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Un noël à la campagne en 1910



La neige est tombée depuis plusieurs jours. Le bourg, les champs, les bois, tout, jusqu’à l’horizon est emmitouflé d’un blanc étincelant. La mare est gelée. La rivière charrie des glaçons. C’est joli, mais c’est froid.

La ferme de la Garibotière semble endormie. Tout est au ralenti, tout est calme.

Les bêtes ont eu leur ration de foin dans l’étable et ruminent, couchées sur le flanc dans une litière propre. Le vieux cheval mange son picotin. Il tape du sabot et hennit de temps en temps. Il n’aime pas rester inactif. Les branches du grand sapin à l’entrée de la cour ploient sous le poids de la poudre blanche. Le ciel est bas et gris. Seules quelques corneilles cherchent leur pitance sur la terre durcie.

Pierre et Victor, les deux gars de la maison, ont fait un bonhomme de neige avec deux boules noires pour les yeux, une carotte pour le nez et une vieille pipe au grand-père dans la bouche.

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Le soir tombe. Ils sont rentrés dans la grande salle basse où la cheminée flambe. Le grand-père s’occupe en remettant du bois dans l’âtre qui crépite. La grandmère épluche les légumes pour la soupe et la mère prépare les vêtements pour aller à la messe – car ce soir, c’est Noël et personne n’y manquera – sauf les Anciens, le temps est trop dur pour eux. Le dernier à rentrer c’est le père. Il est encore auprès des bêtes, à fermer les portes et vérifier que tout est en ordre.

Lorsque les cloches sonnent, dans la nuit, alors comme par magie, des centaines de lanternes, comme des lucioles, sortent, bougent et s’agitent, venant des chemins creux des fermes, allant vers la route, allant vers l’église. On ne se voit pas, mais on se reconnaît aux voix, on s’interpelle, on se rejoint.

Tous les voisins des hameaux des environs sont là. Les femmes avec leurs coiffes et leurs longues mantes. Les hommes en gros pantalons de velours et les enfants avec leurs capuchons de gros drap, les pieds au chaud avec des chaussettes de laine que la grand-mère a tricotées et de la paille dans les sabots.

La porte du parvis est ouverte, la nef est tout éclairée avec de gros cierges, l’orgue résonne déjà.

En rentrant, on se sépare. Les hommes d’un côté, chapeaux et casquettes retirés. Les femmes et les enfants de l’autre côté, à genoux sur des prie-Dieu, chapelets en mains.

Monsieur le curé arrive, vêtu de sa chasuble de cérémonie, tout le monde se met debout. Et commencent les chants de Noël : Gloria, Ave Maria, Il est né le divin enfant, Veni Creator, suivis de la communion.

Lorsque le prêtre monte en chaire, le silence est complet et comme à tous les Noëls, il parle de la nativité – du mystère – des Rois Mages qui sont venus de si loin, guidés par une étoile, pour apporter de l’or à Marie, de l’encens pour embaumer la grotte et de la myrrhe pour la santé de Jésus.

Après le « Allez en paix » les hommes sortent les premiers. Les femmes et les enfants vont voir la crèche. C’est toujours la même. La vierge à genoux près de son bébé, couché sur de la paille et qui tend ses bras et Joseph, debout devant l’âne, le bœuf et les moutons. Mais il ne faut pas oublier l’enfant de chœur en bois, près de la grille qui tend sa sébile et dit merci en inclinant la tête quand on met un sou dedans.

Sur le retour, il fait nuit noire. Heureusement qu’on a pris deux lanternes. La route est brillante et glissante. On marche à petits pas. On se cramponne. Sur les côtés, les buissons semblent de verre et les arbres dénudés pleurent des stalactites que le verglas a accrochées aux branches.

Mais on arrive enfin. Victor et Pierre sont allés voir directement dans les vieux sabots qu’ils avaient mis dans l’âtre. Bien sûr, ils ont un sucre d’orge. Ils sont grands et savent à quoi s’en tenir. Grand-père a eu un paquet de tabac et grand-mère une boîte de pastilles.

On n’est pas riches à la Garibotière. Ce n’est qu’une petite ferme, comme tant d’autres, au milieu du bocage breton, où l’on vit surtout de ce que l’on produit.

La soupe est dans les écuelles, bien chaude. Le père dit le bénédicité. Après on aura des châtaignes et des pommes cuites – et comme il se fait tard on dira une dernière prière avant d’aller se coucher dans le grand lit de plumes avec des rideaux. Celui de grand-père et grand-mère est dans le coin près de la cheminée – celui des enfants au bout de celui des parents qui se trouve au fond de la pièce.

La grosse bûche que le père vient de mettre sur la braise, va se consumer toute la nuit.

Le père est le dernier à aller au lit, après avoir verrouillé la porte et soufflé la lampe à pétrole. Peu à peu le sommeil gagne toute la famille. La fée Morphée est passée par là. Même Pataud le chien a eu le droit de coucher dans la maison. Il est affalé, sous la table, sur la terre battue, le museau entre les pattes.

La nuit a enveloppé la ferme de la Garibotière. La neige s’est remise à tomber silencieusement.

Demain sera un autre jour.

Andrée Gaborit



Le Noël de la femme qui va avoir un petiot