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René Guy Cadou



 René Guy Cadou par Prosper Divay

Je vous invite aujourd’hui à lire ou relire un grand poète contemporain : René Guy Cadou.

René-Guy Cadou est presque un voisin. Il est né le 15 février 1920 à Sainte-Reine-de-Bretagne, dans la Brière toute proche. Il meurt le 21 mars 1951 à Louisfert tout près de Châteaubriant. Il a 31 ans. Louisfert s’apprête à célébrer en 2001 le cinquantième anniversaire de sa mort. Il faut s’y préparer. Il faut le mieux connaître. Le rencontrer est un bonheur.

Charles Le Quintrec le présente ainsi dans son livre « Les grandes heures littéraires de Bretagne » : « Petit-fils d’instituteurs, fils d’instituteurs, instituteur lui-même, René-Guy Cadou -dans une Bretagne livrée à la guerre scolaire - qui voyait se dresser le presbytère contre la maison d’école - n’aurait jamais dû rencontrer Dieu. Car lisant et relisant son œuvre, on s’aperçoit que le plus haut Nom y est partout présent ».

Max Jacob, retiré à Saint-Benoît-sur-Loire, priait ainsi pour son ami : « Mon Dieu, ayez pitié de René-Guy Cadou qui ne sait pas que ses vers sont le meilleur de Vous. »

Dans sa préface à son livre unique de poèmes “Poésie la vie entière” René-Guy Cadou écrit : « Je n’ai pas écrit ce livre. Il m’a été dicté au long des mois par une voix souveraine, et je n’ai fait qu’enregistrer comme un muet l’écho durable qui frappait à coups redoublés l’obscur tympan du monde. La parole m’a été donnée par surcroît. » (Et c’est admirablement dit !)

Un peu plus loin, il insiste : « ...ces poèmes m’arrivent de bien plus loin que moi-même. »

C’est pourquoi vous ne pouvez les aborder que dans le respect de l’acte poétique. La poésie, c’est pas de la rigolade.

Voici le poème d’aujourd’hui, c’est un poème d’amour dédié à Hélène. Son titre est une date, la date de naissance de leur amour, la date anniversaire de leur rencontre. C’est ce jour-là que pour eux tout a commencé. Ce que j’ai particulièrement aimé dans ce poème, c’est l’attente de l’amour :

“J’appelais, je disais que vienne enfin la grande,
La belle, la toujours désirable et comblée.”

Inquiet, (le rythme est expressif) il appelle la bien-aimée à grands coups de superlatifs transis d’admiration et de désir. Il fait des choses qu’il sait pourtant idiotes. C’est le propre des amoureux. Rien de tel que l’amour pour casser votre belle logique cartésienne. Mais ces incohérences ou inconséquences sont belles poétiquement, par exemple : aller souvent à la fenêtre voir si le bonheur va venir (avec l’amour) et entrer. Mouvement irraisonné de captif ou de solitaire vers quelque fol espoir de libération de la solitude, de la délivrance par l’amour. Il y a des contradictions aussi entre ce matin semblable à tous les autres et les prodiges qui le font extra-ordinaire : le soleil qui a des brins de mimosa dans les rayons, les peuplades d’argent qui descendent la rivière, ces enfants qui pavoisent les toits, comme les maçons et charpentiers quand ils ont fini une maison. Ce sont là manifestations insolites et merveilleuses. Le monde des amoureux n’est plus tout à fait le monde des hommes platement raisonnables, terre à terre, prosaïques. Pas besoin pour ça d’inventer des prodiges féeriques ou surnaturels. Dans la poésie de R.G. Cadou, le merveilleux reste quotidien et d’autant plus merveilleux.

J’ai beaucoup aimé aussi le coup de foudre entre les deux amants. Rien de spectaculaire. Ca se passe dans la simplicité :

“Aussitôt que je vis tes yeux,
je te voulus soumise à ... ”

Il est immédiat et foudroyant comme il se doit. Voir Hélène, voir ses yeux, c’est la vouloir. Pas besoin de recourir à des images empruntées aux phénomènes électriques : aimantation réciproque, ou même au monde de la poésie “ni vous sans moi, ni moi sans vous” écrivait, il y a bien longtemps, Marie de France dans le lai du chèvrefeuille, chèvrefeuille qui s’attache de toute ses vrilles à l’arbre son amant. Pas besoin de tout ça. La grammaire suffit : “je te vis, je te voulus”.

“Je te voulus soumise à mes deux mains tremblantes, à mes lèvres... ”

Le désir est fort, mais les mains tremblent d’émotion au moment de se poser. C’est le “macho” qui parle de soumission, pas l’amoureux timide et fervent, tenu en respect par la beauté révélée, celle-là même qu’il convoite.

En ce moment, dans ce même mouvement, Hélène lui apparaît comme seule capable d’exorciser ses mauvais démons, de le sauver des “fleurs du mal”. La strophe est mystérieuse et belle.

Les deux derniers distiques sont parmi les plus beaux de la langue française. Construite en opposition à “voir rouge”, “voir bleu” a un sens éminemment positif. “Ruisseler ” évoque une plénitude débordante. Au sommet de son bonheur, au sommet de son amour, le poète invente pour Hélène une promotion inouïe, une destination céleste. Les promenades dans la campagne de Louisfert, sous les pommiers, constituaient déjà pour le couple un rite essentiel.

Alors, fort de son amour et de celui d’Hélène, sûr de son pouvoir de poète, il prend l’initiative d’une démarche à la fois simple et naturelle quand on est amoureux : prendre rendez-vous, mais prodigieuse puisqu’il s’agit d’un rendez-vous dans le ciel pour des promenades éternelles. Ce n’est pas un finale de légende dorée, ce n’est pas un mot d’auteur pour faire joli, ce n’est pas une hyperbole de poète qui veut finir son poème en beauté, ce n’est pas un happy end pour midinettes aux cœurs sensibles.

Charles Le Quintrec, après avoir rappelé qu’il y a toujours eu chez René-Guy Cadou une prémonition d’une fin précoce, écrit :

« La foi de René-Guy Cadou est à ce point intense que dans l’élan même de son jeune amour pour Hélène, alors qu’un bonheur tout neuf bondit dans sa poitrine, il s’assigne à le vivre dans un autre royaume. »

Avec une autorité que je n’ai pas, Le Quintrec ôte toute mièvrerie à un finale aussi poignant.

Que de chemin parcouru entre une Hélène plus rêvée que réelle, plus maternelle qu’amoureuse, celle de la première strophe, et cette autre dont les yeux font naître un ardent désir de possession, dont la beauté délivre de tout mal et qui dans le ciel comme sur la terre sera aimée de René-Guy Cadou !

Prosper Divay

  17 juin 1943

Tu étais la présence enfantine des rêves.
Tes blanches mains venaient s’épanouir sur mon front
 
Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière.
 
J’appelais, je disais que vienne enfin la grande,
La belle, la toujours désirable et comblée.
 
Et j’allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là
 
Ce fut par un matin semblable à tous les autres.
Le soleil agitait ses brins de mimosa
 
Des peuplades d’argent descendaient la rivière.
Les enfants avaient mis des bouquets sur les toits.
 
Aussitôt que je vis tes yeux, je te voulus
Soumise à mes deux mains tremblantes, à mes lèvres,
 
Capable de reprendre à la nuit son butin
De fleurs noires et vénéneuses caresses.
 
Tout le jour je vis bleu et ne pensai qu’à toi.
Tu ruisselais déjà le long de ma poitrine.
 
Sans rien dire, je pris rendez-vous dans le ciel
Avec toi, pour des promenades éternelles.
 
René-Guy Cadou

Voici deux autres poèmes de René Guy Cadou

 L’étrange douceur

Comme un oiseau dans la tête
Le sang s’est mis à chanter.
Des fleurs naissent, c’est peut-être
Que mon corps est enchanté,
Que je suis lumière et feuilles,
Le dormeur des porches bleus,
L’églantine que l’on cueille
Les soirs de juin quand il pleut
 
Dans la chambre un ruisseau coule,
Horloge au caillou d’argent,
On entend le blé qui roule
Vers les meules du couchant
L’air est plein de pailles fraîches,
De houblons et de sommeils.
 
Dans le ciel un enfant pêche
Les ablettes du soleil.
C’est le toit qui se soulève
Semant d’astres la maison.
Je me penche sur tes lèvres,
Premiers fruits de la saison.
 
René Guy Cadou

 Toujours

Tu peux bien m’enfermer
Dans la neige et les fleurs,
Me défendre d’aimer
Une saison nouvelle.
Je regarde le ciel
Et je te porte en moi.
 
Tu sauves les vergers.
Ton rire mieux qu’une aile
Apprivoise en passant
Une étoile égarée.
Les lièvres les oiseaux
Boivent dans tes prunelles.
 
Tu es toute la vie,
La glaise et le feuillage.
Si j’écarte le vent
Je trouve ton visage
Dormant comme un ruisseau
Plein de frai lumineux
Ta main va se poser
 
Sur ma plus haute branche.
Tu plantes des bleuets
Tout autour de mes yeux.
L’océan accompagne
Au loin ta robe blanche.
 
René-Guy Cadou