Droits féodaux
Réclamation du district de Châteaubriant sur le rachat des droits déodaux - 9 octobre 1790
A la suite d’une grande jacquerie dans les campagnes, et ne pouvant résister au torrent révolutionnaire, "l’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal" (vote du 4 août 1789) et répond ici à l’attente paysanne ... mais elle décide en même temps le rachat des droits féodaux : les paysans devront indemniser le seigneur. Le 15 mars 1790 est pris le décret d’application de la loi du 4 août 1789 . "Forcés par le cri public" les électeurs du District de Châteaubriant protestent contre le rachat des droits féodaux en écrivant : "Au moment qu’il se flattait de voir tomber ses chaînes, le peuple bénissait déjà le noble courage de ses libérateurs. Quels ont été, Messieurs, son effroi et sa douleur quand il a senti que les fers devenaient indissolubles, que les moyens de se soustraire au joug affreux de l’injuste et humiliante féodalité, lui étaient impraticables" |
RECLAMATION DU DISTRICT DE CHATEAUBRIANT
8 OCTOBRE 1790
L’ASSEMBLEE, des Electeurs du District de Châteaubriand, après avoir consommé la nomination des Juges pour laquelle elle avoit été convoquée, s’est ce jour, 9 octobre 1790, réunie avec son Président à l’administration du Directoire pour, d’après en avoir donné avis à la Municipalité, conformément à l’article 62 du Décret pour la constitution des Municipalités, former des pétitions sur des objets les plus intéressants, & l’un des Membres a donné lecture du projet d’Adresse suivante à l’Assemblée Nationale.
MESSIEURS,
Forcés par le cri public, les Electeurs du District de Châteaubriand ont cru qu’il étoit de leur devoir de vous exposer les vives alarmes & le désespoir général qu’a causé votre Décret du 15 Mars dernier, sanctionné par le Roi le 28 du même mois, concernant le rachat des Droits Féodaux.
Nos réclamations, MESSIEURS, sont l’expression de ce zèle pur, vif & sincère que nous avons voué à la patrie ; le gage de notre attachement à la Constitution dont nous sommes redevables à vos généreux & pénibles travaux ; enfin, le témoignage authentique de notre respect pour vos Décrets.
Au moment qu’il se flattoit de voir tomber ses chaînes, le peuple bénissoit déjà le noble courage de ses libérateurs. Quels ont été, MESSIEURS, son effroi & sa douleur, quand il a senti que ses fers devenoient indissolubles, que les moyens de se soustraire au joug affreux de l’injustice & humiliante féodalité, lui étoient impraticables !
Nous gagnerons sans doute beaucoup à nous rédimer des chicanes sans nombre, des formalités dispendieuses, des frais ruineux qu’entraînoient les rentes féodales ; & c’est l’avantage que produiroit votre Décret, s’il étoit possible dans l’exécution.
Mais le peuple s’attendoit à être entièrement déchargé de ces tributs odieux & onéreux plus que par-tout ailleurs, dans le District de Châteaubriand où ils excèdent de beaucoup les impositions que l’on paie au Souverain.
Ces rentes féodales sont le fruit de la tyrannie que vous avez détruite. Si quelques-unes ont été justes dans leur établissement, elles n’ont été dues que comme le prix des usances & des droits dont les vassaux furent bientôt dépouillés, ou comme le salaire des services dont les soi-disant Seigneurs se sont dispensés.
Les autres rentes féodales ont leur origine dans l’abus de l’autorité suprême qui sacrifioit le peuple à l’ambition des grands, dans l’avidité insatiable des hommes puissants qu’un Roi foible croyoit devoir ménager ; elles ne sont donc fondées sur d’autres titres que sur une antique oppression contre laquelle de foibles & timides vassaux n’ont jamais ni pu ni osé réclamer, incapables conséquemment de produire une possession légale. Enfin, ces rentes sont devenues vexatoires par la solidité inique qui y a été attachée, par les changements qu’elles ont éprouvé dans leur objet, dans leur taux, dans le mode de leur perception. En tout temps l’homme a dû être libre, en tout temps il a dû jouir librement. Les entraves mises à ses jouissances, les droits & les rentes attachées à ses possessions, si l’on en excepte les charges publiques nécessaires au maintien de la Société, n’ont pu être prononcé que par la loi du plus fort aux dépens de l’équité & au détriment des foibles. Cette loi inique n’a jamais pu prescrire contre les droits de l’homme.
Les premiers usurpateurs n’ont pu transmettre ces droits que la nature désavouoit. Les possesseurs actuels n’ont pu les acquérir. Nul homme n’a eu qualité pour les vendre ; nul homme n’a pu les acheter ; nul homme n’a droit aujourd’hui d’en exiger l’indemnité, si ce n’est le malheureux vassal qui les a payées indûment. Et si les soi-disant Seigneurs osent réclamer une indemnité qui ne leur est due à aucun titre, nous leur répondrons : vous l’avez obtenue cette indemnité, dans l’immunité des fouages que vous deviez partager avec nous, & dont, par la perfidie la plus criante, vous avez su rejeter depuis plus de cent ans le fardeau sur vos foibles vassaux ; vous l’avez obtenue, cette indemnité, dans le partage injuste que vous avez fait des autres impositions publiques ; vous l’avez obtenue, cette indemnité, dans les privilèges que vous vous êtes arrogés au détriment du peuple, dans les exemptions pécuniaires que vous avez extorquées pour vos personnes, pour vos biens, à l’oppression du peuple, dans les franchises dont vous avez joui, vous & vos domestiques, au mépris de la justice & de l’égalité que la nature a établie ; vous l’avez obtenue, cette indemnité, par les pensions qui ont grévé le peuple & épuisé les finances, par le droit exclusif de posséder les charges & les emplois lucratifs dans lesquels nous aurions servi l’Etat beaucoup plus utilement que vous (I) ; vous l’avez enfin obtenue, cette indemnité, par la vente des ces bois que nos pères avoient plantés dans nos communs que vous avez usurpés ; dans ces deniers d’entrées exorbitants que vous exigiez ; quand nous étions forcés d’afféager de vous des terres qui nous appartenoient, de ces terres dont la timide politique de Pépin le Bref n’avoit pas le droit de nous dépouiller, & dont vous n’avez pu légitimer l’usurpation, par l’insolence & la tyrannie que laissa impunie, & qu’augmenta la foiblesse de François le Débonnaire, & l’engourdissement de ses successeurs encore plus foibles & plus insoucieux.
Comptez avec l’Etat ; comptez avec le public, avec vos vassaux, & vous serez forcés d’avouer que vous êtes remboursés au centuple du prix de ces fiefs que vous n’avez osé acheter que parce que vous avez osé vous placer dans la classe des usurpateurs, des oppresseurs, des tyrans.
Et si, malgré vos usurpations & vos injustices, si, malgré les sommes énormes qu’elles vous ont produites, vous avez encore l’impudence de demander une indemnité, un remboursement de rentes féodales, nous vous répondrons encore que vous l’obtenez cette indemnité dans la suppression des dîmes qui augmentent vos possessions d’un douzième. Vous en aviez autrefois usurpé une partie de ces dîmes ; elles vous sont abandonnées aujourd’hui presque en entier ; puisque vous possédez presque toutes nos campagnes. Vous les prélèverez ces dîmes, sinon en nature, du moins en argent ; vous les ferez payer au double à vos fermiers dont vous saurez augmenter les fermes. Ils paieront encore, ces fermiers malheureux, les impositions attachées à vos terres, & les frais du culte religieux.
Oui, MESSIEURS, quand bien même les rentes féodales seroient justes dans leurs principes ; quand bien même la possession où sont les soi-disant Seigneurs de les percevoir pourroit être légitimée par son antiquité, ils en sont abondamment dédommagés ; & si vous leur accordez une autre indemnité, si, pour franchir ces rentes, il faut encore payer en entier les lods & ventes auxquels les possesseurs des fiefs n’ont pas plus de droit, & dont ils sont également dédommagés ; ces lods & ventes que beaucoup de possessions n’auroient jamais payé, parce que transmises de père en fils, elles ne passeront jamais dans des mains étrangères. Où trouver pour ces remboursements que votre équité désavoue, des sommes suffisantes dans ces temps surtout où épuisés par une suite de plusieurs années désastreuses par la cherté excessive des denrées de première nécessité par l’interruption du commerce & la cessation des travaux en tout genre ; le peuple, & surtout le peuple des campagnes est privé pour longtemps de toutes espèces de ressources.
Faudra-t-il donc qu’un malheureux vassal vende une partie du petit héritage de ses pères pour soustraire l’autre à l’esclavage & à l’oppression ? Mais à qui pourra-t-il vendre cette portion de son patrimoine ? Aux soi-disant Seigneurs, à ces anciens tyrans : eux-seuls par le remboursement des droits féodaux, vont être dépositaires de tout le numéraire de la France, & en concentrer toutes les richesses.
Par-là ils vont tripler leur orgueilleuse opulence ; par-là ils vont étendre leurs possessions, & se rendre maîtres de toutes les propriétés ; par-là enfin ils vont aggraver le joug de l’ancienne servitude qui fit autrefois gémir nos pères, & dont nous rougissons encore aujourd’hui.
Tel est, MESSIEURS, le cri général dont retentissent les campagnes & les villes du District de Châteaubriand, dont rétentit la France entière ! Puissions-nous le faire entendre dans la Salle Nationale ; il pénétrera des cœurs sensibles, & par un effort digne de vous, vous allez briser nos fers que vous n’avez encore fait que soulever, & qui retombant sur nous avec plus de pesanteur alloient devenir indissolubles ! Vous allez supprimer sans indemnité ces lods & ventes, ces rentes féodales, productions monstrueuses de la barbarie, restes odieux de la tyrannie sous laquelle nous avons si longtemps gémi, & vous détruirez enfin l’hydre qui ne peut manquer de renaître, s’il n’est entièrement écrasé.
Ce projet a été loué, adopté & approuvé ; en conséquence, il a été arrêté en Assemblée des Electeurs de Châteaubriand, ledit jour 9 octobre 1790, qu’avant de l’adresser à l’Assemblée Nationale, il seroit communiqué aux Administrateurs des différents Districts du Département, & à tous autres par MM. du Directoire pour prendre préalablement leur avis, & réunir un vœu général, sans lequel il ne seroit point rendu public, & qu’il ne seroit point envoyé à la législature actuelle, aux Décrets de laquelle l’Assemblée est absolument soumise, sauf à l’adresser à la prochaine Législature ; & le présent est demeuré déposé au Secrétariat du District sous les seings des Electeurs.
Signé sur la minute, Méaulle, Président et Administrateur du Département ; Jacques-Hyacinthe Potiron ; Freulet, Administrateur ; Le Jeune ; P. Ermine ; J.M. Bruneau, Administrateur du Directoire ; François Fresnais, Président du District ; J. Faucheux, Demolon, René le Maitre, Administrateur ; Deluen, Administrateur ; Jambu, Electeur & Administrateur du Directoire ; L. Gibault, J. Riyaud, G. Roul, J. Rialland, G. Cordeau, Jean Narbonne, Fr. Le Feuvre, P. Aunette, Jean Crossay, Julien Chatellier, L. Michel, Travaillé, Maillard, Prêtre ; J. Blays, Benjamin, le jeune ; Berthelot, Recteur de Noyal, Administrateur du Directoire, & Secrétaire de l’Assemblée.
Pour expédition conforme à la minute déposée au Greffe du Directoire du District de Châteaubriand, le 10 octobre 1790. BERTHELOT, Recteur de Noyal sur Brutz, Secrétaire de l’Assemblée, & Membre du Directoire du District.
(i) Dans la petite paroisse de Sion, le Seigneur a vendu depuis six ans pour vingt-cinq mille livres de bois abattus dans les communs, sans compter une quantité considérable de chênes dont il a disposé pour son usage
9 octobre 1790
MESSIEURS, ET TRES CHERS CONCITOYENS ET FRERES,
Il est temps enfin de sécouer le joux affreux qui nous dégradoit. Le pouvoir législatif n’est plus assis sur un trône investi d’une foule de tyrans, & inaccessible aux droits de l’humanité outragée. Il ne peut plus consacrer par des décrets destructeurs, l’injustice & l’oppression. Il est rendu à la Nation à qui il appartenoit essentiellement, ce pouvoir précieux & imprescriptible. Le plus noble usage qu’elle puisse & et qu’elle désire en faire, c’est d’abolir ces droits odieux & iniques qu’établit autrefois la tyrannie, pour avilir & écraser le peuple ; c’est de protéger les faibles qui, jusqu’à présent, n’avoient ni pu ni osé réclamer ; de les restituer dans leurs droits, en arrachant aux usurpateurs puissants la proie dont ils s’étoient injustement enrichis.
Les généreux Représentants de la Nation n’ont besoin que de connoître les abus, pour les réprimer. Hâtons-nous, MESSIEURS, ET CHERS CONCITOYENS ET FRERES, de les dénoncer. Unissons nos réclamations ; & que de tous les coins de l’Empire, il s’élève un cri général qui ne forme qu’une seule & même voix.
Nous vous envoyons, MESSIEURS ET FRERES, un projet d’adresse à l’Assemblée Nationale. Si vous avez à y ajouter, ou si vous croyez devoir y corriger, daignez nous faire part de vos conseils, nous les recevrons avec la plus vive reconnaissance. Si vous approuvez le projet de notre adresse, nous vous prions de le communiquer aux Départements, aux Districts qui confinent avec le vôtre, de les engager à en donner connaissance à leurs voisins, avec copie de la présente, & de nous envoyer votre adhésion.
Nous sommes avec un respectueux attachement,
MESSIEURS ET CHERS CONCITOYENS ET FRERES,
A Châteaubriand, le 15 Novembre 1790 Vos très humbles & très-obéissants serviteurs
Les Administrateurs-Membres du Directoire du District de Châteaubriand.
Signé sur la minute, F. Fresnais, Président ; Joseph-Marie Bruneau ; Julien Jambu ; François Berthelot, Recteur de Noyal sur Brutz ; Victor Louis-Julien Taillandier ; Benjamin le jeune, Procureur-Syndic, & Pierre Miclard, Secrétaire-Greffier.
Pour expédition extraite du registre de Correspondance du Directoire du District de Châteaubriand. Pierre Miclard, Secrétaire.
Document imprimé :
A RENNES, chez la Veuve du registre de NICOLAS-PAUL VATAR, Imprimeur du District. 1790
Sur les droits féodaux, voir le document :
http://pm.lasseron.free.fr/rev89/privileg.htm
Sur la jacquerie voir le document : http://revolution-francaise.net
Sur le décret du 4 août 1789 voir le document http://www.chd.univ-rennes1.fr