- Les Castelbriantaises au XVIIIe
- Chanter pouille
- Les clefs des marchepieds
- L’épouse aux champs
- La femme dans les conflits
- Pousse au crime
- .... modératrice
- L’affection au sein du couple
- Les voisines surveillent la (...)
- ...et ont autorité sur les (...)
- Au cabaret
- Le bal
- Toute tremblante
- Le marché
- La garce !
- Injures à caractère sexuel et (...)
- Les amours illégitimes
- Amours ancillaires
- Le bâtard
- Infanticide
- Femmes de Châteaubriant
Les Castelbriantaises au XVIIIe siècle
étaient de sacrées marreunes
Chanter pouille
Les clefs des marchepieds
Le domaine de l’épouse
La femme dans les conflits
Pousse au crime ....
.... ou modératrice
L’affection au sein du couple
Les voisines et la vertu des filles ....
......et ont autorité sur les corps
Au cabaret
Le bal
Toute tremblante
Le marché
La garce !
Les injures
Les amours illégitimes
Les amours ancillaires
Le bâtard
Infanticides
Dans un mémoire de maîtrise, dont La Mée a déjà parlé (relire Les excès de la jeunesse castelbriantaise) Vincent Rautureau a analysé 273 procès criminels jugés par le sénéchal de la baronnie de Châteaubriant, de 1750 à 1780, du temps du Prince de Condé. Cette analyse lui a permis une approche du monde rural à travers des sources judiciaires : « Les procédures criminelles donnent la parole aux gens du peuple, elles nous permettent d’entrer dans le vif de leur quotidien et de leurs aspirations. Cependant les sources judiciaires ne donnent qu’un aperçu de la vie des gens sous l’Ancien Régime, aperçu profondément orienté par la violence, alors qu’au quotidien les gens de cette époque savaient vivre paisiblement » écrit-il.
A partir de ce travail universitaire, Vincent Rautureau a cerné la place et l’action de la femme dans la société rurale castelbriantaise, en s’intéressant à la femme dans sa maisonnée, puis à la femme à l’extérieur (village, cabarets et marchés) puis enfin à la vertu des femmes, référence fondamentale pour l’honneur de toute famille du XVIIIe siècle. Ses conclusions, données lors du Congrès d’Ancenis (septembre 1998) de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, sont éditées dans le tome LXXVII des Mémoires de Bretagne.Tout ce qui suit est emprunté à l’exposé de Vincent Rautureau.
Chanter pouille
Légalement, la femme du XVIIIe siècle est subordonnée à son mari. Par exemple elle ne peut pas ester en justice. Le mari administre les biens du ménage, mais aussi les biens propres de sa femme. « Mais les faits sont plus nuancés : un menuisier déclare aux juges de Châteaubriant qu’il a refusé de vendre un chaudron parce que c’était sa femme qui en aurait hérité et qu’elle luy eut chanté pouille »
Perrine Gueslard, dite « La belle Marion », épouse d’un fendeur de Châteaubriant, se vante auprès d’une cabaretière que « son mari la battoit quelques fois, mais qu’elle étoit toujours la maîtresse, parce qu’elle gagnoit plus que lui ». La Belle Marion, qui pratiquait le faux-saunage (2) persiste devant les juges en déclarant qu’elle lui en cachait une partie car il aimait boire. « Ainsi, même s’il y a des rapports violents entre époux, la domination dans un couple n’est pas forcément physique, elle peut être économique et à l’avantage de l’épouse » commente Vincent Rautureau.
Les clefs des marchepieds
De même les épouses d’artisans ont une part active et parfois même l’initiative, dans les querelles concurrentielles et dans le choix des compagnons. Des paysannes ont aussi leur mot à dire, quant à la gestion des biens et du pécule de l’exploitation. L’épouse d’un laboureur sait exactement la somme d’argent que son mari a empotée avec lui au marché. Les femmes sont chargées d’acheter les victuailles, les vêtements et la volaille au marché de Châteaubriant.
Il existe une répartition des espaces et des tâches selon les sexes : la maison est le domaine des femmes, le dehors celui des hommes. Les femmes détiennent dans leurs poches les clefs des coffres et des marchepieds. Elles préparent les repas et parfois les portent aux champs pour les travailleurs. Sans elles. les hommes seraient littéralement perdus au foyer
Le mari étant souvent à l’extérieur, l’épouse accueille les visiteurs et sauvegarde la maison. A sa porte. elle coud, elle répond aux questions des étrangers ou des voisins et parfois leur donne à boire. C’est très souvent elle qui prend seule la décision d’offrir le gîte et le couvert aux vagabonds. Plusieurs fois, nous assistons à la même scène. Le soir, le mari rentre chez lui et découvre un vagabond à sa table, une famille errante dans sa grange ou un blessé dans un lit. que son épouse a décidé d’héberger par charité.
Le domaine de l’épouse s’étend aux alentours de sa maison. C’est pourquoi elle a une part très active dans les querelles de voisinage. Le lavoir est un espace spécifiquement féminin. où les femmes bavardent. médisent et parfois se battent. Au bourg de Juigné, l’épouse d’un laboureur reproche à ses voisins leur mauvaise utilisation de son four à pain. en présence du mari passif. Les femmes sont aussi les protagonistes des querelles autour des puits et fontaines.
L’épouse aux champs
En plus de ses tâches ménagères. l’épouse participe aux gros travaux. Lors des labours, elle étend le fumier et sème. Lors de la fenaison, elle fane. Lors de la moisson, elle bat les gerbes de blé.
Les épouses participent à la défense de la propriété familiale, en tant qu’héritières de terres et de droits. Lorsqu en 1754. les époux Ricou veulent passer avec leur charrette de fumier sur une gagnerie. c’est la femme qui descend arracher les « palis » d’une nouvelle haie. Elle agit en vertu de « son » droit de passage ancestral pour aller sur « sa » quantité de terre. Mais les femmes sont aussi impliquées dans la défense acharnée des terres en tant que membres de la communauté. Nous avons plusieurs exemples d’épouses qui, seules, chassent des bêtes intruses, constatent et estiment les dégâts, font des reproches à leurs voisins
De même, le bétail n’est pas le domaine exclusif des hommes. Ce sont les femmes, et les enfants qui gardent les troupeaux.
La femme dans les conflits
Les femmes se battent peu par rapport aux hommes : elles ne représentent que 6,4 % des accusés de violence physique. Elles sont plus souvent victimes et encore. Elles ne sont que 21.1 % des accusateurs. Et Vincent Rautureau avance cette hypothèse : la morale populaire garantit une relative protection des femmes.
Il évoque même « leur présence intouchable ». En effet, on désapprouve un homme qui frappe une femme qui n’est pas la sienne. Un jeune homme s’étonne du coup de fusil d’un garde-chasse dans la porte d’une aubergiste : « Tu tires dans la porte d’une femme ».
Pousse au crime ...
Des femmes tirent de cette relative protection une certaine liberté de parole et d’action. Pour biaiser cette relative protection de la femme, un maître serrurier, insulté par sa sœur demande à son épouse de venir la frapper. Une bagarre entre femmes serait donc plus normale qu’une rixe entre homme et femme.
« En fait la violence physique sur les femmes répond au besoin immédiat d’écarter un obstacle, et bien souvent on l’expédie en la poussant ou en lui donnant un coup de poing. Les femmes ne connaissent pas la brutalité des rixes entre hommes. » dit Vincent Rautureau.
Ce statut permet à l’épouse d’intervenir, à sa façon, dans les conflits. Elle peut provoquer la bagarre. Les querelles de voisinage débutent souvent par une violente altercation entre femmes, puis s’achèvent brutalement avec l’intervention des hommes. L’épouse désigne l’ennemi et pousse son mari au crime. Il ne faut cependant pas penser que l’épouse dispose, a volonté, de la force physique de son mari. Au retour du marché, la femme d’un laboureur dit à son mari d’aller séparer deux combattants. Devant sa passivité, elle se jette elle-même dans la mêlée. L’épouse est parfois complice et frappe avec son mari. C’est le cas de sept couples accusés de violence physique.
La femme défend son mari à la force de ses poings. Certaines vont très loin pour sauver leur mari et bravent les autorités. La femme d’un voleur de cheval introduit, grâce à un sac, une lime et un ciseau dans la prison de Châteaubriant. Pour l’aider dans son évasion, elle lui promet d’apporter une barre de fer sous ses jupes.
.... modératrice
Les épouses ont aussi un rôle modérateur dans les conflits. Leur « présence intouchable » leur permet de s’interposer entre combattants. Elles interrompent la plupart des bagarres, en ramenant leur mari à la maison. Certaines se débattent pitoyablement pour empêcher leur époux de commettre un crime. Un cordonnier menace avec son marteau la famille de son adversaire. Devant une soixantaine de badauds son épouse prend à bras le corps son mari complètement ivre. Elle tombe avec lui dans l’escalier « toute échevellée » est-il écrit dans les actes d’un procès en justice. Les épouses jouent parfois un rôle d’intermédiaire, lors des accords à l’amiable.
Dans le déroulement d’un conflit. une mère a le même type d’actions qu’une épouse. Le duo mère-fils est très solidaire. Pour disculper son fils et malgré ses torts, une mère va mentir. Elle intervient dans les bagarres, elle sépare les combattants. La mère Rabu court après son fils qui veut tuer une voisin et retient in extremis sa main armée d’un couteau.
L’affection au sein du couple
Les rares allusions sentimentales glanées dans les procès étudiés sont données par des femmes sans doute plus sujettes à l’épanchement. Marie Barré, une paysanne démente, est interrogée sur la mort de son mari. Elle déclare « qu’elle étoit mariée avec un bonhomme, le meilleur de Thourie sa paroisse ». En 1769 un journalier se noie accidentellement dans l’Erdre. Son épouse déclare : « Qu’à cette nouvelle. elle fut si consternée qu’elle n’eut pas la force de l’aller reconnaître ». « Autant que l’affection, ces émotions traduisent peut-être l’angoisse des jours à venir. Le veuvage est en effet, à cette époque, une situation très précaire » commente Vincent Rautureau
Les voisines
surveillent la vertu des filles ...
La constante présence des femmes chez elles et dans le village crée un voisinage féminin particulier et familier. Les voisines surveillent la vertu des filles et donnent leur avis sur les alliances possibles. Louise Ménard, une célibataire de 40 ans, constate les caresses que s’échangent ses jeunes voisins Julien Chrétien et Catherine Barbier Elle les surprend entrer chez la veuve Barbier. pendant son absence. La mère Barbier découvre des jarretières près de son lit, elle en fait part à Louise qui dénonce les jeunes amants et conseille à la veuve « de châtier sa fille pour l’empescher de coucher. ». Parallèlement, elle fait remarquer à Julien qu’il eut mieux fait de choisir une fille plus intelligente et plus belle pour faire ses amours .
Avec les grossesses illégitimes et cachées, la surveillance prend l’allure d’une véritable traque. Or ce sont les femmes qui, le plus souvent, s’observent dans un domaine dont elles ont, à la différence des hommes, une connaissance intime. Au village de la Morais, les voisines de Thérèse Testard s’acharnent a lui faire avouer sa grossesse. Les hommes du voisinage ne restent pas indifférents, eux aussi posent des questions insistantes aux filles qui cachent leur grossesse mais ils n’ont pas comme les femmes ce acharnement et cette fine connaissance du corps féminin.
La jalousie et la médisance règnent entre voisines et créent parfois une atmosphère tendue dans le village. La femme Rigaud est exaspérée par les critiques quotidiennes de ses voisines. Elle détaille sa rancoeur au lavoir et se dispute avec la fille Lorette. Finalement, elle en fait part à son mari qui injurie et frappe la fille et la mère Lorette. Dans sa démence Marie Barré déclare « que les filles et les femmes lui en veulent, sont toujours après elle »
...et ont autorité sur les corps
Enfin, une solidarité particulière aux voisines se noue autour des corps. Elles ont autorité sur ceux des filles du village. Un père accuse son voisin d’avoir frappé sa fillette de douze ans. À la demande de l’accusé, deux voisines la troussent pour voir si elle est véritablement blessée. Après une bagarre sanglante, les voisines donnent les premiers soins. Pour panser une blessure à la tête, elles coupent les cheveux du blessé.puis lavent la plaie qu’elles cautérisent avec de la cendre ou de la braise pilée. Les voisines se succèdent au chevet des malades et des blessés du village pour les veiller et les soigner. Elles s’occupent de la maison d’une aubergiste alitée. Ce sont les femmes et les veuves du village ou de la famille qui ensevelissent les morts
- Au "Coque" sans plumes, cabaret
Au cabaret
Dans le monde rural du XVIIIe siècle, le cabaret est un lieu de rencontre incontournable. La très grande majorité de la clientèle est masculine Cependant, si les femmes sont rares aux tables des cabarets, elles n’en sont pas exclues.
C’est le jour du marché que nous observons la plus forte présence féminine dans les cabarets. Avant de quitter Châteaubriant. des groupes mixtes de voisins, de parents et d’amis s’y attardent
Nous avons plusieurs exemples d’hommes accompagnés de leur sœur, de leur mère, de leur épouse ou de leur fille. qui entrent et dînent dans les auberges castelbriantaises. Le dimanche est aussi le jour d’une fréquentation féminine des cabarets. Par exemple, un jeune métayer et sa sœur boivent deux bouteilles de vin avec un autre paysan dans un cabaret de Juigné. après les vêpres.
Le bal
Notons aussi la présence de jeunes filles dans ces établissements lors des bals des dimanches soirs. Au soir du violon et de la vielle. elles dansent avec des garçons parfois inconnus. Les assemblées sont aussi les grandes occasions pendant lesquelles les filles peuplent les cabarets.L’auberge est alors un endroit où l’on fait la cour, où la tendresse se donne parfois en spectacle. Un laquais embrasse sa "maîtresse" à une table d’un débit de buisson lors de la fête patronale de Rougets.
Tous ces exemples nuancent le propos de Robert Posnic, selon lequel les rares femmes présentes dans les cabarets nantais au XVIIIe siècle étaient le plus souvent débauchées. Il s’agit peut-être là d’une particularité urbaine, car nous voyons bien que le monde rural tolère la présence de femmes honorables dans les cabarets.
Remarquons. néanmoins. que ces femmes n’entrent pas seules dans ces établissements. Elles sont toujours accompagnées d’un fils, d’un fiancé, d’un mari ou d’un frère. Le cabaret demeurant un univers viril où règnent la violence et les excès de l’alcool, où l’honneur est continuellement en jeu, les femmes doivent donc être accompagnées. Ce qui confirme cette hypothèse, c’est le fait que les femmes qui entrent seules dans un cabaret sont « hors normes » - des voleuses ou (et) des contrebandières comme la « Belle Marion » qui boit une chopine de vin dès 7 h 00 du matin dans un cabaret de Châteaubriant, puis six bouteilles de cidre dans un autre, à Saint-Aubin des Châteaux
Si la présence féminine est très faible au sein de la clientèle, à l’inverse il existe une prédominance des femmes chez les aubergistes, qu’il s’agisse des « maîtresses » ou des servantes. Sur les douze établissements de Châteaubriant où se déroulent des affaires de coups et blessures, cinq sont tenus par des veuves, cinq autres par des couples, et deux seulement par des hommes.. De plus, les maris sont souvent absents dans les auberges tenues par les couples, et de jeunes servantes sont employées dans celles tenues par des hommes seuls, La cabaretière est un personnage incontournable dans la société rurale du XVIIIe siècle.
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Les cabaretières entretiennent des rapports de confiance et de fidélité avec les habitués de leur établissement. Mais aussi, la cabaretière est souvent confrontée à la violence qui éclate facilement dans son établissement. On peut tout d’abord s’en prendre à ses biens. Quand une bagarre éclate, les dégâts sont parfois importants : coups de fusil dans les portes, chaises cassées, pots, assiettes et verres brisés. Quelquefois l’aubergiste est insultée ou frappée, sa famille est menacée. Un dimanche vers 23 h 00, la veuve Desbois, tenancière de « la Planche Marguerite » reçoit plusieurs coups de tison par un nommé Dubuissori, saoul et vindicatif. Le querelleur prend une chaise et s’apprête à la lancer sur le berceau où est couché le bébé de l’aubergiste.Heureusement. des voisines interviennent
Toute tremblante
« Toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes » , les aubergistes sont effrayées par la violence qui éclate au sein de leur établissement. Outre la peur, quelle est leur réaction ? Dans un premier temps, elles peuvent désamorcer le conflit en refusant de donner à boire à des hommes ivres et querelleurs. Certaines aubergistes repèrent les clients dangereux avant même leur entrée. Un dimanche soir. auprès de la porte Saint-Michel de Châteaubriant, la Perraux sort de son cabaret et s’exclame : « J’entends du bruit dans la rue, c’est apparemment des soulards qui viendront faire le carillon chez nous. Fermez la porte sur vous et la verrouillez » dit-elle. Le refus de donner à boire est la réponse aux menaces de violence la plus courante mais nos sources n’évoquent que les cas où ce refus ne fit qu’envenimer les choses et déclencher la bagarre.
Une fois la femme Garnier se jette sur un soldat ivre et menaçant, pour détourner le coup de serpe qu’il voulait envoyer à un client. Elle est blessée au poignet. Remarquons la présence et la passivité du mari aubergiste
Lorsque les tensions deviennent insupportables, les cabaretières expulsent les clients indésirables. Un jour la veuve Dahirel jette un pot d’eau sur des clients qui se bagarrent et va à sa porte crier secours. Certaines mettent tous leurs clients à la porte, sans distinction.
- Marché" place de la Motte à Châteaubriant
Le marché
Nous retrouvons aussi les femmes dans un autre lieu de rencontre fondamental : le marché. Celui de Châteaubriant se tenait tous les mercredis et attirait de nombreux paysans de la campagne castelbriantaise. Bien souvent. on s’y rendait en couples ou en petits groupes de parents. de voisins et d’amis.
Nous avons pu observer une certaine répartition des tâches : la femme s’intéresse au commerce de victuailles, et de vêtements. Ce sont les hommes qui font le commerce des bêtes. Nous ne pouvons cependant pas parler d’exclusivité féminine ou masculine pour tel ou tel commerce. En 1772. sur la place de la Motte, on vit la jeune épouse de François Pestureau essayer de vendre deux chevaux volés. Cependant, le commerce des bêtes reste le domaine des hommes, car les rares femmes rencontrées sur le marché aux bestiaux sont accompagnées ou ont reçu des instructions de leur mari.
La garce !
L’honneur est une valeur fondamentale dans la société rurale du XVIII’ siècle. L’étude des injures montre combien la vertu des femmes est une référence incontournable pour l’honneur d’une famille.
Nous pouvons distinguer deux registres injurieux. Le premier à caractère sexuel et obscène, s’attaque aux bonnes mœurs et à l’ensemble des conduites privées. Le second concerne le mépris social et réunit des termes portant des notions d’infamie, de fainéantise. de filouterie, de fourberie, de lâcheté et de pauvreté. Nous avons dressé, selon les sexes, une liste des injures des deux registres Nous n’avons pris en compte que les insultes repérées au moins deux fois dans les sources judiciaires .
Injures à caractère sexuel et obscène :
adressées à une femme :
putain, bougresse, garce, vesse, carogne, toupie (ces trois derniers mots désignent une femme de mauvaise vie)
adressées à un homme :
jean-foutre, bougre, cornard,
fils de putain
Injures concernant le mépris social :
adressées à une femme :
Gueuse, crasseuse, salope, sotte, soularde/grise
adressées à un homme :
fripon, coquin, voleur, galérien, pendu, chien, gueux,
Le registre injurieux à caractère sexuel et obscène attaquant la femme est riche, tandis que l’homme est plutôt victime du registre concernant le mépris social. De plus les insultes à caractère sexuel et obscène destinées aux hommes doivent être relativisées : < cornard >,
La vertu des filles de la famille est aussi un critère très précieux de l’honneur familial. Le scandale d’une grossesse illégitime rejaillit sur toute la famille. Cette précieuse vertu peut être utilisée par la famille comme une arme offensive. Les Fournet par exemple déposèrent plainte pour deux tentatives de viol sur leur fille par le fils L.. Dans une contre-plainte, ce dernier nia ces prétendues agressions sexuelles et laissa planer des doutes quant à la vertu de cette jeune fille. Il s’avéra plus tard que ces tentatives de viol étaient des accusations abusives lancées dans un climat de haine entre les deux familles.
Les épouses défendent aussi l’honneur de leur mari. Un jour de marché, sous les halles de Châteaubriant, l’épouse de Leroy se jette sur la femme Demeuré et la frappe parce que. quelques jours auparavant, elle avait appelé son mari : « Petit Jan, Jan le petit ». En fait, cette question d’honneur apparaît comme I’épiphénomène d’une âpre concurrence où des intérêts commerciaux sont en jeu. En effet, Demeuré et Leroy sont tous deux serruriers castelbriantais. La rancune des Leroy est née de la fourberie de Demeuré qui a soutiré de chez eux deux compagnons qu’ils avaient déjà payés et habillés
Les amours illégitimes
Le concubinage et l’adultère apparaissent comme des événements graves où la question de l’honneur familial se pose avec acuité. De plus, les amours illégitimes rapportées par des procédures criminelles sont forcément dramatiques puisqu’elles ne nous sont connues que par le prisme de la violence. Si chaque amour illégitime reste une histoire particulière, nous observons que les femmes tiennent toujours un rôle important.
Intéressons-nous tout d’abord aux amantes. Pour quatre cas d’adultère rencontrés, au cours de notre étude, un seul concerne une femme. Il s’agit de Marie Le Folle qui mène avec son mari une vie clandestine et errante. En 1760, elle et ses quatre enfants quittent Rennes et errent jusqu’à Châteaubriant où ils vivent plusieurs semaines dans une grange. L’amant, un tireur de pierres vient les rejoindre. À la demande de Marie, les enfants l’appellent « père » et elle le présente à des castelbriantais comme « son homme ». Interrogée par les juges, elle nie son adultère et raconte que son mari l’a abandonnée depuis plusieurs mois. Était-elle une adultère en fuite ou véritablement une épouse abandonnée qui rencontra plus tard son amant ? Toujours est-il qu’il s’agit là du seul cas d’épouse adultère rapporté par nos sources.
Amours ancillaires
La femme serait-elle plus sage que l’homme ? Elle est surtout moins libre et moins pardonnée. Sa vertu, gage de l’honneur familial, est constamment surveillée. De plus la loi favorise l’homme puisqu’une épouse ne peut pas déposer de plainte pour adultère, contrairement à son mari qui peut demander séparation.
Les amantes sont plus souvent des célibataires. Certaines sont présentées comme des filles « imbéciles » abusées par des hommes peu scrupuleux.. Il faudrait alors parler de viol que d’amour illégitime, Mais ce terme d’imbécile, trop flou, recouvre des situations très diverses
Des procès révèlent d’habituelles relations ancillaires. Les jeunes servantes, subordonnées à leur maître, cèdent aux classiques promesses de mariage. C’est le cas de Julienne Creuzeau enceinte des œuvres de son maître veuf, René Esnault. Au vu et au su de ses clients, l’aubergiste Perroche aurait couché successivement avec ses deux servantes. Tout aussi classique, l’aventure passagère entre une servante et un valet : Marguerite Hosserel avoue sa grossesse à son amant qui l’abandonne à soir triste sort
Enfin, certaines de ces femmes assument pleinement leur coupable relation. Telle la lingère Géorginne Annette qui vit avec Georges Monnier depuis neuf ans, malgré les remontrances de sa famille et du curé. Ce couple concubin s’affiche au bourg de Teillay, créant une situation anormale et scandaleuse. mais qui persiste et s’inscrit dans le quotidien.
Sur douze filles célibataires protagonistes d’un amour illégitime quatre seulement évoquent l’existence de leurs parents ou de l’un des deux. Ce manque de structure familiale signifie une surveillance moindre de ces filles qui deviennent des proies faciles pour les séducteurs. Les situations varient selon les familles, mais toutes montrent l’importance de l’autorité maternelle et de l’honneur familial.
Le bâtard
Le déshonneur des amours illégitimes est parfois aggravé par la naissance d’un bâtard. Les enfants naturels sont indésirables. Certains sont élevés par leur mère. Mais le déshonneur, la solitude et la misère poussent beaucoup de mères et de familles à se débarrasser des bâtards. La plupart du temps, cette opération délicate est l’affaire des femmes. Au quotidien, mères, grand-mères et tantes élèvent et prennent soin des enfants. Ce sont donc elles qui se chargent d’éliminer le bâtard
Tout d’abord, on peut abandonner l’indésirable sur le bord d’un chemin. Mais l’abandon d’enfants à l’hospice est une pratique plus courante. Dans le pays castelbriantais on a su répondre à cette demande. Un réseau d’abandon d’enfant s’est organisé autour d’un marchand de Pouancé qui a une boutique et des commis à Châteaubriant. Ce réseau bénéficie même de l’aval de certains hommes de justice castelbriantais. La mère Chrétien par exemple, fit plusieurs voyages d’Issé à Châteaubriant pour négocier le départ du bâtard de son fils, âgé de 3 ans. C’est elle qui conduisit l’enfant à Châteaubriant, c’est elle qui paya les commis auxquels elle abandonna l’encombrant bâtard
Infanticide
Le mieux pour sauver l’honneur, c’est de tuer son fruit avant que la grossesse ne se remarque. Dans les campagnes, on connaît des herbes abortives et on pratique cette solution discrète. C’est l’affaire des femmes. Une paysanne propose « une gobeletée d’herbes » à la maîtresse de son frère, enceinte de cinq mois. Ces remèdes peuvent être efficaces, mais ils sont très dangereux. Veillant une servante malade, des femmes trouvent dans son lit un foetus de trois mois. La criminelle n’aura pas le temps de s’expliquer. Interrogée dans son lit, elle délire. Ecrouée. elle meurt le soir même
De 1750 à 1780 deux procès pour infanticide secouent le pays de Châteaubriant : celui de Thérèse Testard en 1755 et celui de Marguerite Hosserel en 1763. L’infanticide est le geste d’une fille perdue et isolée. Malgré le harcèlement du voisinage, Thérèse Testard et Marguerite Hosserel, nient leur grossesse jusqu’au bout. Elles accouchent et tuent leur progéniture seules. Elles seront condamnées à la potence mais les amants de ces mères infanticides ne sont pas poursuivis alors que tout le monde les connaît. « là, comme dans toutes les amours tragiques, nous observons la fuite des hommes" » dit Vincent Rautureau.
Sources :
Conflits et solidarités, par Vincent Rautureau. Archives départementales de Loire-Atlantique
Société d’histoire de Bretagne, (tome LXXVII), 20 avenue Jules Ferry, 35700 Rennes
Cet article a été cité dans un blog de Médiapart, en mars 2012