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Le Père tout vert



 

 Un conte d’Andrée Gaborit

C’était dans les années 1940 -1942.

Dans la ville où j’habitais à cette époque, il y avait un drôle de bonhomme ; la cinquantaine à peu près ; négligé, ébouriffé, pas rasé, habillé dans des vêtements rapiécés, trop grands pour lui. Il vivait seul, dans une cabane dont on se demandait comment elle tenait debout, sur une friche abandonnée aux dernières limites du port, puisque nous étions sur la côte.

Il n’était pas marchand des quatre saisons... quoique ! C’était surtout un marginal.

Il parcourait tous les jours avec son panier au bras les rues de la ville et chantait à tue-tête « tout vert, tout vert, été comme hiver ; fleurissez-vous, mesdames ! » Et à chaque saison il présentait des produits de la nature.

Au printemps c’était du muguet, des jonquilles, du lilas ; en été c’était plutôt des coquillages, des moules, des bigorneaux, des berniques et même des escargots que les restaurateurs lui commandaient ; en automne c’était des champignons, des châtaignes, des noix ou des noisettes et l’hiver, c’était des branches de gui, de houx ou simplement de sapin.

Il avait parfois des clientes, qui pour quelques sous lui achetaient sa marchandise, par pitié sans doute mais il ne mendiait pas.

Les gosses dans la rue, le suivaient et reprenaient avec lui, par jeu « Tout vert, tout vert, été comme hiver » si bien que ne sachant pas son nom, on avait fini par l’appeler : le père « tout vert ».

Dessin de Eliby 06 23 789 305

Dans les moments de Noël, cette année là, la directrice de mon école eut une idée géniale Il fallait bien marquer les fêtes de fin d’année. Mais que faire ? Elle alla demander au père « tout vert » de se déguiser en « père Noël » et qui fut dit, fut fait.

Quelques jours avant les vacances de Noël, les gamins qui jouaient dans la cour de l’école virent arriver un bonhomme en robe et capuche rouge. Il s’arrêtèrent, intrigués, ébahis. Ils ne l’avaient pas reconnu. Dame ! avec sa barbe blanche et ses lunettes...

Un petit malin le regarda de plus près et le reconnut. Ce fut un grand éclat de rire général. Ils firent une ronde autour de lui et toutes les chansons de Noël y passèrent : petit papa Noël, mon beau sapin, vive le vent d’hiver... et d’autres encore. Il leur distribuait des bonbons qui avaient été mis dans son panier. Il chantait et riait avec les enfants. La directrice fit des groupes et prit des photos. Il était magnifique avec tous ces gosses autour de lui. Assis sur le perron il semblait tellement heureux.

Après ils eurent droit à une collation avec du chocolat et une part de brioche. Au moins ce jour-là il a bien mangé. Quand il reprit la route pour rentrer chez lui, il chantonnait encore « petit papa Noël » et faisait danser son panier au bout de son bras.
Quelques semaines passèrent...

Un dimanche matin, le père « tout vert » se trouvait sur le parvis de l’église, attendant d’éventuelles clientes, à la sortie de la messe, lorsque d’une grosse auto noire qui s’était arrêtée au bord du trottoir sortirent deux hommes habillés de manteaux de cuir noir, bottes noires et chapeaux rabattus sur les yeux. Ils prirent chacun par un bras le père « tout vert » et l’entraînèrent dans l’auto. Il ne résista pas. Son panier tomba et resta sur le parvis.

Nul n’a jamais revu, ni entendu parler du père « tout vert ».

Une rumeur a circulé en ville disant qu’il servait de boîte aux lettres aux Résistants. Que ses clientes étaient des mères, des filles, des femmes de ceux qui se cachaient et luttaient pour la liberté. Mais à vrai dire, personne n’a jamais vu la boîte aux lettres dans le panier du père « tout vert ».

Comme les lutins, les elfes, les fées, les marchands de bonheur, le père « tout vert », père Noël d’un jour, a disparu avec les énigmes brumeuses de la guerre.

Mais une chose est sûre, c’est qu’il a bel et bien existé et reste dans ma mémoire parmi mes souvenirs d’enfance.

Peut être qu’au paradis des patriotes le père « tout vert » rejoue au père Noël, cela lui allait si bien.

Andrée Gaborit