15 février 1840 : il y a déjà 3 mois qu’Abd el-Kader a attaqué des postes français dans la plaine de la Mitidja aux portes d’Alger, et détruit des îlots de colonisation. Les Français comprennent qu’il leur faut choisir entre l’occupation totale ou l’abandon. Le 15 février, à la chambre des députés, Bugeaud pose la question. La Chambre hésite.
16 février 1840 : Brossays est toujours maire de Châteaubriant. Le Conseil procède à la « révision annuelle des registres matricules de la Garde Nationale » en prenant en compte les jeunes gens ayant leur 20e année accomplie et « les individus ayant nouvellement acquis leur domicile dans la commune »
Et voilà encore le Champ de Foire : le Conseil vote une somme de 158,58 francs pour frais d’avoué et d’avocat dans le procès entrepris par la ville. Par ailleurs lecture est faite du projet de transaction à proposer à M. de Boispéan.
Quant à la route de La Meilleraye à Joué sur Erdre, malgré l’avis négatif du Conseil Général, la ville de Châteaubriant « n’a pas perdu l’espoir d’un redressement sérieux, en faisant admettre un tracé mitoyen qui, partant un peu au sud du bassin de Vioreau aboutirait au bas-bourg de Joué en se développant à droite du Moulin de la Mouzinière, par le village de la Gicquellière, le coteau droit du ruisseau de Britz et le coteau gauche de la rivière d’Erdre ».
« Ce redressement, tout en offrant des pentes et rampes fort douces, aurait en outre le mérite d’abréger la distance de 1000 à 1200 m. ». Le Conseil renouvelle son engagement de verser 3000 francs (cf Conseil du 24 novembre 1839)
20 février 1840 : à Paris le ministère Soult démissionne car il a été mis en minorité, la chambre ayant refusé de voter une dotation annuelle pour le fils du roi Louis-Philippe. Thiers est à la tête du gouvernement. Ses amis espèrent qu’il va faire voter, comme il l’a promis, une réforme parlementaire rendant le mandat de Député incompatible avec les fonctions publiques et débarrassant ainsi la Chambre de quelque 150 fonctionnaires. Thiers est moins pressé ...
On creuse la cave
23 février 1840 : à Châteaubriant le maire, Louis Brossays fait connaître au Conseil que le jardin offert par l’hospice conviendrait tout-à-fait pour la maison d’école. Le Conseil l’autorise à faire déjà creuser la cave et même à faire, au besoin, des fouilles plus étendues si le terrain contient des pierres propres à bâtir.
Système décimal obligatoire
Le sieur Buron, adjudicataire du pesage et du mesurage, sollicite une indemnité en raison du préjudice qu’il éprouve, dit-il, depuis le 1er janvier dernier, du fait de l’interruption presque absolue du pesage et du mesurage « depuis que le système décimal est devenu rigoureusement obligatoire dans les lieux publics ». Le Conseil municipal espère que la perturbation ne sera que momentanée et décide de « se borner à des paroles rassurantes données par le maire au réclamant ».
25 février 1840 : le maire a proposé « un plan d’allignement sur la place des Terrasses, parties ouest et sud. Des jallons indicatifs ont été mis sur place pour que les conseillers puissent se rendre compte ». Ceux-ci font de nombreuses objections, disant que l’exécution de ce plan limiterait la place qui, servant de champ de foire, a besoin de la plus grande étendue possible.
M. Guibourg rappelle sa déclaration du 11 février 1838 et demande qu’on se borne à des mesures partielles jusqu’à la refonte complète du plan de la ville. Un conseiller propose un autre projet, qui est adopté, sans que le cahier des délibérations donne davantage de détails.
On reparle alors du projet d’agrandissement de l’église St Nicolas, vers l’Ouest. La dépense envisagée se monte à 17 846 francs. Le Conseil est sollicité pour 4000 francs payables sur 3 ans, pour permettre au Conseil de Fabrique de disposer d’une somme à peu près équivalente « le surplus de la dépense pouvant être soldé tant avec le produit des souscriptions volontaires qu’on espère obtenir, qu’au moyen de fonds de secours sur lesquels on compte de la part du gouvernement »
Les travaux projetés ajouteraient 500 à 600 places à l’église « dont le besoin n’a été que très insensiblement atténué par la réouverture de l’église de Béré ». Deux problèmes se posent cependant : la situation des finances municipales et le plan proposé : « le coup d’œil étrange qu’offrirait le massif du clocher renfermé dans la nef ». Le Conseil adopte néanmoins le plan mais refuse les 4000 francs de subvention qui lui sont demandés.
Haut et bas
2 avril 1840 : Le maire, Louis Brossays propose un article, qu’accepte M. de Boispéan, touchant à la tenue alternative de la Foire de Béré dans le haut et dans le bas du champ de foire. La plupart des conseillers signalent les difficultés et inconvénients de l’installation de la foire dans la partie inférieure du champ mais finalement, après discussion, il est décidé que « sans contracter une obligation rigoureuse, l’administration insérera dans le traité qui se prépare, que la police fera ses efforts pour obtenir, autant que possible, que les bestiaux soient de deux ans en deux ans, dirigés vers le bas du champ de foire, mais que la ville ne sera tenue à aucuns dommages et intérêts à cause de non accomplissement de cette disposition ».
A ce même conseil, il est question de planter des ormeaux dans le cimetière, mais quelques membres jugent cette question « intempestive, attendu que le terrain n’est pas préparé pour les recevoir ».
17 avril 1840 : une maison, dans la Grand’Rue, là où loge l’ancien pharmacien des armées, a été victime d’un ébranlement. Le maire l’a appris par la rumeur publique et par le procès-verbal de l’agent spécial de police.
Disette ?
28 avril 1840 : le maire écrit au commandant de la garde nationale que, depuis le 22 avril, « dans plusieurs localités, la malveillance profite de la cherté des grains pour répandre l’inquiétude parmi la population. Une disette est impossible. L’introduction des grains étrangers est déjà commencée et le commerce avisera à approvisionner les localités où le manque de grains se ferait sentir » [ces grains « étrangers » sont manifestement des grains de régions voisines]. Le maire demande de mettre en place un service d’ordre et de sûreté pour éviter les troubles. « Je pense qu’il y a lieu de ne commander que des hommes dont la prudence est connue et ont fait preuve de patience et de modération, et non de déployer la force ».
1er mai 1840 : pour consoler ses amis déçus, et offrir à l’opinion publique une occasion d’exaltation, Thiers joue sur le souvenir populaire et fervent de Napoléon. L’inauguration de la colonne Vendôme en 1833 et l’achèvement de l’Arc de triomphe en 1836, montrent que ce souvenir est vivace. A l’occasion de sa fête, le roi Louis Philippe annonce qu’il accepte le retour en France des cendres de l’Empereur. L’Angleterre y consent. Thiers est ravi de sa belle invention. (la cérémonie aura lieu aux Invalides le 15 décembre 1840).
2 mai 1840 : la panique alimentaire créée le 22 avril 1840 s’est poursuivie jusqu’au 29 en raison du prix différent des grains d’une semaine à l’autre. « La profession de boulanger est libre à Châteaubriant et par cette raison on ne peut imposer aucune condition à ceux qui l’exercent. Les boulangers sont hors d’état de faire des approvisionnements de quelque durée. Certains s’approvisionnent au jour le jour et sont donc très sensibles au prix des marchés. Sur neuf boulangers, 5 ou 6 pourraient peut-être souscrire des engagements de quelque durée et s’y tenir »
« Depuis le 22 avril, des procès-verbaux ont été rapportés contre les boulangers qui ne cuisaient pas. Deux d’entre eux ont été considérés comme incapables de s’approvisionner »
Les grains sous protection de la Garde
4 mai 1840 : les circonstances n’ayant pas changé et nécessitant quelques mesures de prudence, le maire écrit au Commandant de la Garde Nationale pour qu’il requière, le mercredi 6 mai, dès 9 heures du matin, un détachement de 50 gardes nationaux : 44 chasseurs et 6 pompiers. Le tambour se tiendra à la mairie dès 9 heures du matin, avec un planton pris dans chacune des deux compagnies de chasseurs. Ces hommes devront rester en poste jusqu’à ce qu’on les autorise à se retirer.
10 mai 1840 : le conseil municipal a été régulièrement convoqué pour 2 heures du soir. Les quelques membres présents ont attendu jusqu’à 3 heures et se sont décidés à se retirer
17 mai 1840 : même chose
24 mai 1840 : cette fois il y a le nombre de conseillers nécessaire, et divers points sont abordés.
Le terrain de l’hospice proposé pour la construction de la maison d’école (revoir Conseil Municipal du 26 décembre 1839) est estimé à 1600 francs au lieu de 1200 francs, ce qui n’arrange pas les finances communales. Le Comité d’Instruction primaire de l’arrondissement de Châteaubriant a alloué 900 francs pour aider à la construction de cette école.
Quant au bail consenti à la ville par M. Lefeuvre, pour l’affermage du local où se tient l’école d’enseignement mutuel [toujours au château, près du Donjon], et qui expirera à la Saint-Jean 1841, le Conseil Municipal décide de ne pas le renouveler « à raison de la presque assurance donnée par le maire de la terminaison pour cette époque de l’édifice qu’il est question de construire pour cette destination ».
D’Ancenis à Bain
Le Sous-Préfet a écrit le 6 mai dernier pour dire que plusieurs communes et propriétaires de l’arrondissement d’Ancenis souhaitent la conversion en « ligne de grande communication » du chemin vicinal d’Ancenis à Châteaubriant par Auverné et Riaillé, et offrent, à titre d’encouragement, des sacrifices en argent et en terrain. Le Conseil Municipal de Châteaubriant serait-il d’accord de voter une subvention dans le même but ? La réponse est différée : une commission de quelques membres va y réfléchir.
Le Conseil Municipal apprend par ailleurs par M. Jousselin, député de l’arrondissement, que le projet de rectification de la route de Nantes, entre La Meilleraye et Joué sur Erdre, en passant par la Gicquelière, (revoir au CM du 16 mai 1839 et au 24 novembre 1839), a été rejeté par le Conseil des Ponts et Chaussées. Le Conseil municipal exprime « un vif chagrin ».
Enfin le Conseil Municipal décide de ne plus donner en affermage l’entretien des parapets de la ville, « attendu que presque tous sont maintenant à la charge des Ponts et Chaussées » . [ndlr : le mot prapet vient de l’italien : parapetto : pour protéger la poitrine. C’est un mur à hauteur d’appui destiné à servir de garde-fou].
28 mai 1840 : les comptes de l’année 1839 sont approuvés par le Conseil Municipal qui passe alors aux chapitres additionnels de 1840. Il est porté une somme de 3900 francs pour la construction de la maison d’école.
Dans le cimetière, le maire propose la construction d’un ossuaire
31 mai 1840 : une commission composée de conseillers municipaux est désignée pour s’occuper du projet de planter des arbres verts au cimetière.
Des réverbères vont être placés :
1.- dans le faux-bourg de Couëré
2.- dans le faux-bourg de la Barre
3.- et une lanterne rue Claire Goutte pour laquelle un conseiller offre 15 francs.
Coût total de ces dépenses d’éclairage : 336 francs
Une indemnité de 40 francs est attribuée à l’adjudicataire des poids et mesures, suite à la mise en place rigoureuse du système métrique (demande du 2 avril 1840).
Le Conseil Municipal examine ensuite le projet de budget pour 1841. Le maire, Louis Brossays, propose de changer le nom de l’agent de police en « garde champêtre » pour l’utiliser dans différents cas où son concours peut être réclamé. Accord du Conseil
L’heure étant tardive, le Conseil est levé.
Cantonnier ou journalier ?
9 juin 1840 : le Conseil poursuit l’examen du budget de 1841. Un conseiller demande l’institution d’un cantonnier spécial à traitement fixe (400 francs par an), pour s’occuper des chemins vicinaux. D’autres avec lui estiment qu’un cantonnier qui serait constamment sur les chemins, « serait plus jaloux de bien faire qu’un journalier accidentellement employé. Que ce préposé serait un homme précieux pour mettre, au besoin, à la tête d’un atelier de travailleurs, et qu’en outre il en résulterait vraisemblablement une économie au profit de la caisse municipale »
Mais des contradicteurs font observer que les travaux d’entretien et de réparation ne peuvent se faire toute l’année et que « un ou plusieurs journaliers bien choisis et employés avec l’intelligence convenable aux besoins, donneraient des résultats pour le moins aussi satisfaisants » et que la ville y trouverait un avantage pécuniaire
parce qu’ils ne seraient payés qu’en tant qu’ils seraient occupés (travail précaire !)
Le Conseil décide de ne rien décider et de rester au statu quo (souligné dans le texte), s’en rapportant à la prudence du maire pour l’indication des travaux et pour le choix des bons ouvriers.
Indûment ! Oh !
Des réparations ayant été entreprises à la gendarmerie, le maire dit que celle-ci se plaint de ce que les réparations sont mal faites. M. Connesson met en cause les gendarmes eux-mêmes, reconnaissant que parfois les eaux pluviales pénètrent à l’intérieur du bâtiment, parce que les gendarmes s’obstinent à défoncer et enlever les clôtures établies, entrant indûment dans les greniers, dérangeant ou brisant les ardoises et ôtant, sans les remettre en place, les trappes de sortie des couvreurs ! Eh bien c’est du joli !
Autres dépenses :
9 francs toujours comme indemnité éventuelle au concierge de la prison pour le cas de tapageurs mis au violon.
60 francs de secours à Mlle Marie Meignan « qui rend les plus grands services en tenant une petite école en partie gratuite qui est pour le pays l’équivalent d’une salle d’asile ».
75 francs pour établir les allées dans le cimetière sitôt la coupe des foins.
Par ailleurs il est prévu que les terrassements nécessaires pour adoucir les escarpements et les pentes au cimetière, ainsi que quelques nivellements, seront exécutés « pendant l’hyver à titre d’atelier de charité pour les indigens sans ouvrage ».
Pompes ...
150 francs sont prévus pour placer une pompe au puits de la place de la Pompe, malgré les observations qui ont été faites sur cette pompe qui sera très voisine de celle de la place des Halles.
En revanche, la pompe demandée pour le puits du faux-bourg Saint Michel est rejetée.
Une subvention de 200 francs à titre d’encouragement est versée pour le projet d’ouverture d’un chemin de grande communication d’Ancenis à Châteaubriant par Auverné (suite à la demande du 24 mai 1840).
Le Conseil émet en outre un vœu pour un prompt établissement du chemin de Bain, qui reste à faire dans la partie Loire-Inférieure. Ce chemin « si important pour le commerce de grains et de bestiaux » est souhaité le plus vite possible « en le dirigeant par le Bourg Neuf en Ruffigné » parce que « c’est la ligne la plus courte, la plus droite et la plus convenable. »
M. Buron, adjudicataire des poids et mesures n’est pas content de l’indemnité qui lui a été allouée le 31 mai dernier. Mais, invité à venir à la mairie s’expliquer sur ses prétentions, « il a manqué au rendez-vous ».
Caisse d’épargne
Enfin le maire signale l’intérêt qu’il y aurait à établir une caisse d’épargne à Châteaubriant. Le Gouvernement et le Conseil Général seraient sollicités d’allouer quelques fonds (1000 francs sont demandés). Mais le Conseil désire au préalable connaître le projet de règlement et les statuts.
Deux femmes sur la paille
26 juin 1840 : on apprend que, depuis le 19 juin, deux malheureuses femmes condamnées aux Assises, ont obtenu de revenir à Châteaubriant subir leur peine, charge à elles de fournir à tous leurs besoins, à toutes leurs nécessités. [il n’est pas dit où elles sont détenues]. C’est sur leur travail qu’elles comptent. Elles n’en ont pas pour le moment, et, cette ressource venant à leur manquer, elles peuvent tomber malades. L’une a 15 mois de réclusion à faire, et l’autre 8 mois. « Le temps est long et doit comporter la mauvaise saison. Les ressources du travail diminueront par le froid et la longueur du jour » dit le maire qui poursuit :
« J’ai vu ces femmes, je les ai engagées à se rendre à Fontevraud [ndlr : où il y a un couvent] mais elles ont été inébranlables dans leur refus. Cette maison les épouvante, elles préfèrent la mauvaise fortune »
Le maire interroge le sous-préfet : « Que doit faire l’autorité municipale ? Si ces femmes viennent à manquer de travail, détenues, elles ne peuvent aller implorer la charité publique. Elles sont sans couvertures et le froid va sévir. Comment pourvoiront-elles à un besoin impérieux ? Personne, je pense, ne consentirait à voir endurer tant de misère à ces pauvres journalières qui, dans leurs chétives demeures, couchent sur la paille ou les fougères et s’abritent avec leurs vêtements qu’une longue détention a détruits, et trouvent à peine dans les bois de quoi alimenter leur foyer et cuire leur soupe. »
« Je vous prie, Monsieur le Sous-Préfet, de soumettre ces observations à l’autorité supérieure pour qu’elle trace par avance la marche légale qu’elle doit tenir sans méconnaître les droits de l’humanité. Il me semble que c’est un cas exceptionnel »
[ndlr : ce n’est pas un hasard si Victor Hugo commencera, dès 1845, l’écriture de son livre « Les Misérables », à contre-courant des choix esthétiques du temps qui étaient ceux de « l’impassibilité ». Victor Hugo, lui, exprimera ses partis pris, ses commentaires attentifs ou vengeurs : « tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers (...), tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci ne pourront être inutiles »].
1840 : Victor Hugo : Les rayons et les ombres
Sources :
Archives municipales série 1 D 18 et 2 D 9
Histoire de la France et des Français par A. Castelot et A. Decaux (Editions Robert Laffont)
Le Vieux Châteaubriant par l’image par Yves Cosson