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Mai 68 (2) : les grèves

Texte publié pour le 40e anniversaire

Ecrit en mai-juin 1988

Mai 68 a été longuement décrit comme une explosion, étudiante et ouvrière. Sait-on pourquoi se produit une explosion ? Une conjonction de circonstances, une étincelle, l’embrasement. Nous ne reviendrons pas sur une analyse globale de cette période troublée que des centaines de livres ont analysée, mais nous essaierons de donner quelques points de repères pour comprendre comment Châteaubriant, sous-Préfecture de 12 000 habitants, perdue au nord de la Loire-Atlantique, a pu connaître la fête et les troubles de cette époque.

En gros, il y a eu trois composantes de ce mouvement sur le plan national : les étudiants, les ouvriers et la France entière.

 Les étudiants

On a dit à juste titre que Mai 68 était une crise de la bourgeoisie : parmi les jeunes insurgés les fils de bourgeois étaient les plus nombreux ; et pour cause : l‘université n’était guère ouverte à ceux qui étaient issus des classes ouvrière et paysanne.

Partout dans le monde, la jeunesse était en révolte : contre le conservatisme autoritaire des caciques, la bureaucratie stupide, la publicité béate, la cruauté abstraite qui condamne le tiers de l’humanité à la famine. C’était l’échec des révolutions, la capitulation des espérances.

Dans le monde universitaire français, le malaise était grand. Le gouvernement, conscient de la non-adaptation de l’Université au monde moderne, venait de lancer la « réforme Fouchet », mise en application à la rentrée de 1967 et qui restreignait le nombre d’étudiants. Des étudiants trop nombreux pour des Facultés trop petites (par exemple, la Faculté des Sciences de Paris accueillait 4000 étudiants dans des locaux prévus pour 3000). Des études qui débouchaient sur le chômage. Le désarroi de toute une jeunesse.

A Nanterre, une université parisienne quasiment perdue au milieu de bidonvilles, des étudiants de sociologie et de psychologie entretenaient une agitation sur les thèmes de la lutte anti-marxiste et anti-capitaliste. Les autorités envisageaient des sanctions. C’est ainsi qu’est né le « mouvement du 22 mars » ce jour de mars 1968 où 150 étudiants occupèrent la tour administrative de l’Université de Nanterre. A sa tête : Daniel COHN BENDIT.

 Les ouvriers

Il y eut les grèves sauvages et dures de la Rhodiacéta, et de Caen, et de St Nazaire où les ouvriers furent « lockoutés ». Les métallos de Châteaubriant envoyèrent deux cars à la manif monstre d’avril 67 qui rassembla 40 000 ouvriers à St Nazaire.

Partout en France les syndicats étaient débordés, les négociations bloquées par le gouvernement et le patronat, et les rares accords difficiles à faire accepter à la base. Les ouvriers avaient des revendications « déraisonnables » : qu’on en juge, ils demandaient le relèvement du SMIG qui était alors à 2,22 F de l’heure à Paris et à 2,18 F en Province. A titre de comparaison, il fallait plus de deux heures de travail pour acheter un kg de poulet.

Les ouvriers demandaient aussi la réduction de la durée du travail, l’abrogation des ordonnances sur la Sécurité Sociale et la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise. Enfin, ils s’inquiétaient de la progression du chômage qui atteignait 500 000 personnes dont la moitié de jeunes.

Du côté des paysans, mis à mal par la concurrence européenne, ça bougeait aussi, notamment dans l’Ouest.

 La France s’ennuie

 :

C’est le titre prémonitoire d’un article de Pierre Viansson-Ponté dans le journal « Le Monde » du 15 mars 1968. Il citait les étudiants, les jeunes ouvriers, le Général de Gaulle lui-même qui, tous s’ennuient. « Heureusement la télévision est là pour attirer l’attention sur les vrais problèmes : l’état du compte en banque de Killy, l’encombrement des autoroutes, le tiercé ».

« C’est peut-être cela qu’on appelle, pour un peuple, le bonheur. Devrait-on regretter les guerres, les crises, les grèves » interrogeait-il encore, deux mois avant le début de ce qui allait être « les évènements de 68 ».

Un article de la revue Esprit, dit :

"Au plan de la culture, les signes étaient beaucoup plus nombreux. L’expression était malade dans tous les milieux et sous toutes ses formes. On avait vu pulluler depuis des années les « groupes », « groupes de diagnostic » et autres. Chambrer pendant des heures et des jours dix ou quinze personnes (inconnues les unes des autres le plus souvent) en présence d’un observateur non directif pour qu’enfin on puisse se livrer aux joies et aux risques de la parole, c’est affirmer passionnément le désir utopique d’une communication vraie et entière, même si elle ne peut se réaliser qu’à l’aide d’artifices. Il y eut aussi la crise des Maisons de jeunes et de la culture, la démission d’André Philip, la réticence de beaucoup de jeunes à s’installer dans ce que l’on faisait pour eux. Certaines Maisons de la culture connaissaient pareillement leur crise de conscience : public obstinément bourgeois, aspect muséographique de la culture reçue... (source : Revue « Esprit » n° 372)

 Un détonateur

Dans cet ennui, il manquait un détonateur. Il allait venir des étudiants

Tout est plus ou moins parti de Nanterre où, courant avril 1968, l’agitation et la contestation prennent des proportions considérables.

Jeudi 2 mai, à l’initiative du « Mouvement du 22 mars » doit avoir lieu une « journée anti-impérialiste ». Les « enragés », comme on les appellera par la suite, occupent un amphithéâtre, empêchant la tenue des cours. Le désordre s’installe. Le doyen décide de fermer la faculté tandis que le mouvement « OCCIDENT » (ancêtre jeune de l’actuel Front National) annonce son intention de nettoyer la Faculté des « marxistes ». Sept étudiants de Nanterre sont déférés devant le Conseil de Discipline de l’Université. Parmi eux, Dany COHN BENDIT

Vendredi 3 mai - violente manif au Quartier Latin pour protester contre la fermeture de Nanterre et le passage de 6 étudiants en Conseil de Discipline. La bagarre avec les forces de l’Ordre dure 6 heures et 600 étudiants sont interpellés. La Sorbonne est fermée.

4 et 5 mai - la 10° Chambre Correctionnelle condamne des étudiants à 2 mois de prison.

6 mai - heurts violents au Quartier Latin « Libérez nos camarades ». L’agitation gagne la province.

7 mai - de 18h30 à minuit, 30 000 étudiants marchent dans Paris

 Mercredi 8 mai : L’OUEST VEUT VIVRE

8 mai : à Nantes c’est la journée « L’OUEST VEUT VIVRE » préparée de longue date par les syndicats ouvriers : grève, rassemblement, défilés. Les syndicats agricoles se sont joints au mouvement. La solidarité s’est organisée au niveau des élus locaux, des autorités religieuses, des commerçants, de toute la population. A Nantes, Rennes, Angers, Brest, les manifestants sont très nombreux et les étudiants se sont joints à eux. A Nantes, pour la première fois, apparaît une banderole affirmant la solidarité des étudiants et des travailleurs.

A Châteaubriant, la mobilisation ouvrière a été forte. Et 7 à 8 cars ont emporté les grévistes vers Nantes.

Mais à part ça, la ville de Châteaubriant était calme. On accueillait M. BOURGINE, nouveau secrétaire de la Sous-Préfecture. La ville préparait sa traditionnelle braderie et le Cyclo-Club organisait le Critérium International de Châteaubriant avec Guy MOUTEL (18 ans), aux commandes de sa « Moutel 850 ». A Nozay, le Comice Agricole connaissait une affluence record.

9 Mai - Meetings improvisés à Paris, devant la Sorbonne, pour réclamer la libération des étudiants arrêtés. A Rennes, la Faculté des Sciences est occupée.

Vendredi 10 mai - les syndicats CGT - CFDT - FEN lancent la grève générale pour le 13 mai. Vers 19 h, défilé étudiant avec consignes d’occupation du Quartier Latin. En quelques heures, une soixantaine de barricades sont érigées. A 2 h du matin, la police charge, lançant des grenades lacrymogènes et du chlore. Il y aura 367 blessés.

Une enseignante en Histoire-Géographie, qui travaillait au Lycée de Châteaubriant en 1968, se souvient...

"Après un début ingrat, le mois de mai s’était fait caressant vers le 8. L’air était doux et les chemins étincelaient de l’or des genêts. Les jardins aussi exécutaient leur ballet : iris arrogants dans leurs armures argentées et pivoines cramoisies se joignaient aux pavots criards et fripés pour la ronde colorée. Fidèles à la campagne castelbriantaise les oiseaux étaient arrivés, exécutant leur concert de printemps. C’était le coucou qui bruitait autour des peupliers tandis que le merle sifflait dans les poiriers...

C’est dans cette paisible atmosphère que le lycée s’exclama... et puis la ville s’anima !

Vers le 8 mai, les évènements universitaires commencèrent à susciter intérêt et commentaires".

(Ce témoignage, émanant de Marie Françoise FLEURY sera signé MFF dans la suite du texte de La Mée)

Du 10 au 13 mai, à Châteaubriant comme ailleurs, les syndicats s’activent pour préparer la riposte. Un tract est distribué dans la ville, CONTRE la répression policière, la politique gouvernementale qui accroît le chômage, et contre « la caricature de démocratie au service du profit ».

Les unions locales CGT et CFDT, les enseignants (SNES, SNI, SGEN) et les paysans (FDSEA) appellent les castelbriantais à faire la grève et à manifester au Marché Couvert à Châteaubriant - pour la libération de tous les emprisonnés, pour l’établissement d’un vrai dialogue à tous les niveaux avec les représentants des travailleurs - et « pour un enseignement démocratique adapté à tous nos enfants ».

"Dans la salle des professeurs du Lycée on s’interpellait le samedi 11 mai au matin : « Alors, vous avez vu cette nuit à Paris ? » Un jeune professeur de Français, toujours prêt à s’émouvoir, de s’écrier : « Ah ! Ces salauds de flics, ils n’aiment que cogner ! » Sa collègue, le pas ferme et la bouche serrée était l’image de la gravité : « J’ai des camarades à Paris, je suis inquiète pour eux ».

Dans les jours qui suivirent, l’animation grandit. Au Lycée la « salle des profs » commença à être le théâtre des premières passes d’armes. La partie jeune et dynamique des professeurs avait fait son choix et avait pris le parti des étudiants. Leurs paroles étaient dures et leurs visages sombres. La partie modérée attendait. Son jugement n’était pas encore fait. Implicitement elle sentait la lourdeur du moment mais ne pouvait, respectueuse de l’ordre, condamner les matraques qui étaient les symboles de la rassurante autorité, pas plus d’ailleurs, approuver la fougue estudiantine qui avait pris possession des rues de la capitale.

« Vous n’avez rien compris » disait la jeune littéraire à l’honnête linguiste. Parole malheureuse qui déclencha la colère de cet humaniste libéral" (MFF)

 LUNDI 13 MAI

 : Puissantes manifestations départementales.

Grève générale en France : les trains, l’EDF, les PTT, les écoles. Manifestations dans toute la France mais divergence entre les syndicats et une partie des étudiants qui veulent poursuivre l’action.

A Châteaubriant, la grève est suivie, mais pas d’une façon massive : 80 % des grévistes à la Fonderie Huard mais 20 % seulement à l’usine de machines agricoles. Le mouvement semble encore trop étranger aux préoccupations ouvrières. Mais, bien sûr, on proteste contre la violence de la répression à Paris.

En ville, on parle plutôt de l’émission « Samedi chez vous » qui a lieu deux jours avant avec l’animateur Georges Lourier de France-Inter. On pense à l’élection des Reines de certains quartiers. L’agitation estudiantine est bien loin.

Le lendemain, les cours reprennent normalement au lycée. Seuls les élèves de Terminale s’intéressaient de près à la situation à Paris, d’autant qu’un nouvel élève interne vient d’arriver de St Nazaire, de ce lycée-même où enseignait le frère de Daniel Cohn-Bendit.

Mardi 14 mai - A l’Assemblée Nationale, Pompidou annonce un projet d’amnistie et son intention d’associer les étudiants à l’organisation de l’Université. L’Opposition dépose une motion de Censure. Les députés manquent d’en venir aux mains. De Gaulle est en Roumanie. Mitterrand déclare « il est temps que le gouvernement s’en aille ». La Sorbonne est occupée. Les universitaires réclament le départ de Christian Fouchet, ministre de l’Education Nationale.

A Nantes, les 2000 ouvriers de Sud Aviation occupent l’usine, après l’échec des négociations sur les salaires et sur le maintien de l’emploi.

A Châteaubriant, on attend le 2e critérium Cycliste prévu avec Poulidor pour le 19 mai.

Mercredi 15 mai - Le travail s’arrête à l’usine Renault de Cléon et chez Loockheed à Beauvais. A Nantes, les ouvriers de Sud Aviation soudent les portes de l’entreprise où ils retiennent le directeur, M. Duvochel et des cadres. « Est-ce vrai que vous séquestrez le directeur » demandent des journalistes, « Mais non, on lui a seulement demandé de rester avec nous. C’est normal, non ? » Les femmes viennent apporter des paniers aux ouvriers. Le directeur et ses collaborateurs se font ravitailler par une fenêtre avec un panier tiré par une corde.

A Châteaubriant, rien à signaler sur le front social. Une troupe de Théâtre joue « la mégère apprivoisée ». Un cambriolage a eu lieu rue des Quatre-Œufs. Douze équipes de foot se préparent pour la coupe inter-Entreprises.

Jeudi 16 mai - Renault-Flins est en grève, comme UNELEC à Orléans. Première grève SNCF. POMPIDOU annonce que face au désordre le gouvernement fera son devoir.

Chez HUARD à Châteaubriangt, la CFDT-Métaux distribue un tract que l’on peut considérer comme prémonitoire de ce qui va se passer en France en ce mois de Mai 68 et de la crise que va connaître l’Agriculture française (et HUARD), vingt ans plus tard.

Il dit : « La crise que connaît l’entreprise a un triple aspect : elle se situe évidemment dans un contexte économique et social d’ensemble. C’est pour une part une crise de conjoncture. C’est probablement aussi, et c’est ce qui risque d’être le plus grave à long terme, une crise liée à l’évolution des structures agricoles. »

17 mai 1968 au lycée

Du côté du lycée, le repos scolaire du jeudi est propice aux discussions et certains élèves discutent avec leurs professeurs ; ceux-ci, tout prêts à écouter leurs revendications, ne sont pas sans appréhender les conséquences de leur approbation. Ils réussissent cependant à convaincre les quelques élèves « meneurs » qu’il faut suspendre leur mouvement pour l’instant, au lycée de Châteaubriant où, enfin, le Directeur vient d’accepter d’ouvrir un dialogue avec des représentants des lycéens.

Ils ne se doutent pas que, le lendemain à la radio, les Comités d’Action Lycéens, au niveau national, lanceront un mot d’ordre de grève des cours...

Au Conseil Municipal de Châteaubriant, il est question de la construction du Groupe Scolaire de Béré et d’une deuxième piscine (près de la salle Omnisports). La salle des fêtes de la mairie, et ses coulisses, doivent devenir des bureaux. Le nouveau camping municipal est ouvert aux Briotais.

Vendredi 17 mai - arrêt quasi total du trafic SNCF ; les occupations d’usine se multiplient en France : Batignolles à Nantes, Berliet (Lyon), Peugeot (Montbéliard), Rhodiacéta (Besançon) et aussi diverses usines au Creusot, Cannes, Marseille, Lille, Bayonne, St Ouen, Gennevilliers... L’ORTF elle-même (la télévision) entame un mouvement d’émancipation.

A Châteaubriant, le lycée est gagné par la fièvre. Entendant l’appel (national) des Comités d’Action Lycéens, les grands élèves du lycée passent aux actes et refusent de rejoindre leurs classes où un « baccalauréat blanc » les attend. Ils veulent négocier avec l’Administration.

En revanche, les plus jeunes élèves du lycée (qui est encore un établissement allant de la Sixième à la Terminale), se laissent convaincre par leurs aînés, et par les professeurs, que leur place à eux, compte-tenu de leur âge, est plutôt dans les salles de cours.

"Entre temps, l’administration du Lycée avait réagi. Elle avait déterminé qu’il y avait 8 mineurs parmi les élèves. Ils devaient être renvoyés. Une assemblée générale extraordinaire des professeurs, convoquée pour le midi, pensa différemment et se prononça pour le maintien de ces élèves. L’Administration s’inclina.

C’est alors que sournoisement le fossé se creusa entre les professeurs qui soutenaient le mouvement des élèves et ceux qui étaient contre. Les derniers voulurent trouver des responsables à ces désordres. Il y avait certainement parmi les collègues, des « brebis galeuses. »

Le lendemain l’accalmie s’établit du côté des élèves mais les parents d’élèves à leur tour s’interrogeaient. Une suspicion évidente pesait sur certains professeurs tenus pour responsables et « on » envisageait même de faire une enquête. Décidément la confiance ne régnait plus." (MFF)

Samedi 18 mai - les transports parisiens sont bloqués- la grande salle du Festival de Cannes est occupée par des centaines de professionnels du Cinéma. Les grèves font tache d’huile. Edgar Pisani et René Capitant, gaullistes, se désolidarisent de l’action du gouvernement. Les journalistes Télé demandent une information honnête. Les prêtres de Paris appellent à : « reconnaître et accepter les mutations. » La CGT appelle les travailleurs à prendre leurs responsabilités au sein des entreprises mais les met en garde contre toute provocation.

Sud-Aviation est occupée à St Nazaire. Les Batignolles en partie à Nantes.

 Filles et garçons : le droit de se parler.

A Châteaubriant, où la grève totale n’affecte pas encore le lycée, les grands lycéens demandent à être représentés au Conseil de Discipline de l’établissement, à avoir le droit à l’information par les journaux de leur choix, la radio et la télévision, et le droit de réunion et de discussion « égalitaire » avec les professeurs.

Revendication plus mineure, mais symbolique pour eux, ils demandaient que les garçons et filles ne soient plus séparés dans la cour de récréation. En effet, si le lycée était mixte dans les salles de classe, les cours de recréation étaient séparées et il était interdit aux garçons et filles de converser par-dessus la barrière, sous peine de sanction.

 L’enjeu

Dimanche 19 mai - Déclaration de Pierre MENDES FRANCE : "En refusant constamment depuis dix ans de discuter, (...) en se réservant le monopole de toutes les décisions, le pouvoir a créé une situation révolutionnaire. Il ne peut plus maintenant ni recourir à la force sans déclencher un processus tragique, ni entamer un dialogue utile avec les masses qui s’élèvent contre sa politique."

En sortant de l’Elysée où il vient de conférer avec le Général de Gaulle et plusieurs responsables du « maintien de l’ordre », M. POMPIDOU déclare : « Pour résumer l’opinion du Président de la République, je peux vous dire : "La réforme oui, la chienlit non". »

A Nantes, l’Union Départementale CGT distribue un tract disant : « LE MOMENT EST VENU DE REGLER NOS COMPTES AVEC LE PATRONAT ET L’ETAT PATRON. » Il y aura, pendant les évènement de Mai, de nombreux tracts émanant de multiples associations.

Assemblée Générale chez Huard

A Châteaubriant, l’Union Locale CFDT distribue un tract intitulé « L’ENJEU » dans lequel elle réclame, entre autres, « un salaire mini mensuel à 600 F par mois pour 40 heures » : c’est-à-dire plus de 3,50 F de l’heure, alors que le SMIG était encore à 2,18 F en province.

Le tract demande aussi « une démocratie réelle et complète, c’est-à-dire non seulement politique et juridique mais aussi SOCIALE et ECONOMIQUE. »

A noter que le mot « socialisme » était encore un mot tabou, un mot qui faisait peur.

Lundi 20 mai. Le pays est paralysé. Plusieurs millions de travailleurs sont en grève et occupent les usines. Début de la grève à l’ORTF (c’est-à-dire la Télévision). Concours et examens sont remis en cause dans toute la France. Le gouvernement annonce un référendum sur la « participation ». L’opposition réclame le départ du gouvernement et les élections générales.

A Châteaubriant, les deux associations de parents d’élèves de l’enseignement public se sont réunies, ensemble, au Foirail. Elles écoutent les revendications des élèves et constatent leur volonté de dialogue. Les lycéens s’engagent à ne pas manifester sans consultation préalable des parents.

Du côté des enseignants, c’est la grève générale au lycée. Les « profs » occupent les élèves sans les faire travailler. Des discussions à bâtons rompus s’établissent selon les tempéraments et l’atmosphère est paisible.

Meeting, place de la Motte à Châteaubriant

Ce lundi matin, 20 mai, la plupart des syndicats de la région de Châteaubriant se réunissent au siège de la CGT pour examiner la situation. A 13h30, la Fonderie Huard se met en grève totale et descend vers l’usine de la Rue des Vauzelles. Assemblée générale du personnel. La grève est décidée pour le lendemain.

Dans la ville de Châteaubriant, on commence à parler de la rareté de l’essence, laquelle est probablement stockée.

Mardi 21 mai - l’activité de la nation est complètement arrêtée. Les bateaux sont bloqués dans les ports. Paris est sans bus et sans métro. On commence à manquer de carburant. Les paysans préparent une journée d’action pour le 24 mai et affirment leur soutien au mouvement étudiant-ouvrier-enseignant.

A Châteaubriant, le lycée est fermé et évacué par décision du Recteur de l’Académie. Les PTT et la SNCF sont en grève à 100 %. ALCA à 70 %. Chez Huard, l’entreprise est bloquée. Les ateliers ne sont pas occupés mais nul ne peut y pénétrer. Le hall d’entrée est gardé jour et nuit par des piquets de grève qui se relaient et le standard téléphonique est sous le contrôle des grévistes. Même la Direction se voit interdire l’accès aux bureaux. Palets, cartes, accordéon et discussions occupent les grévistes. De temps en temps ont lieu des visites d’entretien dans les ateliers pour vérifier l’état de l’outil de travail.

La Confédération générale des Cadres prend position dans un communiqué. Elle déclare comprendre les revendications des étudiants et « constate que le niveau de vie des salariés, très insuffisant, est à reconsidérer dans le cadre d’un horaire de travail diminuant par étapes. » La CGC déclare enfin que le personnel de chez Huard n’a pas à supporter les effets de la crise agricole.

En ces jours-là, l’action Huard cotait dans les 200 F en Bourse. Dix-huit ans plus tard, elle cotera 2,40 F en francs courants.

Mercredi 22 mai - au Parlement, réquisitoire de l’Opposition, Guy Mollet : « partez » - Waldeck-Rochet « la parole au peuple ». La motion de censure est repoussée. Les députés adoptent une loi d’amnistie. Cohn Bendit est interdit de séjour. Incidents et violents affrontements au Quartier Latin.

Paralysie générale du pays. Les manifestations sportives sont repoussées. Les journalistes décident de continuer le travail pour continuer à informer la population. Partout c’est la razzia sur les denrées alimentaires : viande, poisson, farine. L’essence manque, les banques n’ont plus d’argent liquide. Les commerçants demandent que la fête des mères soit reportée au 16 juin (jour de la fête des pères)

Texte publié pour le 40e anniversaire : http://www.chateaubriant.org/histoi...