres de dénonciations et de délation calomnieuses, et une liste de personnes recherchées. Emile Letertre y lit son nom.
Après la Libération, Charles BESNARD se présente à un Officier Supérieur de l’Armée Française, qui accompagne l’armée américaine. Il est affecté au groupe de reconnaissance de la Huitième Division d’Avant-Garde, en qualité d’officier de renseignements. Angers, Le Mans, Paris : Charles BESNARD est l’un des premiers "Américains" à entrer dans Paris le 24 août 1944 au soir, parallèlement aux troupes du Général Leclerc. "Paris opprimé, Paris libéré" . Un souvenir inoubliable ! Une attestation du Major BROUSSARD dira : "After the fight in the vicinity of Châteaubriant, he joined Américan elements driving towards Paris and entered with General LECLERC’s Division where he participed in the fight for the liberation of Paris" (Après les opérations de libération de Châteaubriant, il rejoignit les troupes américaines qui montaient vers Paris, et il entra avec la Division du Général Leclerc où il participa aux combats de la libération de Paris). Les jours suivants, Charles BESNARD, toujours dans l’armée américaine, participe à la libération de St Quentin, Noyon, Vervin, Fumay, Givet, puis Eupen, Malmédy, Bastogne, St With. Son rôle : missions de reconnaissances en terrain occupé par l’ennemi, et même en Allemagne "with very good results" (avec de très bons résultats) "and he was always willing to carry out any mission assigned to him" (et il était toujours volontaire pour assumer les missions qui lui étaient confiées, dit le document américain en sa possession). Finalement, sur ordre du Général KOENIG, il quitte l’Armée américaine avant que celle-ci ne pénètre en Allemagne. Il rentre sur Paris et demande à être affecté à la Sixième Division de l’Airborne qui devait partir au Pacifique.