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Légendes

Autour du Diable

sommaire généralSommaire "Histoire"page précédente
La Bête de Béré
La belle de Béré
Grippatin le malin
Le Trésor de la Piette
Guenauds et Garous
Le geai de Louisfert
Le velin de Toulon
La messe blanche
la dame de Vioreau
le diable

 Grippatin le malin

Naguère, il n’était pas rare que le diable lui-même vienne s’occuper de ses affaires sur la terre.

Trois jeunes filles cheminaient un jour non loin du château, entre la Goupillère et la Mercerie, faisant pèlerinage vers la chapelle de la Malorais pour y obtenir, du bon St Mathurin, la guérison de leur migraine.

Elles arrivaient en vue de la croix de la Bruère quand l’une dit : "Gageons que j’y arriverai la première" -
"S’il plaît à Dieu ce sera moi" dit la deuxième -
"Qu’il plaise à Dieu ou au Diable, j’y serai avant vous" dit la troisième en plaisantant.

Et les trois de courir le plus vite possible. "M’y voilà" cria la troisième en touchant la croix. "Et moi aussi" dit le diable en s’abattant sur elle comme un vautour. Et en même tant qu’il étouffait la pauvrette, "son souffle embrasé, se répandant au loin, desséchait la prairie. On l’appela désormais la Lande Brûlée" dit l’abbé Goudé.

C’est lui aussi, Grippatin le Malin, qui conseillait aux filles de répondre aux avances des jeunes seigneurs des environs. Une jeune villageoise de Béré l’écouta, c’était un soir d’octobre 1535, et se rendit folle et légère, à la croix de Boute Anon. Le lendemain on ne retrouva que ses sabots. Les uns dirent qu’elle avait été la proie d’un cruel ravisseur. Pour d’autres, c’est le diable lui-même qui l’avait emportée. Prenez garde damoiselles, car même près d’une croix, le diable est tout puissant. Ne dit-on pas que "désir de fille est un feu qui dévore" ? Il s’agit du feu éternel, il n’y a aucun doute là-dessus.

Mais prenez garde aussi, beaux damoiseaux et jouvenceaux, prenez garde à la Nymphe des eaux qui joue dans l’étang de la Primaudière. Elle est aussi fille du diable et saura, dangereuse sirène, vous entraîner vers le lieu de la perdition.

(d’après Joseph Chapron)

 Le trésor de la Piette

Châteaubriant était autrefois une terre à trésors, comme il en existe partout où il y a de vieux châteaux, des buttes de terre, des menhirs, des dolmens.

On croit qu’il y en a eu dans le donjon du château de Châteaubriant, sous le château du Bé à Nozay, sous les ombrages du châtaignier des Nonneries à Abbaretz, sous la butte du Buron à Issé, sous l’ancien camp de Moisdon-le-Rivière ou dans le vieux chatellier de Domnesche.

De tout temps, les paysans ont convoité ces richesses mais ne se sont pas enhardis à les prendre, de peur du diable. En effet, prenez garde si vous en trouvez un, car tout trésor confié à la terre reste seulement 30 ans en possession de celui qui l’a caché. Ensuite s’il n’a pas été relevé, il passe pour 100 ans en la possession du Malin. Puis 30 ans encore à la postérité du premier possesseur, puis 100 ans au diable ... et ainsi de suite !

De temps en temps, pour leur faire prendre l’air et le soleil qui fait briller les diamants, le diable fait surgir ses trésors à la surface de la terre. Qui aurait la chance de se trouver là devrait jeter dessus un objet béni : mais on n’a pas toujours un objet béni sous la main. Alors le diable donne à son trésor l’apparence de matières viles : tas de pommes pourries, monceaux de charbon, nœuds de vipères et grouillements de crapauds.

On dit qu’il y avait ainsi un magnifique trésor sous le dolmen qui se trouvait au centre du cromlech du Grée de la Piette au Petit-Auverné, non loin de Châteaubriant . Deux personnes l’ont vu, mais Grippatin lui-même, le diable en personne, empêcha qu’ils s’en saisissent. Depuis, des savants ont fouillé les lieux. Ils n’ont trouvé que des fragments de poterie. Le diable avait sûrement trouvé une autre cache.

A Vioreau, ils étaient 21 à voir la merveille, trois poêlées pleines d’argent et d’or. Dans la troisième il y avait de l’argent en lames posées les unes sur les autres comme les barres de savon à la porte des épiciers les jours de marché à Châteaubriant. Mais voilà que Satanas en personne est intervenu et leur a proposé un marché : la jouissance pleine et entière du trésor en échange de la promesse d’appartenir corps et âme au diable. Les jeunes ont hésité. "Alors commença dans la forêt une ventouse épouvantable qui tordait et faisait péter les arbres, et qui glaça de terreurs les 21 jeunes imprudents" raconte J. Chapron.

 La messe blanche de Perrine Rabu

S’il est des filles qui disparaissent, il est aussi des filles qui reviennent la nuit, quand tout le monde dort. Le jour aussi parfois, comme la Dame de Sion, en grand manteau blanc, spectre d’une cruelle marquise abattue par un braconnier, et qui fait, depuis, des misères aux gens de Fougeray en forêt de Teillay.

On a vu aussi, dans la chapelle du Bois-Brient, à la limite des paroisses de St Aubin et de Béré, des choses extraordinaires : des chants s’y font entendre la nuit et des visions célestes s’y montrent aux yeux émerveillés des habitants. "La nuit de Noël, et les nuits d’été, nous voyions comme trois belles demoiselles, vêtues de robes blanches. Elles sortaient toujours du bois voisin et se dirigeaient vers la chapelle en chantant". C’était, dit-on, pour que les gens de la terre ne sombrent pas dans l’ingratitude et l’oubli.

Un semblable phénomène s’est produit dans le Val de Chère, aux alentours de Derval et Fougeray, aux approches de la fête de tous les Saints. Fanchette, la domestique de la maison, une vieille fille d’une cinquantaine d’années, travaillait là, près de la fenêtre, à rapetasser des chausses. Elle songeait, somnolant quelque peu. Elle rêvait à la fille aînée du maître, la bonne et douce Marie, qui s’en était allée il y a un an, emportée par le mal de poitrine.

Soudain, dans les soubresauts de son sommeil assis, Fanchette se redressa, hébétée et entrouvrit les yeux. Tout près d’elle, blanche dans la pénombre, vaporeuse et intactile, c’était Marie qui lui souriait d’un air de souffrance : "Vous m’avez donc oubliée tous ici ? Pendant ce temps, je souffre car je suis en purgatoire et j’y resterai tant que mes parents n’auront pas accompli le vœu fait lors de ma mort" dit-elle. Et pour que Fanchette puisse accréditer ses dires. Marie posa sa main, à plat, sur la coëffe blanche de la servante. Cette coëffe, sur laquelle se voyait distinctement comme l’empreinte d’une main de feu, fut longtemps un objet de vénération parmi les commères. Quelqu’un sait-il ce qu’elle est devenue ?

Une autre fois, c’est un prêtre qui est revenu comme ça, la nuit, à St Jean de Béré. Un soir, le sacriste, en fermant la porte de l’église, ne vit pas Perrine Rabu bien endormie (à son habitude, disent les malvoulants !) au pied de l’hôtel de la Ste Vierge. Soudain, en entendant sonner minuit au beffroi du château, la vieille fille s’éveilla.

Aux derniers coups de minuit, un prêtre aux cheveux blancs, vêtu d’ornements noirs, s’approcha pour dire la messe. Il sembla attendre un enfant de chœur, puis soupira et officia seul. Perrine, effrayée, conta son aventure au Recteur. Le prêtre, rempli de savoir et de bon jugement, comprit que c’était un prêtre défunt qui revenait ainsi, pour avoir omis, de son vivant, de dire une messe qui lui avait été payée par un trépassé, et condamné à revenir toutes les nuits, jusqu’à ce qu’il trouve un vivant pour lui répondre sa messe. Le sacriste se dévoua la nuit suivante. Après l’oblation, le servant vit une auréole au-dessus de la tête du prêtre purgatorien, ouvrant ainsi la porte du Paradis.

C’est une histoire vraie, Perrine Rabu aurait pu vous le dire si elle n’était pas morte depuis. Mais vous pouvez me croire, comme vous pouvez croire à toutes les légendes que j’ai reprises plus haut. Car la légende, comme dit Georges Bernanos, ne fait pas qu’enchanter l’imagination des hommes, elle les défend, les protège et parfois les sauve.

Tous les pays qui n’ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid.

 La dame de Vioreau

Echo de la fin tragique de Françoise de Foix ? Il reste encore en pays castelbriantais la légende de la Dame de Vioreau.

Le domaine de Vioreau, château, étangs et forêts, a fait partie, un temps, de la Baronnie de Châteaubriant, puisque Geoffroy IV, époux de Dame Sibylle, y rédigea un testament au milieu du XIII° siècle. Les seigneurs de Châteaubriant s’y livraient aux plaisirs de la chasse et de la pêche en compagnie de leurs vassaux, les seigneurs de La Haie en Auverné, de la Chaussée en Moisdon, de la Rivière et du Maffay en Abbaretz. Ils y recevaient aussi les visites des Moines de l’abbaye de la Meilleraye.

Est-ce au cours de l’une des nombreuses fêtes que la Dame de Vioreau lia connaissance intime avec l’un de ces valets ? La liaison amoureuse fut brève et la dame en conçut un vif dépit, au point d’envoyer son amant, le jeune Franchaulet, porter un message au gouverneur du château de Nantes : "Pendez sans plus tarder le porteur de cette missive" avait écrit la dame, en un moment de rage.

Heureusement, le seigneur de Vioreau, s’était douté de quelque chose et avait rejoint Franchaulet, à la prison de Bouffay, avant que la sentence n’ait eu temps d’être exécutée. "Dis-moi tout et je te ferai la vie sauve" lui dit-il. Et le drôle vendit sa maitresse.

Quelques temps après, le Sire de Vioreau se rendit avec sa femme au château de Blain où il y avait de très grandes réjouissances et il la fit danser, tant et tant et si bien, qu’elle s’écroula hors d’haleine et tout en sueur sur le siège de pierre d’une des fenêtres de la grand’salle.

C’est là qu’elle contracta le froid mortel qui devait l’emporter sans tarder. Le Sire de Vioreau, la joie dans l’âme, récompensa Franchaulet en lui donnant la terre sur laquelle il était né ...


 Conte : le diable

Sur la bruyère longue infiniment
Voici le vent cornant novembre
Sur la bruyère longue infiniment
Voici le vent qui se déchire et se démembre
En souffles lourds, battant les bourgs
Voici le vent, le vent sauvage de novembre

Aux puits des fermes
Les seaux de fer et les poulies grincent
Aux citernes des fermes
Les seaux et les poulies grincent et crient
Toute la mort dans leurs mélancolies (E.Verhaeren)

C’est par ces soirs d’horreur et de terreur que le diable sort en pays de La Mée. Parfois il fait miroiter un trésor aux yeux éblouis d’un pauvre gars, parfois il enlève une innocente jeune fille dont le seul crime est d’être trop hardie. Toujours il sème la tristesse et la désolation. Ecoutez.

 Le trésor de la Piette

Non loin du Petit-Auverné près de la Croix de la Piette, se dresse un monolithe que tout le monde appelle « La Pierre Sonnante » : le naïf qui en approche l’oreille entend sonner l’heure ... autant de fois que sa tête frappe la pierre. A proximité se trouvait naguère une large couronne de pierres de quartz blanc qui brillaient sous le soleil. De loin on les aurait prises pour des femmes vêtues de blanc dansant une ronde.

Au centre du cercle blanc, un petit dolmen de pierres bleues abritait, disait-on, un trésor fait d’or en barres et de diamants. Le diable en était le gardien. Tous les ans, pour lui faire prendre l’air, il ouvrait la caverne mais, pour ne pas exciter la convoitise des hommes, il dissimulait or et pierreries sous de viles matières. C’est pourquoi les hommes ne voyaient là que pommes pourries, morceaux de charbons et nœuds de vipère. C’était pourtant bien simple : pour prendre possession du trésor, il suffisait de jeter dessus, au bon moment, un objet béni. Mais que voulez-vous : on ne peut pas avoir à la fois la présence d’esprit et l’objet béni.

Un jour cependant, un homme vint, fit le tour du dolmen, commença à creuser la terre, déplaça de lourdes pierres de schiste et, après des heures d’efforts, sous ses yeux ébraisillés, apparut le Trésor de la Piette. L’homme avait sur lui un chapelet béni aux trois fontaines de St Julien mais hélas, l’un des anneaux de la monture en fil de fer s’accrocha à son vêtement. L’objet béni ne toucha pas le trésor qui se transforma immédiatement en un amas de crapauds monstrueux et pustuleux, tandis qu’un immense éclat de rire faisait trembler la terre.

Quelque dix ans plus tard, un jeune pâtre tenta sa chance, mais une forme noire se jeta sur lui. C’était sûrement Grippatin le malin qui avait ainsi pris la forme d’un bouc.

Nul ne tenta plus sa chance, sauf des savants, des archéologues, qui vinrent fouiller les lieux et n’emportèrent que des fragments de poterie. Sans doute le diable avait-il mis son trésor en lieu sûr .

 Le trésor de Vioreau

A Vioreau peut-être ? On disait que dans les ruines du château, se cachait un trésor fabuleux dans un récipient entouré de cercles d’argent. Des jeunes gens, un soir, entreprirent de faire des fouilles. Il y avait là Jean d’zoeux le cocassier et Joson Martin dit le Mal-Neyé vu qu’il s’était laissé choir dans une mare. Et puis il y avait le jeune B... dont je n’ose donner le prénom. Las de chercher, ce soir-là, le jeune B.... prit le parti d’appeler le diable à son secours, par quelque formule magique qu’il avait recopiée sur un grimoire.

Et voilà le diable auprès des jeunes gens, un bel homme, qui causait bien et avec facilité et en imposait aux petits gars de chez nous. « Tu m’as appelé ? » dit le diable au jeune B... « Que veux-tu ? » - « Je cherche le trésor qui est ici ».

Le diable sourit. Du bout de ses escarpins noirs, il traça trois petits cercles sur le sol. Alors surgirent trois poêlées d’or et d’argent finement travaillé. Les jeunes gens en oubliaient de fermer la bouche. Le diable parla. Il proposa un marché au jeune B... : il aurait la jouissance du trésor, sa vie durant, et pourrait en faire profiter ses amis, mais en échange, il appartiendrait corps et âme au diable qui pourrait cesser le marché quand il le voudrait. Le temps lui serait compté d’ailleurs car, dit le diable « dans mon empire, jour et nuit comptent pour deux ». Le jeune B... devait signer de son sang mais au dernier moment, il se rétracta et aucun de ses compagnons ne voulut signer.

Les poêlées d’or et d’argent rentrèrent sous terre. Le diable était furieux d’avoir été appelé pour rien. Il y eut cette nuit-là une ventouse épouvantable, et, dans les étables lamentables, les animaux se mirent à crier derrière les vitres de papier.

Sous leurs torchis qui se lézardent,
les chaumières, là-bas, regardent
comme des bêtes qui ont peur,
et seuls les grands oiseaux d’espace
jettent sur les chaumes et leur frayeur,
le cri des angoisses qui passent
(E. Verhaeren)

Mais je vous vois douter encore. Rien n’est plus dangereux que le doute.

 La Croix Cotteux

Ecoutez encore cette histoire. C’était un soir de fête de la St Jean à Louisfert , les foins étaient rentrés. Un énorme tas de fagots était dressé et les poêles qui brindaient appelaient à la fête tous les jeunes des environs. Jeanne s’en vint, de la Treslais, une belle et forte fille de campagne, d’un caractère impérieux qui faisait qu’elle n’avait peur de rien. Le soir en rentrant, avec deux amies, elle avisa la Croix au sommet du Calvaire de l’abbé Cotteux. « Je ne rentre pas encore, je vais voir les trois soleils de la St Jean se battre sur l’horizon. Venez-vous avec moi ? ». On disait en effet que le matin de la St Jean trois soleils se rencontraient au même point de l’horizon et se battaient en se boulant. Le plus fort des trois avait le privilège d’éclairer le monde pendant toute l’année.

Ses deux amies tentèrent de la dissuader de poursuivre son rêve. Jeanne ne voulait rien entendre. Ses deux amies lui parlèrent de démons velus, si dangereux qu’on avait éprouvé le besoin de dresser une croix à cet endroit. L’entêtée n’écoutait pas : elle remonta seule le coteau. Les deux autres arrivaient à leur domicile quand elles entendirent un grand cri de détresse. Accompagnées de leurs frères, elles coururent en hâte à la Croix. Elles ne trouvèrent plus que les sabots de Jeanne et, sur la pierre de schiste, qui évoque un « culte sanguinaire » , l’empreinte du pied de bouc de Satan. Ainsi, même les croix ne vous protégeront pas du malin ; Pauvres de vous.

 Le père Mignot

Mais parfois le diable se fait homme.

Dans le village d’Auverné, l’historien local Joseph Chapron se souvient d’avoir entendu parler du père Mignot, un vieux cerclier qui logeait dans une masure de palis et de torchis, couverte d’arkoses de schiste. Il connaissait bien les traditions du pays et savait que les néfliers sauvages, les matins du Premier Mai, s’inclinent vers la terre pour inciter à les couper. Il savait qu’au matin du vendredi Saint, il est coutume de placer un rameau de néflier au dessus de la porte des étables pour conjurer le mauvais sort que des voisins jaloux pourraient jeter aux vaches laitières.

Le Père Mignot, donc, que l’on disait sorcier, fournissait en rameaux de néflier toutes les étables des alentours.

Mais dame, il ne fallait point risquer de se mettre mal avec lui. Il était d’un naturel sauvage et ne frayait pas avec les bourgassins qu’il tenait en profond mépris. Mais on le voyait toujours au chevet des pauvres gens, grabataires et égrotants, qu’il soulageait de ses remèdes et de ses conseils. L’homme était sans instruction, mais il savait tout de même lire et écrire puisque, dans sa prime enfance, quand la garde des vaches ne le requérait point, il avait fréquenté les petites écoles. Toute sa science, il l’avait dans la tête, mais parfois, il consultait un vieux grimoire, l’unique livre de la maison, juché sur le manteau de la cheminée.

Il ne fallait point se risquer à se moquer de lui, je le répète. Un jour, un gars de la ville, qui devait se marier, se moqua de ses gros sabots et de ses vêtements de peau. Eh bien, croyez-moi, le jeune homme eut l’aiguillette nouée pendant plusieurs jours après son mariage. Comprenne qui pourra.

Une autre fois, c’est le curé du village qui lui fit la leçon, lui parlant des tourments de l’enfer s’il continuait ses façons. La nuit suivante, le curé ne dormit point, se tournant et se retournant dans son lit sans comprendre ce qui se passait. Au matin, il vit avec horreur que son lit avait été envahi par des puces grouillant dans ses draps et sous sa couverture.

Les chasseurs et braconniers du coin voyaient de temps en temps, au sommet d’une butte, un lièvre assis sur son derrière, les oreilles dressées, le nez à l’évent et qui semblait les narguer. Les bûcherons ne doutaient pas que ce fut le Père Mignot qui s’était changé ainsi en bête. Ces nuits-là, de multiples méfaits et incivilités étaient commis dans les granges et aux abords des maisons mais nul ne se risquait à dire ou à faire quoi que ce soit.

Le lièvre narguait tout particulièrement un ancien officier chouan, qui logeait au grand bourg, et qui passait son temps à battre les buissons avec son fusil. Cela lui rappelait, disait-il, la chasse aux Bleus qu’il avait faite autrefois.

Le lièvre narguait l’officier, et chez ce dernier l’impuissance confinait au dépit et à la colère. Un jour d’octobre, l’officier chouan poursuivit le lièvre à outrance, avec son chien, presque jusqu’aux maisons du bourg. L’animal se cacha derrière un buisson mais l’homme envoya, au jugé, une décharge de chevrotine. L’animal poussa un cri qui avait quelque chose d’humain et qui mit la terreur au cœur de l’officier. Celui-ci alla néanmoins, tout frémissant, à l’endroit où il croyait trouver sa proie mais il ne vit rien. Le chien lui même était perturbé, désorienté.

En rentrant chez lui, l’officier voulut en avoir le cœur net. Il voulut envoyer son épouse jusqu’à la masure du Père Mignot. Mais la femme. C’est donc le valet qui fut envoyé, sous prétexte de commission, mine de rien, bon avisoir comme disent les bonnes gens.

En arrivant au village, le valet vit de loin un groupe de commères, comme des pies agasses, au devant de la porte. Sans atermoyer, le valet entra : le père Mignot était étendu sur sa paillasse de guinche, la chemise ensanglantée, confiant sa blessure à un rebouteux de La Meilleraye qui tentait d’extraire une balle.

Le Père Mignot en demeura estropié pour le restant de ses jours, puis il disparut. Nul ne sut si sa vieille carcasse avait été enterrée au fond d’un bois ou s’il avait été emporté par le diable qu’il avait dans le corps. Mais chacun maintenant, en passant aux Grand Ponts, non loin d’Auverné, se méfie des buissons de doussins et des bouillées de mesliers.

L’avez-vous rencontré, le [diable] ?
Au carrefour des quatre routes ?
L’avez vous rencontré le [diable]
Celui des peurs et des déroutes ?
L’avez-vous vu cette nuit-là
Quand il jeta la lune à bas
Et que n’en pouvant plus
Tous les villages vermoulus criaient
Comme des bêtes dans la tempête ?

Mais vous êtes gens de la ville
Vous ne me croyez pas.
Alors que Dieu vous garde.

(d’après Emile Verhaeren et Joseph Chapron)

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