Hubert Chatelain, de Rougé, est né en 1931. Son père était charbonnier en bordure de forêt à Teillay, sa mère louait une petite ferme à proximité.
La forêt est ma Côte d’Azur
« Jusqu’à 20 ans, j’ai habité dans une hutte de bois. Forêt de Teillay, forêt de Javardan … mon père achetait une coupe de bois non abattu de 30 hectares environ et embauchait des bûcherons et, six mois après leur passage, nous faisions du charbon de bois. Quand je n’étais pas avec mon père, j’étais avec le garde-forestier : ils m’ont tout appris sur les arbres. La forêt est ma côte d’Azur ! ».
En juin 1944, Hubert Châtelain aurait dû passer le certificat d’études mais les combats du débarquement et de la libération ont conduit à l’annulation de l’épreuve. Le jeune homme n’a pas voulu faire une année de plus pour décrocher ce diplôme. « Alors, au boulot ! » a dit son père.
Pendant la guerre, on manquait de bûcherons. « Nous avions heureusement le renfort des jeunes fuyant le STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne). Les Allemands le savaient et venaient régulièrement nous voir mais nous étions prévenus par la gendarmerie de Rougé. Un jour, nous avons eu chaud : un side-car allemand s’est arrêté auprès de nous en lisière de forêt. Il cherchait sa route et nous l’avons gentiment renseigné, il ne nous a pas inquiétés ! ». « Pour aimer ce métier de charbonnier, il faut être né dedans. Après la guerre, tous les réfractaires du STO ont quitté le métier, ils ont préféré travailler en usine » regrette-t-il. La fabrication traditionnelle du charbon de bois a continué jusque vers 1950-51, et a cessé parce que les charbonniers ne pouvaient en vivre. Le dernier charbonnier, René Breton de Ruffigné, s’arrêta vers 1960, « j’ai un frère qui a continué en Mayenne jusqu’en 1970 ». Maintenant la fabrication est industrialisée, à partir de déchets de scierie ou de bois de palette. Il n’a plus la même qualité.
Une hutte (maquette) -
« Charbonnier, c’était dur, il n’y avait ni dimanches, ni sorties, sauf une fois par quinzaine, mais j’aimais ce travail » dit Hubert Chatelain. « Cela se faisait dans la période allant de fin septembre à juin. Nous partions pour une quinzaine de jours. Le premier travail consistait à construire la hutte, avec des bois de 2,50 mètres que nous prenions sur la coupe. On préparait des lits avec un sommier de petites branches souples, et une paillasse et des couvertures. Pas de draps ! Nous couchions tout habillés car, en temps de fouée, il nous faut nous lever toutes les deux heures ». Les malles qui contenaient les vêtements servaient de tables ou de bancs. « Mon père avait un cheval, sinon il fallait faire appel à un roulier pour les transporter ». Sur place, les gars faisaient leur cuisine, ils apportaient les pommes de terre et les poireaux de la ferme, la mère avait tué le cochon et fournissait le lard salé ou fumé, les saucisses et la viande conservée dans la graisse. Le braconnage, pourtant interdit, variait les menus ! Le plus compliqué était de se procurer de l’eau. « En forêt d’Araize, cela demandait parfois un ou deux kilomètres pour trouver une fontaine ». Le garde-chasse apportait le pain et le courrier. Dans la hutte, couverte de terre, il faisait frais l’été et chaud l’hiver. « On n’y attrapait jamais de mal. C’est lors des périodes à la maison qu’on attrapait des rhumes ! »
Pas question de pouvoir se laver comme maintenant. « Mais quand on rentrait à la maison, maman préparait une grande quantité d’eau chaude dans la bassine qui servait à ébouillanter le cochon. Et frotte, je te frotte … La même eau servait à chacun de nous ».
Sur une quinzaine de jours, les charbonniers pouvaient mener trois fouées de 24 à 30 mètres-cubes chacune. « J’allais à l’école à partir de la hutte. Le maître disait que je sentais le feu. Bien sûr, je n’avais pas le temps de faire mes devoirs et leçons dans la hutte et, si j’étais interrogé le premier, c’était la catastrophe. Mais si j’avais pu écouter les autres avant que ce soit mon tour, ça allait bien ».
Ah, si on avait pu l’interroger sur le chevreuil et sur les arbres, il aurait toujours été premier...
Les bûcherons coupaient le bois l’hiver et, l’été, ils pelaient les arbres pour obtenir « le pelard » qu’utilisaient les tanneries. Les charbonniers produisaient entre septembre et juin et, l’été, s’employaient pour le foin ou les moissons dans les fermes.
Le charbon de bois servait à faire fondre le minerai (par exemple dans les forges de Moisdon et de la Hunaudière). Il était très utilisé par les paludiers, les minotiers, les forgerons de village, les tailleurs pour leurs fers à repasser. Pendant la guerre, il servait pour les gazogènes qui équipaient les voitures des garagistes, des médecins, des transports Drouin, des marchands de bestiaux, et de Madame la Comtesse du Boispéan. Drouin envoyait un salarié en forêt pour la journée, il apportait son casse-croûte et une bonne bouteille ! Le charbon était transporté en sacs de jute et expédié par wagons à Rougé ou Teillay vers Nantes. Dans un sac de jute on pouvait mettre 100 kg de blé mais 30 kg de charbon de bois (soit environ 150 litres)
A partir de 20 ans, Hubert Châtelain a été employé aux ateliers de la commune de Rougé. Il était pompier, aussi. Après sa mise en retraite, il a acheté un petit bois et s’est remis à faire du charbon puis, à la demande de son voisin, Henri Baron (alors maire de Fercé), il a accepté de faire des démonstrations aux enfants des écoles et de former quelques copains qui, chaque année, font une « fouée ».
Préparation du roul
Photo : Michel Guérif, Hubert Châtelain, Joseph Renaud devant « le roul » prêt. Il manque Gérard Charon
Pour faire du charbon de bois, il faut quatre choses : du bon bois, un terrain adapté, une bonne météo et un « coup de main ».
On ne fait pas charbon de tout bois. « Le meilleur, ce sont les bois durs, chêne, hêtre, acacia, houx, érable. Le châtaignier, le bouleau et le tremble sont moins bons » dit Hubert Chatelain qui se souvient de ses grands-parents : « ils me parlaient du charbon de bois fait avec la bourdaine ». Ah, la bourdaine ! Les jeunes pousses sont très appréciées des chevreuils. Mais lorsqu’ils en font une trop grande consommation, la fermentation dans la panse libère des alcaloïdes ayant des effets euphorisants et désinhibants. De ce fait on peut croiser des chevreuils, apparemment ivres...
Le charbon de bois obtenu avec la bourdaine (arbuste qu’on appelle aussi « le bois à poudre ») permettait vers 1860 de fabriquer de la poudre noire à faible vitesse de déflagration, utilisée dans les carrières de pierres pour fournir de gros blocs non fracturés. C’est ce charbon qui permit d’extraire pour Charles Garnier, dans les mines de fluorine de Voltennes, les gros blocs nécessaires à la fabrication des 189 colonnettes (de 55 cm de hauteur d’un seul tenant) qui décorent les balcons de la nef du Grand Escalier du Palais Garnier, l’opéra national de Paris.
Le terrain ? En forêt, dans une clairière dégagée, le terrain se prête bien. Hors de la forêt, il faut bien choisir l’emplacement, surélever un peu la plateforme (pour que ni l’eau ni le gaz ne s’y accumulent), niveler, éviter les appels d’air que pourrait provoquer, en dessous, une galerie de taupe. La première année on perd 10 % de cuisson. Au fil des années, le terrain est bien « cuit », bien adapté, sans cailloux, sans graviers.
La météo joue un rôle : il vaut mieux qu’il n’y ait pas de grosse pluie, ou de tempête, pas de brouillard non plus. Mais une petite pluie fine n’est pas gênante pour la fouée : l’oxygène est plus pur ! Autour de la fouée, du côté des vents dominants, on installe des brise-vent.
Et la surveillance, elle est constante : « nous nous relayons toutes les deux heures, même la nuit » dit Hubert Chatelain.
« Nous sommes une petite équipe d’amis, des mordus de fouée, comme moi, certains en sont à leur septième ou huitième fouée » dit Hubert Chatelain. « Le bois est coupé entre le 1er novembre au 31 mars, avant la montée de la sève. C’est la règle, je la respecte ».
La cheminée
Premier travail, construire la cheminée en croisant les bois. Puis disposer le bois tout autour, en forme de meule, pour qu’il sèche. Ici la meule est tronconique, un mètre de hauteur environ. On l’appelle « un roul ». Ensuite on « motte » le tas, c’est-à-dire qu’on l’habille d’une pelisse de mottes de terre, de la grandeur d’une galette (en forêt on utilisait des feuilles) et on recouvre le tout de terre fine, bien tamisée. Et on attend six mois.
Quand le temps est venu, on allume par la cheminée, en plaçant de la braise. On en remplit la cheminée au fur et à mesure, jusqu’à ce qu’elle craque (cela demande une heure et demie à deux heures), il faut bien 30 kg de charbon de bois pour cela. Le feu est monté ainsi jusqu’au sommet du roul. Puis on ferme la cheminée avec une motte de terre et on fait des évents tout autour, avec un pique-feu, en commençant par le sommet, pour que, petit à petit, le feu descende.
Le bois brûle sans flamme, étouffé. Une fumée blanche s’échappe des évents. Quand la fumée devient bleutée, on sait que le charbon est fait. Tout l’art consiste à fournir suffisamment d’oxygène pour favoriser la carbonisation, mais pas trop : il ne doit pas y avoir de flamme. C’est pourquoi il faut une surveillance constante. Et si une flamme apparaît, il faut l’éteindre avec de la terre fine pour qu’il n’y ait pas de prise d’air.
Trois jours. Le bois est carbonisé mais brûlant. On recouvre la fouếe de terre fine et on attend encore quatre jours sans s’éloigner au cas où une flamme se déclarerait.
Au bout de cette attente, l’équipe s’active. Les uns prennent des rouables pour amener la terre au sol, sur une demi-fouée d’abord. Puis, avec un "pousse-dehors », un homme attaque le tas à la base, pour tirer le charbon que d’autres disposent en cercle tout autour en utilisant une herque.
Là encore il faut une surveillance car, au coeur du morceau de charbon, surtout si c’est du châtaignier ou du tremble, il peut rester une étincelle. Un homme à proximité, avec un pulvérisateur, stoppe toute velléité de reprise : il y met si peu d’eau que le charbon n’en est pas détérioré.
Le charbon est alors étalé tout autour du roul disparu. Les spécialistes ont l’oeil pour éliminer le « fumeron » c’est à dire les parties de bois qui ne sont pas totalement carbonisées. Il faut attendre encore car le charbon reste très chaud. Et puis on met en sacs, 800 à 900 kg quelquefois. Et à l’année prochaine !
« La fouée, c’est mon plaisir, quarante ans plus tard j’ai retrouvé les gestes de ma jeunesse et je fais du bon charbon » dit Hubert Chatelain. Et cette fouée annuelle est une aventure humaine très chaleureuse que nous avons eu la chance de partager. Merci à tous.