Ecrit le 16 octobre 2013
En marge du 150e anniversaire de l’Harmonie Municipale de Châteaubriant.
S’il est intéressant et indispensable, quand cela est possible, d’égrener un certain nombre de dates historiques, marquant les principaux événements de la vie d’une société ou association comme l’harmonie municipale, la vie et le fonctionnement en interne de ceux et celles qui y ont en partie consacré leur vie n’en est pas moins riche d’enseignements à divers titres. C’est un peu comme une « histoire de France » où on nous apprend et enseigne les dates qui ponctuent cette histoire, mais que sait-on de la vie du peuple à chacune de ces dates, hormis les historiens de métier, rien !
Un historien de renom se serait penché sur la vie de l’Harmonie de Châteaubriant sans en tirer grand chose, faute d’éléments, et pour cause : les paroles s’envolent, seuls les écrits restent !
Photo : L’Harmonie municipale avec la chorale
Cette vieille dame castelbriantaise aurait succédé à une musique ou fanfare des Pompiers, rien d’étonnant à cela, cet état de fait était courant, d’ailleurs la tradition est la même chez nos voisins allemands. A Radevormwald la musique est celle des Pompiers. Une tradition à Châteaubriant a perduré pendant de nombreuses années : le repas des musiciens fêtant la Sainte Cécile se déroulait, en commun, avec nos amis pompiers qui, eux, fêtaient la Sainte Barbe.
C’est en 1952, fortement motivé pour apprendre la musique, mes parents n’ayant pas les moyens de me payer des cours de solfège, que je m’inscris à ceux dispensés par l’Harmonie municipale, cours entièrement gratuits et mettant à disposition un instrument pour celui qui souhaite intégrer l’ensemble musical. A cette époque des années d’après-guerre, je me presse comme beaucoup de Castelbriantais sur les trottoirs bordant la Rue Aristide Briand pour voir défiler cet ensemble musical qui participe à chaque cérémonie officielle.
Il n’y avait à cette époque pas encore d’école de musique, mais le panel d’instrumentistes d’alors nous ferait pâlir d’envie aujourd’hui. Il est vrai que cet ensemble représentait, pour des musiciens, la seule possibilité de pratiquer la musique d’ensemble.
Outre les défilés officiels, un concert était donné au kiosque du jardin public l’été, tandis qu’un concert d’hiver était donné sur la scène de la salle des fêtes au-dessus de la mairie actuelle.
J’ai le souvenir assez précis de beaucoup de noms de musiciens de cette période et à l’énoncé de ceux-ci il est intéressant de constater que ces musiciens, pour beaucoup d’entre-eux, sont issus du milieu artisan-commerçant ce qui a bien changé depuis. En effet on y voit MM. Noury père et fils (marchands de chaussures rue du château), M. Hervochon (poissonnier Grand Rue), M. Taupin (tailleur), M. Bigot (artisan-menuisier), M. Bouchard (sous-chef de musique, commerçant rue Aristide Briant), M. Marcel Gledel (artisan tourneur sur bois), M. Ruland (marchand de chaussures), M. Dion (artisan-menuisier), M. Briand (artisan-couvreur), M. Saint-Antonin (peintre), M. Gaston Nauleau (agent d’assurance), M. Jean Chrétien (Comptoir Electrique), M. Joseph Palussière (typographe), M. Marcel Legloire (ouvrier d’usine). J’en oublie bien sûr, hélas.
Le chef de musique vient de Nantes, c’est un clarinettiste, M. Deslandes. Les répétitions se font dans la salle des mariages à la mairie, deux fois la semaine, le mardi et le vendredi. L’hiver, un bon feu de cheminée y est allumé pour chauffer les participants.
Ma première leçon de solfège, j’ai 15 ans, m’est donc donnée par M. Bouchard, sous-chef. Ma seconde, huit jours plus tard, par M. Michel Bassereau, recruté par la municipalité de M. Paul Huard pour diriger l’Harmonie et former de jeunes musiciens.
M. Bassereau est titulaire d’un premier prix du Conservatoire Supérieur de Paris et il est depuis quelques années trompettiste solo au Théâtre du Châtelet à Paris, il a choisi Châteaubriant pour quitter la vie parisienne et la pénibilité du travail de nuit. On peut dire que M. Huard a fait une bonne pioche.
En ce qui me concerne, je fais l’apprentissage de la trompette d’harmonie, les leçons se font individuellement au domicile de Michel Bassereau qui se révèle être un homme affable, cordial, d’abord qui inspire tout de suite la sympathie, c’est un Tourangeau. Très vite je lui voue une admiration totale, je me rendrai compte plus tard que je lui dois tout en musique. Après une année de trompette, j’opte pour le saxophone.
Mais revenons à notre Harmonie municipale, qui n’a de « municipale » que le nom, elle est une association régie par la loi 1901.
A cette époque, il y a beaucoup plus de musiciens d’harmonie que de musiciens de batterie-fanfare, sur un effectif d’une bonne quarantaine, nous avons 2 à 3 clairons, un tambour-caisse claire et un musicien qui tient la grosse caisse et les cymbales.
L’effectif vieillissant, Michel Bassereau n’aura de cesse que d’augmenter considérablement le nombre de musiciens par des renforts venus de l’extérieur. Le premier à tisser des liens encore très forts, puisqu’ils aboutiront à la fusion des deux sociétés Pouancé-Châteaubriant, est Alexis Noury, notre marchand de chaussures cité plus haut. Son saxo ténor sous le bras, il se rend à Pouancé une fois par semaine, prend la micheline de début de soirée pour revenir vers 11 h du soir par celle de Sablé. Des musiciens de Martigné-Ferchaud arrivent en renfort, M. Guy Martin (buggle, qui deviendra maire de Martigné), les Delcourt père et fils (excellents clarinettistes), M. Gourand (saxophone baryton), M. Maurice Foucault (trompettiste). D’autres musiciens viennent de Vitré, Fougères, Laval.
Après quelques années, le maire, M. Xavier Hunault, confie à Michel Bassereau le soin de monter et diriger une école de musique dans les locaux de l’ancien établissement scolaire Aristide Briand. Des professeurs sont embauchés, ils viennent renforcer les effectifs de l’Harmonie. On apprendra plus tard qu’ils sont rémunérés tant pour les répétitions que pour les concerts, tandis que certains renforts perçoivent des enveloppes.
M. X.Hunault ne lésine pas, des costumes sont taillés pour chaque musicien, elle a de la gueule notre Harmonie quand elle défile, les concerts sont grandioses, des oeuvres classiques incontournables sont interprétées : ouverture de Carmen et de l’Arlésienne de Bizet, les Danses Hongroises de Brahms, ouverture d’Egmont de Beethoven, etc
Michel Bassereau, fin pédagogue, nous explique à chaque thème ce que l’auteur a voulu exprimer par sa musique. J’en apprends des choses !
Venus des communes environnantes où subsistent encore des fanfares, des jeunes travaillant sur Châteaubriant se joignent à l’Harmonie, tant clairon, tant trompettes de cavalerie, René Clément forme les tambours. On y verra bientôt le tout jeune Pierrick Torchaussé, futur professeur de percussion, défiler en tête devant l’Harmonie.
La batterie-fanfare mais pas La Marseillaise
C’est alors que Michel Bassereau crée une batterie-fanfare, il en confie la direction et la formation à Jean Paitier, qui y usera une partie de sa santé : tous les dimanches matin, il ira faire travailler les musiciens d’Erbray ainsi que ceux de St Vincent des Landes. Une des raisons aussi de cette création de batterie-fanfare, moins avouable celle-ci, était de dispenser les musiciens de l’harmonie de la « corvée » (pour certains et notamment des professeurs de l’école de musique) des défilés de dimanche après-midi.
Photo : à droite, Pierre Colin
L’arrivée comme chef de musique de Stéphane Sordet (ancien élève de saxophone de Michel Ferreaux et venant comme lui du Jura) qui restera 10 ans, marquera durablement les esprits, sa capacité, son énergie, sa pédagogie et son talent font remonter le niveau de la formation, à une époque où on ne peut plus se payer de renforts. Un répertoire moderne, difficile, est mis au point, son ascendant sur les professeurs de l’école fait que ceux-ci nous envoient de jeunes instrumentistes dès que leur niveau le permet. La direction de l’école de musique lui fut d’ailleurs proposée.
Photo : Guy Alliot et sa fille Marie-Claire et Jean Paitier
Jean Paitier est toujours président. Malheureusement sa santé se dégrade rapidement. Alors qu’un congrès de la fédération musicale des Pays de Loire est prévu à Châteaubriant, il doit cesser son mandat. Comme premier vice-président, je prends le relais et j’assume l’organisation du congrès.
A l’assemblée générale qui suivra quelques mois plus tard, je suis élu président. Je demande alors à Jean Paitier de me faire l’inventaire complet des instruments de l’Harmonie comme ceux de la Batterie-fanfare. Il apparaît hélas que certains instruments ont disparu, que d’autres « prêtés » n’ont jamais été rendus ! Jean s’occupe encore de l’Harmonie et de la Batterie-Fanfare, luttant constamment pour maintenir l’unité de celle-ci, qui lui tient à coeur. Parallèlement les problèmes de recrutement de musiciens, de chef d’Harmonie, qui se succèdent à un rythme effréné, les relations avec l’école de musique qui se dégradent, sont autant de facteurs qui le minent. Il décède en 2007. Il aura bien mérité de cette Harmonie.
En 2003, alors qu’avec la directrice de l’école de musique, Mme Bessières, les relations tournent à l’affrontement, le soir d’un concert que nous devons présenter en commun, je dois, pour des problèmes familiaux très graves, quitter la présidence à mon tour et Joël Hervouët, clarinettiste, me succède. Quelques temps plus tard, de nouveaux locaux sont créés pour l’école de musique, devenue intercommunale, prenant l’appellation de Conservatoire. L’Harmonie, n’ayant plus de salle de répétition, il est prévu d’utiliser une salle du Conservatoire. De relations tendues comme toujours entre les deux entités, la situation évolue vers une guerre totale. Le directeur du Conservatoire met carrément l’Harmonie dehors. Heureusement c’est lui qui prend la porte. Le maire, A.Hunault soutient l’Harmonie.
Jean Marc Szymzak, issu de la musique de la Garde Républicaine, excellent musicien, reprend courageusement la direction musicale du dernier carré de musiciens restants. De nouveaux éléments viennent renforcer l’ensemble, l’amitié avec Pouancé est scellée dans le marbre, les communes de Moisdon, Soudan, Lusanger, Thourie sont aussi représentées.
Bon vent pour le 200e anniversaire
Si j’avais un message en conclusion de ces 50-60 dernières années de vie au sein de notre Harmonie, c’est aux administrateurs que je l’adresserais : que chacun à sa place prenne part à la vie démocratique de la société, que chacun assume ses responsabilités en épaulant toujours le Président. Etre élu au sein d’un CA, ce n’est pas pour faire « beau ».
Signé : Guy Alliot
Mise au point
En marge des festivités des 150 ans de l’Harmonie Municipale, à l’issue de l’Assemblée Générale de Janvier 2013 et dans la perspective de l’anniversaire des 150 ans, M. Alain Hunault, maire, m’invitait, avec M.Hervouët, à participer à l’organisation d’une expo au Marché Couvert. J’attends encore l’invitation de M. Hervouët pour y participer.
Si dans les colonnes de Ouest-France ce dernier m’a qualifié du titre pompeux de « mémoire vivante », cette mémoire n’a à aucun moment été mise à profit. Mieux, j’ai appris qu’une conférence de presse s’était tenue sans que j’y sois invité.
Pendant 60 ans de vie passée à l’Harmonie, je ne me suis pas contenté de pratiquer la musique, je me suis impliqué tout jeune dans la vie de l’association puisque c’est à ma demande que s’est tenue la première assemblée générale depuis la fin
de la guerre. Ensuite, je suis passé administrateur, premier vice-président, puis président.
Je vis cela comme un affront et un premier couac.
Second couac, de taille celui-là : on fête les 150 ans, sans un mot, rien, sur ceux qui restent et qui ont passé plus d’un demi-siècle de leur vie au sein de la société. Ils ne sont pas légion, je pense à deux en particulier (Joseph Ecole et René Clément). Silence assourdissant aussi sur le partenariat et l’amitié indéfectibles de musiciens de Pouancé après 50 ans de synergie.
Bon vent à l’Harmonie et je m’interroge sur les raisons plus ou moins obscures de cette mise à l’écart.
Signé : Guy Alliot
Photo : Jean Paitier, Guy Alliot
Ailleurs ....
Il existe toujours une batterie-fanfare à St Vincent des Landes. Elle a d’ailleurs obtenu de très nombreux premiers prix, dont un en 2013. Contact : Batterie Fanfare "La Saint Vincent" 4 Chemin du petit bois - 44590 Saint Vincent des Landes, 06 03 47 56 73 ou contact@bfstvincent.com
Il existe aussi une batterie-fanfare à Soudan, assurant une formation musicale gratuite. Contact : 02 41 92 59 76
La musique est un moyen d’expression des émotions, chez celui qui joue comme chez celui qui écoute. Au vu de ce qui se passe à l’Harmonie municipale de Châteaubriant, on dirait que la maxime populaire « La musique adoucit les moeurs » n’est pas adaptée. Mais que signifie cette maxime ? Dans La République, (oeuvre de Platon, vers 380 avant notre ère), la musique est évoquée comme un élément de la formation d’une classe de … gardiens. Le dialogue indique alors qu’il faudrait bannir les harmonies dont la douceur trop prenante et la volupté diminueraient la force virile et le courage des guerriers. Comme quoi la musique n’a pas toujours des effets bénéfiques.
Signé : BP