Un conte de Jacqueline Régis
Dring ! dring ! qui sonne à la porte ? Caroline (10 ans) se précipite et découvre sa grande cousine, Karine, accompagnée d’un chiot. Quelle joie et quelle surprise ! Caroline se penche immédiatement pour caresser l’animal. « Comment s’appelle-t-il ? s’enquière-t-elle, pourquoi tu lui as mis un manteau ? Il a froid ? ». Karine sourit : « Tu pourrais me dire bonjour quand même ! Il s’appelle Vodka ! Regarde ce qui est écrit sur son manteau ! ». Caroline déchiffre alors sur le joli petit manteau bleu : « futur chien guide d’aveugle ».
Entre-temps, alertés par le remue-ménage, Joséphine, la maman de Caroline, et les deux petits frères, Gabriel (8 ans) et Adrien (3 ans), sont accourus. Karine explique alors que Vodka ne doit jamais rester seul. « Tata Joséphine, est-ce que tu pourrais le garder ce soir ? j’ai un rendez-vous ». Karine n’ose pas avouer que son fiancé l’attend, mais tout le monde a compris. « D’accord, dit Joséphine, mais demain tu le reprends ». Adrien et Gabriel sautent et crient de joie.
Ding ! Dong ! Ding ! Dong ! Au loin retentissent les cloches de l’église. « Vite, vite, s’écrie Joséphine, vos manteaux ! vos chaussures ! ». Mais elle s’interrompt soudain : qui va garder le chien ? « Il faut l’emmener, affirme Caroline, tu as entendu maman, Karine l’emmène partout, même dans le métro, même dans les magasins, même à l’université ». Alors, Joséphine, magnanime, se met en route avec ses enfants et ... le chiot ... De toutes façons, dans son petit village, le samedi soir, peu de paroissiens participent à la messe : cinq ou six personnes tout au plus. Joséphine les connaît toutes. Elle leur expliquera la situation.
Après une course accompagnée de petits jappements, toute la famille parvient au porche de l’église. Stupéfaction ! et catastrophe !! L’église est pleine !!! Quelle galère ! Que faire ? Joséphine propose à Caroline de s’installer sagement tout au fond de l’église avec Vodka à ses pieds. Bien sûr, Gabriel réclame l’autorisation de demeurer avec sa grande sœur et le chiot. Joséphine et Adrien, quant à eux, se glissent dans la nef et essaient de passer inaperçus, malgré leurs cirés jaunes.
Chacun chante de tout son cœur ; c’est bientôt Noël. Adrien, comme à son habitude, ne reste pas en place et gambade dans l’église. Soudain, il se rapproche et tire le manteau de sa maman : « M’man, M’man, viens vite, viens vite » ; Joséphine ne bronche pas. Un moment plus tard, c’est Gabriel qui accourt. « M’man, y’a un problème ». Mais Joséphine demeure imperturbable et le supplie de garder le silence.
Vient le moment de la communion. Tout le monde s’apprête à se déplacer vers l’autel. Que se passe-t-il ? pourquoi une telle agitation au fond de l’église ? Caroline surgit et se jette sur sa maman. « Maman, Vodka a fait caca dans l’église ». Aïe ! aïe ! aïe ! Joséphine choisit de ne pas bouger et espère que le chiot s’est soulagé dans un tout petit petit coin .... à l’abri des regards ! Elle chuchote à sa fille : « Ne t’inquiète pas, je nettoierai plus tard ». Caroline, obéissante et résignée, rejoint Gabriel et le chiot.
La messe se termine. Des gens s’écartent de l’allée centrale. Vodka a déposé ses crottes au centre de l’allée. Quelle honte ! Vite, Joséphine se précipite à la sacristie, s’excuse auprès du prêtre, s’engage à réparer les dégâts. Puis, délicatement, avec un mouchoir en papier, elle ramasse les crottes. Malheureusement, des pas ont maculé le carrelage. En plus, un paroissien a voulu chasser le chien. Caroline a dû affronter toute seule la situation et le monsieur s’est mis en colère.
Sur le chemin du retour, la maman essaie de consoler sa petite fille et, en même temps, ne cesse de ruminer sa colère - contre elle-même - et sa honte.
Le lendemain, courageusement, Joséphine remplit des bouteilles d’eau, saisit des serpillières, un balai-brosse, son aspirateur, des chiffons, et descend jusqu’à l’église. Toute la journée, elle nettoie ... nettoie ... nettoie ... Elle en profite pour astiquer les moindres recoins ; tout y passe : le sol bien sûr, mais aussi les statues, l’autel, les bancs, les vitraux, du moins ceux qu’elle peut atteindre. Cela fait belle lurette que l’église n’a été autant astiquée !
Une semaine plus tard, Joséphine se sent toujours coupable. Osera-t-elle retourner à l’église ? Une amie consultée lui suggère d’accrocher un petit mot à la porte. Ce qui est fait. A leur arrivée, les paroissiens découvrent le message suivant : « Je m’appelle Vodka. Je suis venu à la messe samedi dernier en oubliant mon joli manteau bleu. Je suis un futur guide d’aveugle. J’ai déposé mes crottes dans l’allée, saisi d’émotion devant la beauté de votre célébration. Pardonnez-moi. C’était la première fois que je rentrais dans une église ».
Surpris, intrigués, voire scandalisés, à la fin de la messe, les chrétiens cherchent la dame au ciré jaune. Mais de ciré jaune, point. Joséphine n’a pas osé le remettre. Heureusement, Adrien gambade toujours autant, alors repérer la famille ne présente aucune difficulté. Chacun se renseigne.
Et qu’arrive-t-il d’après vous ? Quelques semaines plus tard, le village - et l’église ! - sont envahis de petits chiens au manteau bleu. Près de l’Enfant de la crèche dort l’un d’entre eux. Mais oui ! L’école des chiens guides d’aveugle recherchait désespérément des familles d’accueil. A l’occasion de Noël, tous les chrétiens disponibles ont accepté ce service. Tout est bien qui finit bien. Ouaf Ouaf !
Jacqueline Régis
(Ndlr : hormis le dernier paragraphe, l’histoire est ... vraie !)